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Chapitre 2 Connaissances des liens entre urbanisme et sécurité routière au

2.4 La question de recherche

Après cette revue de la littérature sur les liens entre urbanisme et sécurité routière au regard du développement urbain, il apparaît que ces liens sont complexes et que leur étude suppose de prendre en compte le caractère dynamique des espaces urbains. Le niveau de l’insécurité routière ne peut être vu uniquement comme la conséquence de “causes” résidant en partie de la morphologie et de l’organisation de la ville, mais doit être appréhendé aussi comme le produit de régulations au sein d’un système urbain complexe.

Ainsi, à l’échelle de “la forme de la ville”, le développement urbain génère des effets négatifs sur la sécurité routière, notamment en dehors des villes centres. Mais il semble que ces effets puissent être contrecarrés dans une certaine mesure par l’aménagement et la gestion des réseaux.

Par contre, à l’échelle de la partie de ville, les connaissances sont fortement axées sur l’aspect “réseau” des formes urbaines et n’intègrent pas leur caractère dynamique, alors que celui-ci peut entraîner des problèmes. Par exemple, Haumont (1988) remarque les

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difficultés pouvant émerger de la difficile insertion des flux et du stationnement des automobilistes dans des formes urbaines accueillant mal l’accroissement de la mobilité, même lorsqu’il s’agit de quartiers et d’immeubles récents. Les grands ensembles, par exemple, étaient des concepts urbanistiques très marqués par l’usage de l’automobile et aujourd’hui le stationnement des véhicules peut y créer des dysfonctionnements (Gallety et al., 1996). Quand celui-ci n’a été prévu que dans des parkings souterrains, le sentiment d’insécurité, la crainte liée à la délinquance peuvent conduire les habitants à se garer ailleurs, sur des espaces publics peu ou pas adaptés à cette pratique. L’histoire de la ville et de ses rues suggère, selon Haumont, que « les déséquilibres entre la circulation et les formes urbaines ont été fréquents au cours du temps et [qu’ils] peuvent être considérés comme une tendance constante, suscitant périodiquement de vastes réaménagements, où le remaniement et le recyclage des formes urbaines permettent une sorte de mise à jour et un rééquilibrage global » (1988, p. 177). A l’échelle de la partie de ville, il existe des connaissances quant aux actions correctives à mener pour améliorer la sécurité routière. Mais la mise en application de ces mesures est souvent mal connue. Elles sont souvent appliquées dans des quartiers d’habitat traditionnel aux voiries spécifiques. Mais sont-elles applicables à d’autres types de quartiers comme les grands ensembles où les voiries sont très larges ?

D’une manière générale, l’insécurité des formes urbaines à l’échelle de la partie de ville est mal connue. Les recherches se limitent à l’analyse de l’organisation des réseaux des formes urbaines sans tenir compte de l’évolution de ces formes. Elles sont fortement axées sur les quartiers aux principes de planification très marqués avec une forte hiérarchisation, une ségrégation des modes. Mais qu’en est-il des zones aux conceptions moins marquées. Quelle insécurité produit un quartier moyennement hiérarchisé et peu ségrégué ? Ces quartiers de planification intermédiaire sont pourtant les plus répandus dans les milieux urbains. Et s’il existe des connaissances en termes d’actions correctives possibles, sont-elles applicables sur ces quartiers de planification intermédiaire ? Par exemple, le rapport OCDE de 1979 portant sur la sécurité des zones résidentielles concluait sur la nécessité de poursuivre les recherches sur ce thème dans la mesure où les effets des actions possibles sur les zones existantes étaient mal connus.

La question de recherche sur les effets du développement urbain sur la sécurité routière au travers des formes urbaines qu’il engendre se place donc à l’échelle de la partie de ville. Elle suppose l’étude de l’influence des formes urbaines sur la sécurité tout en prenant en compte leur caractère dynamique que ce soit leur évolution ou leur gestion possible. Il s’agit alors de connaître les effets des formes urbaines sur les problèmes de sécurité et à savoir dans quelle mesure ces effets peuvent être gérés par les aménagements sur l’espace public ou doivent être intégrés en amont dans la planification.

