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3. Présentation et analyse des résultats

3.1 Comment les Africains et les Antillais perçoivent-ils les victimisations et les

3.1.4 La question de la réparation de la TENT

Tous les interviewés s’accordent à dire que les dommages et victimisations causés par la TENT doivent faire l’objet de réparation. Cependant, les propositions sont de différentes natures, telles que représentées dans le graphique ci-dessous.

Graphique 5 : Distribution du type de réparation souhaité, par l’ensemble des répondants et leur groupe d’appartenance

À partir de l’analyse du discours de nos interviewés, nous distinguons sept types de réparation, à savoir, la réparation historique et scientifique, la réparation éducative, la réparation éthique/politique, la réparation pécuniaire et monétaire, la réparation économique et sociale, la réparation psychologique et la réparation des relations entre le nord et le sud.

Réparation historique et scientifique

Près de la moitié (n=9) dénoncent le révisionnisme, qui a existé et qui existe encore aujourd’hui, concernant l’histoire de la TENT, et ce, que ce soit dans les médias ou dans les manuels scolaires. Selon eux, il convient aux chercheurs, notamment africains, de rétablir la véracité des faits, notamment sur le nombre de victimes et sur la question de la responsabilité des Noirs.

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Répondant 4 : Il faut qualifier les choses de la manière la plus objective possible,

pour pouvoir agir sur elles. On est dans une sorte de brouhaha concernant la traite transatlantique, c’est un flux d’images, de mots, sans qu’on puisse départir le vrai du faux. Il y a des spécialistes comme Pétré-Grenouilleau, qui sortent de nulle part, sans instaurer de débat contradictoire. On n’invite que les représentants d’une certaine théorie, mais jamais des spécialistes de l’autre théorie, quitte à faire passer des non spécialistes pour des spécialistes.

Répondant 1 : On doit avoir des historiens qui se penchent sur la question, qui

nous pondent des beaux bouquins pour qu’à l’école tout le monde soit au courant de ce qui s’est passé et disserter sur la question de façon construite, avec chiffres à l’appui puisque c’est la mode.

Réparation éducative

La plupart des interviewés (n=16) estiment que l’histoire de la TENT doit être étudiée à l’école pas seulement en Afrique ou aux Antilles mais dans tous les pays du monde, car c’est une histoire qui fait partie de l’histoire de l’humanité.

Répondant 17 : Je ne connais pas bien les programmes ici, mais il faudrait qu’on

parle de l’esclavage dans les écoles. On parle de l’holocauste, c’est sûr mais est- ce qu’on parle de l’esclavage je ne sais pas. On doit en parler aussi à l’école.

Répondant 20 : Ici au Québec, on ne parle pas de la traite et de l’esclavage dans

les écoles ou très peu. Par contre on parle beaucoup de l’holocauste. Pourquoi la traite et l’esclavage n’est pas étudié comme l’holocauste. Ce n’est pas normal. Il faut que ça change.

Néanmoins, pour plusieurs (n=5), cet enseignement doit se faire avec la préoccupation de ne pas susciter la haine, le ressentiment ou encore des séquelles psychologiques chez les Noirs.

Réparation éthique et/ou politique

La majorité des interviewés (n=12) expriment le souhait que la TENT soit reconnue solennellement comme crime contre l’humanité, du moins, dans chaque État y ayant participé ou profité, notamment afin que la TENT fasse l’objet d’un entretien mémoriel adéquat.

Répondant 17 : Non, je pense qu’on n’en parle pas suffisamment. À TV5, ils

parlaient des enfants qui visitent les camps de concentration nazis. L’esclavage est un crime pareil mais on n’en parle pas. On veut même faire passer l’esclavage comme un crime qui vient après l’holocauste. Moi je mets l’holocauste et l’esclavage sur le même pied d’égalité, on doit aussi en parler. Il faut qu’il y ait des journées souvenirs, surtout dans les pays qui ont collaboré à cela, l’Angleterre, la France, les États-Unis, tous ces pays doivent instaurer une journée souvenir pour l’esclavage. Je ne sais pas s’il y en a aux États-Unis, mais je pense qu’aux Antilles, en Martinique, il y a une fête comme cela. On parle à cette occasion de l’esclavage. Je sais aussi que l’assemblée nationale a débattu sur le sujet pour faire passer la traite comme crime contre l’humanité, si ma mémoire est bonne il me semble que s’est passé.

Répondant 20 : Ce qui est avant tout le plus important, c’est que la traite et

l’esclavage des Noirs soient reconnus comme un crime contre l’humanité par tous les pays et qu’on en parle comme on parle de l’holocauste actuellement.

Cette reconnaissance est importante car son absence est perçue par quelques répondants (n=6) comme une négation de la souffrance des victimes. Concrètement, c’est la reconnaissance de la TENT en tant que génocide qu’appellent certains interviewés (n=4).

Répondant 8 : Moi, ce que j’en tire personnellement de cette histoire-là, c’est

d’abord cette idée de meurtrissure en pensant aux conditions dans lesquelles ces gens ont été transplantés et aussi du fait que leur histoire n’est pas très bien connue et que cela n’est pas considéré comme un génocide à l’égard de cette partie de la population de l’Afrique.

Réparation pécuniaire et monétaire

Les avis sont partagés concernant ce type de réparation. Pour certains (n=5), les pays Africains doivent être dédommagés en argent pour tous les torts causés par la TENT notamment pour la contribution des esclaves à l’essor économique des pays participants, ainsi que la paralysie de l’économie africaine, quand bien même les modalités la réparation seraient difficiles à fixer.

