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Chapitre 1 Le genre : du concept à l’émergence internationale

1 Le genre : notions et genèse

1.1) Qu’est-ce que le genre ?

Le genre, en tant que catégorie d’analyse, renferme quatre notions.

1) Le terme genre, dans son sens le plus classique et le plus usuel, désigne les différences sociales entre les femmes et les hommes ne relevant pas directement de la biologie (la nature). Il introduit une distinction entre les différences sociales et les différences biologiques (naturelles) entre les sexes, se distinguant ainsi de la notion commune de « sexe ». Il renvoie au sexe social qui signifie le sexe tel qu’il est « symboliquement et culturellement interprété, imaginé et produit par les sociétés », par opposition au sexe biologique (naturel) qui désigne la différence sexuelle, physique aussi bien anatomique, hormonale ou chromosomique (Fabienne Malbois, 2011 : 17). Les différences entre les femmes et les hommes sont le produit d’une construction sociale et non d’un déterminisme biologique.

« L’une des tâches de la nouvelle vague du féminisme était de contrer l’idée commune que les

davantage naturalisées que les hommes et il s’agissait d’expliquer pourquoi). Ces idées naturalistes couraient aussi bien dans la rue, que chez certaines tendances féministes, que dans les sciences sociales ou psychologiques ». (N.C. Mathieu, 2000). Tout l’enjeu est celui

d’amener les sexes hors de la nature, de l’impensé, du pré-social et de les projeter dans l’histoire, dans le social et dans le politique (Lorena Parini, 2010).

Le genre comme « sexe social » a été un point de départ de la critique féministe.

2) Cependant, ce n’est pas la prise en compte du social qui fait l’originalité du « genre ». Le genre est, également, une approche relationnelle des sexes. Le genre s’intéresse aussi bien aux hommes et au masculin qu’aux femmes et au féminin, et pas seulement aux femmes.

3) Le genre appréhende les relations sociales entre les femmes et les hommes, comme étant différentes socialement, mais pas seulement. Le genre révèle également que le rapport entre les femmes et les hommes est hiérarchisé, c’est un rapport de pouvoir.

4) Les rapports de genre sont analysés en termes de rapport de pouvoir entre les femmes et les hommes, mais ils ne sont pas analysés indépendamment des autres rapports de pouvoir. Le genre est à l’intersection des autres rapports de pouvoir.

En fait, dès le début des années 1970, l’apparition et l’utilisation du terme « genre » a permis de circonscrire clairement la dimension sociale de la différence sexuelle, de « réfuter

l’explication par le biologique des inégalités entre femmes et hommes, et de mettre l’accent sur le caractère relationnel et hiérarchique des définitions normatives du féminin et du masculin. » (F. Malbois, 2011 : 18).

Le concept de genre tel que défini par ces quatre notions, désigne un rapport social et un diviseur, et est utilisé au singulier. Dans ce champ d’analyse, pour qualifier les positions que le genre constitue (être femme, être homme), c’est le terme « sexes » qui est utilisé et non « genres » ; il est donc à distinguer de son sens grammatical qui permet de parler de genre masculin et genre féminin et donc de « genres » au pluriel.

La distinction entre sexe et genre se trouve au fondement des études développées depuis les années 1970 sur la question du genre. Opération analytique et critique, elle a permis de

formuler un concept autorisant la dénaturalisation de la subordination sociale, économique et politique des femmes. Dans un premier temps associé à la notion de « sexe social », le genre a ensuite été défini comme un rapport social hiérarchique divisant l’humanité en deux moitiés inégales. (Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait, Anne Revillard, 2008).

1.2) Genèse du genre

Si c’est dans le champ des sciences sociales que le concept du genre a évolué et a été analysé en tant que catégorie, c’est dans la psychanalyse que le terme « genre » (gender) a été utilisé pour la première fois. Et si c’est dans les années 1970 qu’il été utilisé, les premières analyses ayant défini le genre, remontent aux années 1930 ; au moins deux travaux ont été précurseurs, celui de Simone de Beauvoir (1949a et 1949b) et celui de Margaret Mead (1963).

1.2.1) Margaret Mead et Simone de Beauvoir : deux pionnières du genre

Dans les années 1930, l’anthropologue américaine Margaret Mead est la première à parler de « rôles sexuels ». Dans son ouvrage « Mœurs et sexualité en Océanie » - traduction française en 1963 des deux textes rassemblés « Adolescente à Samoa » (1928) et « Trois sociétés primitives de Nouvelle-Guinée » (1935)- elle montre que ce que les psychologues appellent le « tempérament » (un ensemble de traits de caractère, comme la douceur, la violence, la créativité,…) ne découle pas directement du sexe biologique, mais est diversement construit selon les sociétés. D’une société à l’autre une plus ou moins grande importance est accordée à la variable sexe, celle-ci ne servant pas toujours de moyen de différenciation des tempéraments.

