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L’étalement urbain en question du point de vue de l’action

Chapitre 1 Le développement urbain en question

1.3 L’étalement urbain en question du point de vue de l’action

l’action

L’étalement urbain est un phénomène très large qui touche la majorité des pays. De plus en plus, il est associé aux nuisances engendrées par le développement urbain (Peiser, 2001).

L’un des premiers reproches fait à l’étalement urbain, c’est l’énorme consommation d’espace qu’il suscite (ex : Peiser, 2001 ; Camagni et al., 2002). Le problème soulevé est lié au gaspillage d’espace du fait de la très faible densité des nouveaux territoires construits et de leur éparpillement. Les nouvelles pratiques urbaines basées sur la mobilité, le développement des infrastructures routières participent fortement à ce phénomène. Et l’augmentation de la taille de l’espace fréquenté, s’accompagne d’une

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croissance de la mobilité motorisée, en termes de distance notamment (ex : Aguilera et Mignot, 2002) et d’une croissance de la consommation d’énergie.

Différentes recherches ont été menées sur les liens entre compacités des villes, longueur de déplacement et consommation d’énergie. Par exemple, le travail de Hayashi et al. (1999) est basé sur une comparaison entre Londres, Tokyo, Nagoya et Bangkok. Ils concluent sur un lien très fort entre périurbanisation et motorisation, entraînant une augmentation de la consommation en énergie. A l’inverse, la consommation en énergie des transports diminue considérablement avec l’augmentation de la densité urbaine. Leurs résultats montrent les effets négatifs de la dédensification, du point de vue de la consommation d’énergie.

D’une manière générale, de nombreuses nuisances générées par l’étalement urbain sont liées au développement de l’automobile. Et depuis les années quatre-vingt, nous pouvons noter une montée des revendications des habitants des villes en termes de qualité de vie (Fleury, 1998). Si les habitants utilisent de plus en plus l’automobile, ils n’en reconnaissent pas moins ses nuisances (voir l’enquête nationale menée par Maurin

et al., 1988), et leurs revendications concernent les problèmes de pollution, de bruit, de

congestion mais aussi les problèmes d’insécurité routière. Comme nous l’avons vu, l’étalement urbain est corrélé à un développement des infrastructures routières et de la motorisation. L’extension de la taille des espaces fréquentés est donc liée à un usage important de l’automobile et plus généralement au développement du “système automobile”. Et face aux nuisances engendrées, la question se pose du lien existant entre la densité et l’usage de l’automobile.

Des travaux ont été menés sur la “dépendance automobile” et son lien avec la densité des villes. Cependant selon l’acception donnée au terme “dépendance automobile”, les résultats diffèrent. Ainsi, les premiers travaux menés sur ce thème par Newman et Kenworthy (1989) concluaient quant à l’existence d’un lien direct entre dépendance automobile et densité urbaine. Le terme de dépendance n’était pas explicitement décrit. Il se référait à un calcul selon l’équipement automobile, le nombre de kilomètres parcourus ou encore la consommation d’énergie. Différents travaux, plus récents, ont alors montré que le lien entre densité et usage de l’automobile n’était pas aussi simple. Pour Fouchier, par exemple, « il existe de nombreuses raisons qui font que l’équation “densification = moins d’usage de l’automobile” n’est pas directement valable » (1997, p. 186). La localisation des activités est tout aussi importante.

Pour Dupuy, « la dépendance automobile ne trouve pas son origine dans les villes (ni dans les campagnes), mais dans le développement d’un “système automobile” qui n’en respecte pas les limites » (1999). L’auteur revient sur le développement de l’automobile en retraçant la spirale vertueuse ou vicieuse de la croissance automobile. Cette croissance entraîne un développement des réseaux routiers, qui conduit à une

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augmentation de la fréquentation des réseaux. De plus en plus d’automobilistes viennent alors rejoindre le “club” des automobilistes. Cette augmentation à son tour entraîne un développement des réseaux routiers et ainsi de suite. La localisation des activités se fait alors de plus en plus en fonction de la desserte en réseaux routiers. Et on assiste à un éclatement des fonctions à l’intérieur de l’agglomération, qui a de lourdes conséquences sur les déplacements (Fouchier, 1997).

Ainsi, Kaufmann et al. (2001) ont montré que les stratégies résidentielles des urbains ne résultaient pas seulement du désir d’accéder à la maison individuelle en périphérie. Pour certains, elles sont plus liées à une contrainte qu’à un choix. Cette contrainte résulte de l’orientation des planifications urbaines en faveur de ce modèle de développement. Pour certains ménages, par exemple, le choix de s’établir en périphérie est plus directement lié au prix du foncier, qu’à une volonté personnelle (Orfeuil, 1998). En effet, le prix du foncier augmente en se rapprochant du centre dense. L’accessibilité devient donc une question majeure dans ces nouveaux espaces urbains. Dupuy redéfinit la notion de dépendance automobile à partir « de la différence entre l’accessibilité offerte à l’automobiliste et l’accessibilité offerte au non-automobiliste » (2002, p. 144). La densité urbaine est alors loin de garantir la diminution de la dépendance automobile (Dupuy, 2002).

De plus, la question de la densité des villes est très complexe. En effet, si le choix politique était fait de contraindre l’urbanisation d’une ville, Premius et al. (2001) déclarent que son premier effet serait effectivement de réduire les déplacements en automobile. Cependant, selon eux, il ne faut pas sous-estimer les effets secondaires d’une telle contrainte. Ceux-ci entraînent une hausse des prix fonciers, conduisant progressivement à une fuite des logements et entreprises vers une périphérie plus lointaine. La question de la gestion de l’usage de l’automobile ne se place donc pas du point de vue de la densité mais davantage de celui de la planification de l’espace urbain c’est-à-dire la localisation des activités en lien avec l’organisation des transports (ex : Kaufmann, 2001).

