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Les émotions, sentiments ou réactions des répondants, suscités par

3. Présentation et analyse des résultats

3.1 Comment les Africains et les Antillais perçoivent-ils les victimisations et les

3.1.2 La TENT : une victimisation collective

3.1.2.2 Les émotions, sentiments ou réactions des répondants, suscités par

La TENT suscite plusieurs émotions, sentiments ou réactions. En effet, de la colère, douleur ou tristesse à la honte ou l’indifférence en passant par le ressentiment/rancœur ou le sentiment de résilience, l’analyse de leur discours et de leur non verbal dévoile une palette de réactions diversifiées.

Il convient tout d’abord de préciser que ces réactions ne sont pas mutuellement exclusives, bien souvent elles sont cumulatives. En d’autres termes, les répondants manifestent une multitude de réactions à l’évocation de la TENT.

Répondant 7 : Quand je pense à cette histoire, je ressens du dégoût pas la honte,

pas l’humiliation parce que ce n’était pas voulu, un peu de colère, mais tu as envie de porter plainte mais à qui et contre qui. Il y a alors un sentiment d’impuissance.

Répondant 20 : Lorsqu’on évoque la traite, je ne peux pas m’empêcher d’être en

colère. J’en veux aux Blancs. Je suis aussi habité par une grande douleur en pensant aux victimes et à leurs conditions de vie inimaginables....

Le graphique 2 ci-dessous montre en détail la distribution en pourcentage des différentes réactions suscitées chez les répondants par l’évocation de la TENT. Ainsi, il appert que les réactions les plus fréquentes chez nos répondants sont la colère/frustration ex-aequo avec la douleur (n=13).

Graphique 2 : Distribution des émotions, sentiments et réactions suscités par l’évocation de la TENT, par l’ensemble des répondants et leur groupe

d’appartenance

Lorsque la colère se fait sentir, elle est passagère :

Répondant 17 : C’est toujours la colère. Oui, c’est toujours de la colère et de

l’incompréhension aussi. Comment des hommes ont pu penser que des hommes ne sont pas des hommes. La colère est passagère, mais c’est surtout l’incompréhension.

La douleur quant à elle est souvent proche de la colère :

Répondant 3 : C’est surtout la douleur. La révolte je la contiens. J’imagine la

douleur que de voir le Blanc te traiter comme un animal. C’est une tâche indélébile dans la mémoire collective.

Après la colère/frustration et la douleur, c’est le ressentiment qui arrive ex-aequo (n=10) au deuxième rang des émotions les plus éprouvées chez les Afro-descendants interrogés.

Répondant 11 : (…) en quelque part cela te met une certaine rancœur, mais c’est

une rancœur qui selon moi ne devrait pas exister, car l’esclavage est fini et que normalement on devrait vivre en communauté, s’accepter les uns les autres, accepter les différences de chacun. Mais pourtant en lisant cela, tout ce qui ressort c’est de la rancœur. 0 2 4 6 8 10 12 14

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Malgré la fin de la TENT, la rancœur persiste en raison de la perception de la perpétuation de certaines victimisations issues de la TENT, notamment le racisme.

Répondant 11 : Ce qui fait que cette rancœur est encore ressentie, c’est que les

Blancs, ils ont encore cette attitude de supériorité. Quand tu lis cela, cela te mets juste dans le contexte original. Comme je te disais que cela te fait voir que c’est une autre forme d’esclavage qui existe et que tu n’as pas ta place dans cette société de Blancs. Donc voilà.

Quelques interviewés (n=3) disent ressentir un mélange de tristesse et de douleur lorsqu’ils se représentent la TENT et ses victimisations.

Répondant 8 : (…) donc c’est une chose qui me touche tout particulièrement et je

regarde cette histoire avec beaucoup de meurtrissure et de tristesse.

