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La question du genre : lutte seulement des femmes ou lutte mixte ?

Chapitre 5 - L’institutionnalisation de l’approche genre et développement en Algérie151

2.5.2 La question du genre : lutte seulement des femmes ou lutte mixte ?

La question de l’égalité entre les femmes et les hommes est restée principalement une revendication des associations des femmes. Si les associations des femmes se retrouvent, ici

et ailleurs, aujourd’hui et hier, dans toutes les luttes sociales, politiques, économiques, anticoloniales, etc., c’est parce qu’elles sont conscientes que l’égalité entre les femmes et les hommes est une lutte de classe, de race et de sexe. Elles savent que le changement réel ne peut parvenir que dans le cadre d’un changement radical de la société, d’une société démocratique, juste, humaine et basée sur le partage équitable et solidaire des responsabilités. Elles mènent ces luttes au détriment parfois des intérêts des femmes ; et par moment à la fin de certains conflits auxquelles elles ont participé, elles se retrouvent « en recul » par rapport au rôle qu’elles ont joué et à la place qu’elles ont occupée ; certains acquis peuvent même être perdus, etc. Les exemples ne manquent pas, la guerre de libération de l’Algérie, le conflit du Rwanda en sont deux exemples marquants ; l’expérience de la décennie du terrorisme vécu par l’Algérie est un autre exemple fort de ces rapports ambivalents et contradictoires.

Si les associations des femmes se sentent, à juste titre, concernées par toutes les luttes et s’impliquent dans des mobilisations sociales et citoyennes diverses, la réciproque ne semble pas toujours (pour ne pas dire jamais) vérifiée. Si elles se retrouvent souvent seules à mener les luttes pour l’égalité et contre les diverses discriminations faites aux femmes, les raisons en sont multiples, mais ce n’est pas notre objet. De leur côté, les groupes de solidarité (soutien

au FLN en Algérie, mouvements anti-apartheid, mouvements de solidarité contre les dictatures en Amérique Latine, mouvements altermondialistes, etc.) ont le plus souvent évacué la question des inégalités entre femmes et hommes, comme le faisaient les syndicats ou les partis politiques. Les questions d’inégalités de genre étaient considérées comme « secondaires » et ne devaient pas diviser les mouvements politiques (Christine Verschuur,

2009 : 24).

Certaines associations de femmes considèrent que la question du genre ne doit pas rester le monopole des associations des femmes, et ce pour plusieurs raisons.

L’égalité entre les femmes et les hommes serait une philosophie de la vie qui vise la construction des rapports de partenariat paisibles, équilibrés, justes, solidaires et basés sur le partage équitable des responsabilités, des décisions et donc du pouvoir. L’existence réelle de ce type de rapports signifie le bonheur et le bien être pour toutes et tous. Le meilleur argument est celui des violences, il n’est plus à démontrer que les violences sont le signe d’une grande difficulté de communication, d’un mal être de celui qui les pratique, un homme violent ne serait pas un homme heureux et lutter pour mettre fin aux violences faites aux femmes fait du

bien à ces femmes victimes, mais aussi à ces hommes violents. L’égalité étant une philosophie pour le bien des femmes, des hommes et de l’humanité toute entière, il n y a pas de raisons que la lutte pour l’égalité ne soit pas mixte.

Par ailleurs, le principe que l’égalité est une condition préalable au développement durable et à la réalisation des OMD, faisant aujourd’hui consensus et étant devenu un axiome, c’est l’humanité toute entière qui devrait se mobiliser pour que cette égalité devienne réalité.

Les associations des femmes participant activement à plusieurs actions sociales, politiques, économiques, écologiques, … menées par ailleurs, elles estiment légitime de demander aux autres forces organisées auprès desquelles elles ont mené successivement ces combats d’être solidaires avec elles dans la lutte pour l’égalité, « le minimum est que ces forces leur renvoient l’ascenseur ».

Enfin, le mouvement féministe, au sens d’un mouvement de plaidoyer de l’égalité entre les femmes et les hommes, connaît un recul dans le monde entier, et de manière plus importante en Algérie, à l’instar du Maghreb et du Moyen Orient ; les associations des femmes estiment que c’est de la responsabilité de toutes les organisations des droits humains et des autres organisations (partis, syndicats, associations diverses, …) démocratiques, éclairées et convaincues, de s’engager dans la lutte pour l’égalité (Remaoun M. 2004a). Elles rappellent qu’en 1997, quand les associations des femmes avaient initié la pétition du million de signatures, elles ont trouvé face à elles les partis islamistes (Hamas et En Nahda) qui se sont exprimés, à travers leurs dirigeants, dans la presse appelant leurs forces à contrecarrer cette action par une contre-pétition de plus de trois millions de signatures, et les organisations estudiantines islamistes (l’UGEL - Union générale des étudiants libres) qui organisaient des actions de masse dans les universités. Le 9 mars 1997, à l’université d’Oran, l’AFEPEC10 s’est retrouvée à animer avec un étudiant islamiste et un enseignant islamiste, une conférence sur le code de la famille à la faculté de droit, organisée par une association d’étudiants de la faculté, dans un contexte inimaginable aujourd’hui : une grande exposition contrecarrant la pétition des associations des femmes, organisée par l’UGEL avec de grandes affiches placardées dans toute l’université et fondées sur des mensonges flagrants s’attaquant au texte

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de la pétition des associations des femmes. Cette expérience devrait donner à méditer aux démocrates

Ces associations de femmes ont pris conscience que seule l’action collective et mixte, portée par des femmes et des hommes, pourrait contribuer à la transformation sociale profonde en vue de l’égalité réelle ; par conséquent, leur combat même s’il contribue à améliorer la situation des femmes et à faire évoluer les rapports entre les hommes et les femmes, reste très limité. C’est pourquoi, certaines ont tenté d’élaborer des stratégies visant à élargir la prise en charge de la question de l’égalité à d’autres organisations à travers la construction d’alliances et de partenariat d’une part, et la mobilisation des jeunes filles et garçons autour des valeurs de l’égalité et de la citoyenneté. C’est le cas de l’AFEPEC que nous allons examiner.