Différentes études ont montré le caractère indissociable de la planification territoriale et de l’organisation des transports. En effet, il ne s’agit pas seulement d’augmenter l’offre en transports en commun pour en accroître la fréquence (Fouchier, 2000). Par exemple, pour favoriser l’usage des transports en commun, il peut être plus bénéfique de densifier avec des générateurs de déplacements comme des commerces, ou des bureaux proches des stations du réseau qu’avec de l’habitat. Et les politiques d’aménagement de l’espace doivent être liées à celles de l’organisation des transports. C’est le cas, par exemple, en Hollande où la politique d’occupation de l’espace et la planification des transports doivent permettre une distribution équilibrée du trafic (Fleury, 1998). Le but est d’éviter l’implantation de grands générateurs de déplacements comme des entreprises ou des établissements scolaires dans des espaces plus facilement accessibles en automobile

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qu’en transport en commun. Trois types de sites sont alors distingués selon leur degré de connexion aux réseaux de transport en commun. Plus les espaces sont fortement connectés, plus les mesures fiscales y sont favorables.

Des œuvres anciennes cherchant à lier ces deux aspects, comme la cité linéaire de Soria y Mata, sont alors redonnées en exemple. Elles sont notamment basées sur un modèle de planification urbaine intégrant l’organisation des transports. Soria y Mata, intellectuel espagnol, a publié en 1882 un premier projet de cité linéaire (Choay, 1994). Comme Cerdà, il note l’importance des réseaux de communication dans la ville. Il définit une rue de 500 mètres de large intégrant des réseaux de transport tels que les chemins de fer, les tramways, ou les routes et les réseaux de distribution comme l’électricité ou l’eau. De part et d’autre, il dispose l’habitat et les édifices publics, les services, etc. Tout est planifié et l’ensemble a pour but d’éviter l’éparpillement désordonné et de simplifier au maximum l’interconnexion des réseaux techniques. Plus récemment, des villes comme Curitiba au Brésil apparaissent comme des modèles en ce qui concerne l’urbanisme et le transport (Brasileiro, 1991). A Curitiba, les acteurs locaux ont su profiter d’un contexte économique, politique et social favorable. Ils ont su très tôt arriver à un consensus pour appliquer à moyen et long terme divers plans et propositions d’organisation des transports. Entre 1964 et 1971, un plan d’urbanisme est lancé par la municipalité. Puis suivent des mesures constituant le Réseau intégré des transports : voies piétonnes en 1971, axes lourds pour les autobus en 1974, lignes interquartiers en 1978, tarif unique en 1980 (Brasileiro, 1991). Le succès de cette politique des transports vient d’une part de sa continuité dans le temps et d’autre part de l’entente des acteurs publics comme privés, pour mener à bien un projet commun. L’étalement urbain génère des nuisances, qui sont de plus en plus critiquées, notamment par rapport à des revendications de qualité de vie. Et ce phénomène est loin d’être terminé (ex : Merlin, 1994 ; Wiel, 1999a ; Beaucire, 2000). Il devient donc nécessaire d’agir. Mais si certains parlent encore du débat entre ville étalée et ville compacte, pour beaucoup (ex : CERTU, 2000a) le retour à la ville compacte n’est pas envisageable pour plusieurs raisons : elle ne correspond pas aux aspirations des nouvelles générations et elle peut générer des effets secondaires similaires à l’étalement urbain avec une fuite des activités hors la ville, ou tout au moins ne pas entraîner de diminution de l’usage de l’automobile. Ainsi, la question de l’action face à l’étalement urbain ne se place pas du point de vue de la densité. Mais elle se pose en termes de planification urbaine associant la localisation des activités et l’organisation des transports. Cette action consiste, non pas à s’opposer à l’étalement urbain, mais à l’encadrer pour éviter l’éparpillement discontinu, difficile à gérer qui caractérise l’espace urbain actuel (ex : Wiel, 1999a). Dans ce contexte, la gestion urbaine intègre ou est amenée à intégrer des préoccupations relatives à la qualité de vie du riverain ainsi qu’aux besoins de la collectivité. Des lois

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comme la LOTI, la LAURE ou la SRU10 incitent à l’intégration de l’ensemble des préoccupations liées aux nuisances des transports, en amont des procédures de planification. Elles suggèrent également de mener une réflexion plus globale entre transport et aménagement. La question des effets du développement urbain sur la sécurité routière se situe donc dans ce contexte d’intégration de la préoccupation de sécurité routière dans les planifications urbaines.

Le détour par l’analyse des conséquences du développement urbain sur les modes de vie nous amène à poser clairement la question de l’influence de ce développement sur la sécurité routière. En effet, l’augmentation de la taille des espaces fréquentés, l’importance des réseaux ou encore la prédominance des déplacements automobiles suscitent une telle réflexion. Les formes urbaines reflètent l’influence du développement urbain sur les espaces urbains, et l’on peut se demander quels sont les effets du développement urbain, via les nouvelles formes urbaines qu’il engendre, sur la sécurité routière. Pour pouvoir aborder cette question, il nous est apparu nécessaire de nous intéresser aux travaux qui ont été menés sur les liens entre urbanisme et sécurité routière.

10 LOTI : Loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs de 1982

LAURE : Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie de 1996 SRU : Loi de Solidarité et de Renouvellement Urbain de 2000

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