2.4 Actions bilatérales en rang un
2.4.3 Quadriques de dimension trois sur un corps local
Comme nous l’avons indiqué au paragraphe 2.1.2, l’une des motivations pour notre étude de(G×G)/∆Gen rang un est son application aux quadriques de dimen-sion 3 sur un corps local. Précisons ce point.
Soient kun corps local et Q une forme quadratique sur k4. D’après le théorème de Witt, la sphère unité
S(Q) ={x∈k4, Q(x) = 1}
s’identifie à l’espace homogèneSO(Q)/H, où SO(Q)est le groupe spécial orthogonal deQetHunk-sous-groupe algébrique deSO(Q)défini comme le stabilisateur d’un certain point x∈S(Q).
Si Q est anisotrope sur k, le groupe SO(Q) est compact ([BoT], § 4.24) et tout sous-groupe discret de SO(Q) est fini et agit proprement sur S(Q).
Supposons Q d’indice de Witt un, c’est-à-dire SO(Q) de k-rang un. Si H est anisotrope sur k, alors H est compact et tout sous-groupe discret de SO(Q) agit proprement sur S(Q). En revanche, si H est de k-rang un, les seuls sous-groupes discrets de SO(Q) qui agissent proprement sur S(Q) sont les groupes finis : c’est le phénomène de Calabi-Markus ([Ko1], cor. 4.4). Par exemple, si k =R, toute forme quadratique Q d’indice de Witt un sur k4 est équivalente à x21 −x22−x23−x24 ou à x21 +x22 +x23 −x24. Dans le premier cas, SO(Q) (resp. H) est isomorphe à SO(1,3) (resp. à SO(3)), et tout sous-groupe discret de SO(Q) agit proprement sur S(Q).
Dans le second cas,SO(Q)(resp. H) est isomorphe à SO(3,1) (resp. à SO(2,1)), et les seuls sous-groupes discrets de SO(Q) qui agissent proprement sur S(Q) sont les groupes finis.
Supposons maintenant Q d’indice de Witt deux, c’est-à-dire SO(Q) de k-rang deux. Par exemple, si k=R, alors SO(Q)(resp. H) est isomorphe à SO(2,2)(resp.
à SO(1,2)). On peut supposer que Q est donnée par Q(x1, x2, x3, x4) = x1x4−x2x3
et que H est le stabilisateur de x = (1,0,0,1) ∈ S(Q). Notons que S(Q) est na-turellement munie d’une action transitive du groupe SL2(k) × SL2(k). En effet, SL2(k) ×SL2(k) agit sur M2(k) par multiplication à gauche et à droite, c’est-à-dire par(g1, g2)·u=g1u g−12 pour tout(g1, g2)∈SL2(k)×SL2(k)et toutu∈M2(k).
En identifiantM2(k) àk4, on obtient une action linéaire de SL2(k)×SL2(k)sur k4 qui préserve Q et est transitive sur S(Q). Le stabilisateur de x = (1,0,0,1) dans SL2(k)×SL2(k)est ∆SL2(k), donc la quadrique S(Q) s’identifie à l’espace homogène (SL2(k)×SL2(k))/∆SL2(k). D’après le théorème 2.1.2, à la permutation près des deux facteurs deSL2(k)×SL2(k), les sous-groupes discrets sans torsion deSL2(k)×SL2(k) qui agissent proprement sur S(Q)sont les graphes de la forme
Γρ0 ={(γ, ρ(γ)), γ ∈Γ0},
où Γ0 est un sous-groupe discret de SL2(k) et ρ : Γ0 → SL2(k) un morphisme de groupes tel que pour toutR > 0, on aitµ(ρ(γ))≤µ(γ)−Rpour presque toutγ ∈Γ0.