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Il ne s’agit pas de se placer sur un plan strictement quantitatif, de savoir quelle forme urbaine est la plus sûre, puisque le lien entre forme urbaine et insécurité routière n’est pas aussi direct. Mais il faut déterminer si l’insécurité qu’une forme urbaine produit est gérable ou pas. Cette question a alors un intérêt pour la planification future. Les résultats peuvent permettre d’orienter les choix de planification urbaine. La sécurité routière n’est pas l’enjeu principal d’une décision de planification, cependant selon les orientations prises, les décideurs peuvent savoir quels types de problèmes de sécurité ils auront à gérer et s’ils pourront les traiter. La question a également un intérêt pour les formes urbaines existantes héritées du développement urbain.

Nous pouvons également préciser le terme de “forme urbaine”. Comme nous l’avons vu dans la partie 1.2.3, ce terme est polysémique et son sens varie selon les disciplines. Pour Burgel, d’ailleurs, « les formes urbaines sont un bon révélateur des contradictions et des angoisses de l’urbanisation contemporaine » (1988, p. 339). Pour Bonadonna, la notion de forme urbaine a été créée « pour dépasser l’étroitesse du cadre de la rue, de la place ou de l’immeuble. On comprend qu’il s’agit là d’un fragment de ville, plus complet et plus complexe que la rue ou la place et bien plus simple et précis que “la ville”. [Mais] on ne sait pourtant pas en donner une définition claire » (Bonadonna, 1988, p. 113). Pour certains auteurs, notamment les architectes, la forme urbaine est entrevue essentiellement dans son aspect morphologique. Par exemple, pour Panerai et

al., la forme urbaine est la « dimension physique de la ville » (1997, p. 11). Pour

d’autres c’est l’aspect social de la forme qui prime. Ces différenciations sont liées aux disciplines concernées, qui génèrent des dissociations contenu / contenant ou encore urbanisme / transport. Les différents aspects de la forme urbaine sont étudiés séparément alors que la ville ne peut pas être étudiée de façon divisée. Et « si l’analyse doit passer par un découpage, même s’il est provisoire et conscient, [il faudrait découper] en fragments de ville. Ceux-ci devraient cristalliser chacun à leur niveau l’ensemble des éléments qui constituent la ville (par exemple bâtiments, vides publics ou privés, pratiques et histoire) et les relations qui les relient » (Bonadonna, 1988, p. 113).

Et du point de vue de la sécurité, de nombreux éléments de la forme urbaine sont à prendre en compte. L’organisation des réseaux est l’un des aspects majeurs des problèmes de sécurité. Mais différents travaux ont montré que d’autres aspects comme l’organisation du bâti ou l’environnement des voies ont aussi une importance (ex : Engel, 1986 ; Millot, 2000). Par exemple, Mc Lean (1997) dans une étude australienne, déclare qu’il est irréaliste de s’attendre à trouver des relations simples entre fréquence d’accidents et caractéristiques des voies urbaines, car ces voies ont de multiples fonctions : elles sont le siège d’une mixité de déplacements, de multiples mouvements (se garer, se déplacer,…) ainsi que le lieu de rencontre de différents usagers comme des piétons, des conducteurs de voiture, de véhicule à deux roues,… De plus, l’aspect social des formes urbaines est également intéressant à prendre en compte. Par exemple, Faure