On aurait pu s’attendre à davantage d’expression de tristesse dans le discours des interviewés. Mais au contraire peu de répondants expriment ressentir cette émotion. Un tel constat est, selon nous, à corréler avec la présence relativement élevée de la colère (comme nous venons de le relever plus haut) et du sentiment de résilience (n=9). En effet, les recherches démontrent que la tristesse est une émotion que les personnes sont davantage enclines à réprimer (Cosnier, 2006). La plupart des personnes préfèrent transformer leur tristesse en colère car ils associent la manifestation de la tristesse à une certaine vulnérabilité. Ils se concentrent alors sur le responsable de leur colère (attribution externe), ce qui est également une façon d’affirmer sa volonté de ne pas subir et (en ce qui nous concerne) de sortir du cercle de la victimisation (résilience). De plus, lors de nos entrevues, les personnes concernées ont juste nommé leur tristesse sans s’y étendre, confirmant l’adage que « les grandes douleurs sont muettes ». Une personne associe sa représentation des victimisations engendrées par la TENT à de la honte.

Contre toute attente, certains répondants (n=4) affirment ressentir de la fierté lorsqu’ils se représentent la TENT. Les explications données par ces personnes permettent de comprendre aisément l’association entre les victimisations liées à la TENT et le sentiment de fierté, et donc de lever toute incompatibilité apparente. Ainsi, on dégage deux types de fierté. Une fierté exclusive aux Haïtiens, liée à la lutte de libération que leurs ancêtres ont menée afin de se libérer :

Répondant 15 : Et je dirai qu’il ne faut pas confondre la façon dont les Haïtiens

réagissent avec la façon dont les autres Noirs d’Amérique réagissent. Nous on s’est libéré de ça. On a réussi à sortir de ça. Et je pense qu’une bonne chose c’est que cette libération s’est faite par les armes. Personne nous a donné le droit d’exister comme Noir, tu l’as pris. A part pour l’Haïtien qui ne connaît pas son histoire, cela donne aux Haïtiens la fierté de ce qu’ils sont.

Répondant 8 : Mais pour moi cela me donne plutôt une fierté, d’être un

descendant d’esclaves qui se sont rebellés et qui ont chassé les maîtres.

L’autre fierté concerne la réussite des Noirs malgré tous les déficits sociaux auxquels ils sont confrontés :

Répondant 13 : En fait c’est paradoxal mais je ressens aussi un peu de fierté. Un

Noir qui réussit par rapport à un Blanc qui réussit, le Noir sera mieux vu parce qu’il a réussi. Je ne suis pas fier de la traite négrière, mais avec tout ce qu’on a subi lorsque je vois des gens réussir cela me fait plaisir. Je pense que c’est tout.

Enfin, il convient de relever les trois interviewés auto-déclarés apathiques. Les interviewés en question affirment être indifférents par rapport à l’histoire de TENT. Cette indifférence apparente n’est-elle pas une stratégie de protection ? N’est-ce pas là aussi une sorte de déni ou de dissociation observée notamment chez les victimes d’actes criminels, refusant de confronter la réalité ou de revivre leur trauma. En d’autres termes, la restriction de sentiment aurait pour fonction de se protéger contre des émotions violentes telles que la colère et la douleur. Voici d’ailleurs ce que nous dit un interviewé à cet effet :

Répondant 10 : Mais moi je ne suis pas figé dans le passé, c’est le présent et

puis j’ai pas de complexe d’infériorité à ce niveau-là. Pourquoi ? Parce que comme je te dis chez moi, tout le monde est noir, tout le monde est beau et intelligent [rire] Et si j’étais né ici ce serait différent. Alors l’esclavage pour moi ça n’a aucun impact sur moi (…) Oui, mais l’indifférence c’est juste pour ne pas avoir de haine. Tu vois parce que tu as le choix entre…ben il y a l’amour et il y a la haine. Mais bon tu ne peux pas les aimer, et tu peux pas les haïr parce que c’est toi que ça détruit. Donc c’est une indifférence et là tu vis bien.

Différences entre les Africains et les Antillais

Nous relevons une seule différence notable entre les Africains et les Antillais relativement aux réactions aux victimisations engendrées par la TENT. Elle concerne le sentiment de fierté, laquelle, comme nous l’avons vu plus haut, est exclusive aux Antillais et plus spécifiquement aux Haïtiens. Pour mémoire, Haïti est la seule nation fondée suite à une révolution victorieuse menée par des esclaves noirs conte l’armée coloniale de Napoléon Bonaparte.

3.1.3 Les perceptions sur les victimisations et conséquences de la TENT