Par ailleurs, la publication du deuxième sexe par Simone de Beauvoir en 1949, portait déjà sur le plan théorique la distinction entre la femelle et la femme par sa phrase devenue célèbre « On ne naît pas femme : on le devient ». C’est un texte absolument fondateur et un travail pionnier de toute la première étape de construction du concept du genre. Le deuxième sexe est un ouvrage précurseur et fondateur de la perspective « anti essentialiste » qui domine les études sur le genre. Dans une démarche égalitaire, matérialiste, universaliste, elle critique la position faite aux femmes dans la société et dans la culture au nom de leur infériorité, montre leur infériorisation au nom de la différence, (Christine Planté, 2010).

La perspective anti-essentialiste est au cœur de la démarche de Simone de Beauvoir et la démarche du genre vise à déconstruire les visions essentialistes de la différence entre les femmes et les hommes, qui consistent à attribuer des caractéristiques immuables aux femmes et aux hommes en fonction de leurs caractéristiques biologiques. La phrase de Simone de Beauvoir « on ne naît pas femme, on le devient » ouvre une réflexion qui sera poursuivie et développée en France comme ailleurs avec des temporalités diverses (Lorena Parini, 2010).

1.2.2) Le genre : l’invention du concept par la psychanalyse

Le terme gender a été utilisé pour la première fois en 1968 par le psychanalyste Nord-américain, Robert Stoller dans l’ouvrage “ Sex and Gender : on the Development of Masculinity and Feminity”. Il introduit la distinction terminologique entre « sexe » et « genre » en séparant clairement le sexe biologique de l’identification psychologique.

En 1972, les sexologues John Money et Anke Ehrhardt insistent eux aussi sur la nécessité de différencier strictement entre le sexe, anatomiquement et physiologiquement déterminé, et le genre, qui renvoie à l’expérience contingente de soi comme homme ou femme. Money et Ehrhardt considèrent en outre qu’il faut distinguer le « rôle de genre » (gender role) qui désigne les comportements publics d’une personne et l’« identité de genre » (gender identity) qui renvoie à l’expérience « privée » que celle-ci a d’elle-même (Money J., Ehrhart A., Man

and Woman, Boy and Girl, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1972).

Les travaux de Stoller comme ceux de Money et Ehrhardt proposent ainsi une première définition du genre comme « rôle de sexe » ou « sexe social ». Chez ces psychanalystes et ces sexologues, une telle distinction entre sexe et genre se voulait principalement descriptive (Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait, Anne Revillard, 2008).

1.2.3) Ann Oakley : un point de départ de l’analyse anthropologique du genre

En 1972, Ann Oakley, anthropologue britannique, serait la première chercheure à avoir utilisé le terme de genre (gender), dans son ouvrage « Sex, Gender and Society », en le distinguant du sexe et incluant une dimension sociale et culturelle au terme sexe. Se mettant dans une

position très critique, elle s’inscrit explicitement dans le mouvement féministe. Elle affirme et explique la partition sexe/genre. Le « sexe » renvoie à la distinction biologique entre mâles et femelles, tandis que le « genre » renvoie à la distinction culturelle entre les rôles sociaux, les attributs psychologiques et les identités des hommes et des femmes. « Sexe est un mot qui se

réfère aux différences biologiques entre mâle et femelle : la différence visible des parties génitales, la différence relative dans la fonction procréative. Genre, cependant, est une matière de culture : il se réfère à la classification sociale entre « masculin » et « féminin » »

(Ann Oakley, 1972).

Aux Etats-Unis, c’est l’anthropologue Gayle Rubin qui, en 1975, aurait été la première à utiliser et analyser le concept du genre dans le cadre du champ des sciences sociales. Son analyse restera une référence pour la pensée féministe anglo-saxonne dans les décennies suivantes.

L’analyse de Gayle Rubin procède de la même démarche que celle de Paola Tabet en Italie, ou Christine Delphy, Nicole-Claude Mathieu et Colette Guillaumin en France. Elles « s’inspirent de la méthode marxienne (et non obligatoirement marxiste) : la nécessaire approche en termes de rapports sociaux lorsqu’on traite des sexes » (N.C Mathieu, 2000), avec la volonté « de comprendre rationnellement, afin de mieux combattre politiquement, les

inégalités basées sur le sexe, les hiérarchies sociales, et en l’occurrence les discriminations basées sur le sexe » (N.C. Mathieu, 2000).