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(1994) a étudié les liens pouvant exister entre les formes de grands ensembles, les jeunes qui y habitent et les problèmes de sécurité routière qui s’y produisent. Cette étude se révèle fortement axée sur l’analyse des comportements des jeunes des grands ensembles que ce soit dans leurs pratiques de mobilité ou dans leurs comportements de conduite (représentation, apprentissage,…). Les caractéristiques sociodémographiques du quartier sont ici fortement marquées et influencent beaucoup les types d’accidents rencontrés. Par exemple, les enseignants de la conduite des associations de réinsertion notent que « les contraintes représentées par les sens interdits ou les feux tricolores sont transgressés sans conscience de commettre une faute ou une erreur, mais dans l’incapacité à intégrer la notion de règle, de code, c’est-à-dire de se situer dans un contexte social » (Faure, 1994, p. 7). Des éléments très variés des espaces urbains ont donc une influence sur l’accidentologie qu’ils soient d’ordres morphologique, structurel ou fonctionnel. La sécurité routière s’intéresse ainsi à la fois au contenant des formes urbaines mais aussi à leur contenu. Elle se place également à l’interface entre urbanisme et transport. Ce sont les deux facettes d’un même problème (ex : Buchanan, 1963), qui sont souvent étudiés séparément.

Et si l’on reprend les précisions que donnent Raynaud (1999) sur la notion de forme urbaine, cette appréhension axée sur la sécurité routière y est conforme. Pour lui, la forme urbaine ne peut pas se limiter à la représentation mentale des espaces, son aspect matériel est important. Elle doit s’intéresser au contenant mais aussi au contenu. Elle ne peut pas se limiter à sa réduction plane et suppose une analyse multidimensionnelle. Elle ne doit pas être confondue avec le modèle urbain. Roncayolo insistait également sur l’importance de l’étude du contenu et du contenant dans les formes urbaines (1988). De plus, pour lui, la forme urbaine est « le lieu de rencontre pour des compétences multiples car il convient d’éviter à la fois le postulat écologique (les formes font la société) et le simple formalisme esthétique » (Roncayolo, 1988, p. 57). Enfin, la forme urbaine tout comme la ville procède de l’imbrication de deux logiques : « celle du découpage du sol en lots à bâtir et celle des tracés de la voirie qui les dessert » (Mangin et Panerai, 1999, p. 83). Elle relève donc à la fois du domaine de l’urbanisme et de celui du transport qui sont si souvent dissociés. Et comme le déclare Marc Wiel (2002), nous sommes dans un système où « le plus permanent – le construit – et le plus éphémère – la mobilité – se modèlent en permanence l’un l’autre, suivant un processus à la fois global (tout interagit sur tout) et continu (inscrit dans la durée) ». Il devient donc nécessaire de penser ces deux aspects ensemble. Par exemple, Ruegg et al. (1998) ont étudié les effets des grandes infrastructures de transport sur les formes urbaines. Et pour eux, la forme urbaine renvoie au fonctionnement de la ville, notamment en termes de flux, aux manifestations inhérentes à ce territoire comme les modalités des jeux d’acteurs et à la morphologie.

Le terme de forme urbaine tel qu’il est employé dans la suite de ce travail renvoie donc aux aspects morphologiques, structurels et fonctionnels des espaces urbains. Il

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s’intéresse à la forme en tant que contenant mais également au contenu et au fonctionnement en général des espaces. Il permet de mettre en relief le lien entre urbanisme et transport. Son échelle est celle de la partie de ville (voir 1.2.3).

La revue de la littérature sur les liens entre urbanisme et sécurité routière, au regard du développement urbain a donc permis de préciser la question de recherche et l’échelle d’analyse. Il s’agit de s’interroger sur les effets des formes urbaines à l’échelle de la partie de ville sur les problèmes de sécurité routière et de savoir dans quelle mesure ces effets peuvent être gérés par les aménagements sur l’espace public ou doivent être intégrés en amont dans la planification. Le problème ne se pose alors pas du point de vue quantitatif. La question n’est pas de savoir quelle forme urbaine est la plus sûre, le lien entre forme urbaine et insécurité routière n’étant pas aussi direct. Mais il s’agit d’analyser les problèmes de sécurité générés par les formes et de savoir dans quelle mesure ils sont gérables par l’aménagement. Le lien entre formes urbaines et insécurité routière ne peut donc pas être traité simplement. Il convient alors de préciser la méthodologie à adopter pour traiter une telle question.

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