Répondant 13 : Qu’on fasse un discours verbal c’est sûr mais je pense que la

seule façon de pouvoir rétablir les choses c’est que ce soit pécuniaire. C’est difficile, les modalités seront difficiles, faudra-t-il donner un peu d’argent à tous ceux qui ont un peu la peau noire ? Mais la réparation selon moi devra être pécuniaire.

Mais pour d’autres (n=4), la question de la réparation financière et monétaire est impossible, car il est question de vies humaines.

Répondant 2: Moi, je ne pense pas qu’on puisse compenser, car il est question de

vies humaines qui ont été sacrifiées. Il n’y a pas de prix. Pour moi, il convient de se remémorer de cette histoire, de condamner.

Réparation économique et sociale

Un nombre significatif d’interviewés (n=13) proposent que les États responsables de la TENT apportent une aide au développement aux pays africains. Ils proposent en outre, l’annulation de la dette des États africains.

Sujet 20 : Concrètement, quand on réfléchit à la faisabilité des choses, peut-être

cela va être difficile d’évaluer sur un plan pécuniaire tous les dommages causés par les anciens pays négriers, mais une chose qui serait possible c’est qu’on annule la dette des pays d’Afrique noire et des Antilles.

Certains répondants (n=4) proposent quant à eux d’instaurer des mesures nationales pour assurer l’égalité, de manière à ce que les Noirs ne soient plus victimes de discrimination raciale.

Répondant 11 : Selon moi, il faut parler d’égalité. Donner la chance aux Noirs

d’avoir la place qui leur mérite. (…) Donc si on arrive à une société égalitaire, c’est la seule réparation.

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Réparation psychologique

Pour certains interviewés (n=7), les effets psychologiques de la TENT sur les Afro- descendants sont évidents (traumatisme post esclavage, aliénation culturelle, faible estime de soi…). Par conséquent, il convient, selon eux, de s’y adresser par le biais d’une thérapie collective, par exemple.

Répondant 15 : Il y a des conséquences psychologiques des suites de l’esclavage,

c’est certain. On le voit dans les Antilles. Le problème devrait se régler en faisant une psychothérapie collective. Il faut l’intellectualiser, plus qu’autre chose.

Voilà ce que nous disent certains interviewés, concernant plus précisément l’aliénation culturelle :

Répondant 20 : Comme cela a été fait pour les Juifs victimes de l’holocauste et

leurs descendants, nous avons besoin de psychologues bien formés pour nous aider à nous libérer du trauma dû à l’esclavage et surtout nous débarrasser de notre aliénation culturelle.

Concernant le traumatisme post esclavage :

Répondant 4 : Les populations noires ont une relation très spéciale avec cette

période. Souvent pour éviter de souffrir, beaucoup de gens ne veulent pas en parler. Il y a vraiment quelque chose. Mais il faut pourtant qu’on revienne sur ce traumatisme pour pouvoir avancer. C’est comme la femme qui a été violée. Il est important qu’elle revienne sur son traumatisme pour aller de l’avant.

Concernant la faible estime de soi des Noirs :

Répondant 15 : Donc c’est cela, il nous faut retrouver la fierté, pour qu’à l’intérieur

de nous et à l’intérieur de la société on se sente mieux. Tu sais en Haïti, on attribue les problèmes aussi au fort taux d’analphabétisme, mais je me suis aperçu que c’était un faux problème en discutant avec les gens. La vraie différence c’est entre ceux qui sont fiers et ceux qui ne sont pas fiers.

Réparation des relations Nord-Sud

La moitié (n=10) des Afro-descendants dénoncent l’ingérence politique exercée par les pays européens participant à la TENT sur les pays africains et ce, depuis la fin de la TENT via la colonisation, la post-colonisation, puis le néocolonialisme. Cette ingérence implique le soutien des dictateurs, les détournements de fonds, les assassinats politiques, le vol des ressources naturelles. Par conséquent, les sujets demandent la cessation de cette ingérence et l’établissement de relations plus équitables :

Sujets 4 : Les effets se sont aussi les relations entre l’Afrique et l’Europe. Il y a

une interdépendance au niveau économique, avec par exemple le franc CFA. En 1993, la France a dévalué le franc CFA de manière unilatérale. Il y a aussi une interdépendance politique avec tous ces dictateurs africains élus à plus de 90% (…), qui sont installés et soutenus par les pays européens comme la France et en retour ces dictateurs leur donne de l’argent pour financer leurs campagnes électorales…Il faut mettre un terme à tout cela et instaurer des relations plus égalitaires.

D’autres vont plus loin en demandant la cessation de tout lien diplomatique et économique entre l’Afrique et les pays européens concernés.

Répondant 16 : Il y a des Noirs qui cherchent à être dominants. Ils disent vouloir

instaurer la démocratie en Afrique mais dans le fond, ils continuent à nous manipuler comme des pions (…) Ils ont placé à la tête de nos gouvernements des marionnettes (…) Moi je dis qu’on devrait cesser toute relation économique et politique avec eux. Qu’ils nous laissent tranquille!

Différence entre les Africains et les Antillais

La seule différence notable observée entre les Africains et les Antillais concerne la question de la réparation des relations nord/sud. Dans le détail, la plupart (n=7) des Africains plaident pour une réparation des relations nord/sud alors qu’ils sont quelques-uns (n=3) à avoir cette requête du côté des Antillais. Est-ce à dire que les Africains sont plus sensibles à la question que les Antillais ? On peut comprendre que ces derniers soient davantage préoccupés par les enjeux politico-économiques qui les concernent directement que par la réalité africaine. En outre, il est à noter que les îles antillaises francophones, à l’exception d’Haiti, sont plus ou moins autonomes (dépendement de leur statut) mais pas indépendantes ; elles continuent à être rattachées à la France.