Chapitre 3
Une condition nécessaire et suffisante de cocompacité
3.1 Introduction
Soient k un corps local et G l’ensemble des k-points d’un k-groupe algébrique semi-simple connexe dek-rang un. Au chapitre 2, nous avons décrit les sous-groupes discrets sans torsion Γ de G×G qui agissent proprement sur G par multiplication à gauche et à droite ou, de manière équivalente, sur (G×G)/∆G. Dans ce chapitre, nous supposonskultramétrique et considérons, parmi ces sous-groupesΓ, ceux pour lesquels le quotient Γ\(G×G)/∆G est compact. Dans un premier temps, nous en donnons une description ; pour G = SL2(Qp) par exemple, cela revient à décrire les quotients compacts de la quadrique de Q4p d’équation x21+x22−x23−x24 = 1, comme on l’a vu au paragraphe 2.4.3. Dans un second temps, nous établissons l’existence de quotients compacts Γ\(G×G)/∆G tels que Γ soit Zariski-dense dans G× G.
Précisons un peu ces deux points.
Supposons k ultramétrique et soit µ : G→ E+ une projection de Cartan de G, où E est muni d’une norme euclidienne k · k comme dans les préliminaires. Comme G est semi-simple de k-rang un, E est une droite réelle et la norme k · k permet d’identifierE+ àR+; on note encoreµl’application deGdansR+ ainsi obtenue. Par exemple, siG= SL2(k), on aG=KZ+KoùK = SL2(O)est l’ensemble des matrices de déterminant un à coefficients dans l’anneau des entiers deket Z+ l’ensemble des matrices diagonales diag(a, a−1)∈SL2(k)telles que a soit de valeur absolue ≥1; la projection de Cartan associéeµ:G→R+ envoie la matricediag(a, a−1)sur2|ω(a)|, oùω désigne une valuation (additive) fixée de k.
Le résultat principal de ce chapitre est que pour tout sous-groupe discret de type fini sans torsion Γ0 de Get pour tout morphisme de groupes ρ: Γ0 → Gadmissible au sens du chapitre 2, le quotient Γ\(G×G)/∆G est compact si et seulement si le quotient Γ0\G l’est (théorème 3.3.1). Combiné au théorème 2.1.2, ceci nous donne une description des quotients compacts de (G×G)/∆G par un sous-groupe discret de type fini sans torsion.
Théorème 3.1.1. Soient k un corps local ultramétrique, G l’ensemble des k-points d’un k-groupe algébrique semi-simple connexe de k-rang un, ∆G la diagonale de G×G et µ : G → R+ une projection de Cartan de G. À la permutation près des deux facteurs de G×G, les sous-groupes discrets de type fini sans torsion de G×G agissant proprement et cocompactement sur (G×G)/∆G sont les graphes de la forme
Γρ0 =
(γ, ρ(γ)), γ ∈Γ0 ,
où Γ0 est un réseau cocompact sans torsion de G et ρ : Γ0 → G un morphisme de groupes admissible, i.e. tel que pour tout R > 0 on ait µ(ρ(γ)) ≤ µ(γ)−R pour presque tout γ ∈Γ0.
Cette description est spécifique au rang un : nous donnons au paragraphe 3.3.4 un exemple de quotient compact Γ\(G×G)/∆G où rangk(G) ≥ 2 et où Γ est le produit de deux sous-groupes infinis de G.
Le fait queΓ\(G×G)/∆Gsoit compact si et seulement siΓ0est un réseau cocom-pact de G est également valable pour k = R ou C, par un argument de dimension cohomologique ([Ko1], cor. 5.5). Un tel argument ne convient pas lorsquekest ultra-métrique, car dans ce cas tout sous-groupe discret sans torsion de G est libre, donc de dimension cohomologique un.
Dans le cas ultramétrique, nous remplaçons l’argument cohomologique par un raisonnement géométrique sur l’arbre de Bruhat-Tits de G. Plus précisément, soit G = KZ+K la décomposition de Cartan de G associée à µ. Nous associons à tout élément g ∈ GrK un point ζg− du bord de l’arbre de Bruhat-Tits de G, obtenu à partir d’une décomposition de Cartan de g. L’étude des points ζg− nous permet de montrer que pour tout sous-groupe discret de type fini sans torsion Γ0 deG et tout morphisme de groupes admissible ρ: Γ0 →G, si le groupe Γρ0 ={(γ, ρ(γ)), γ ∈ Γ0} agit proprement et cocompactement sur(G×G)/∆G, alorsΓ0 est un réseau cocom-pact deG. Il s’agit du point le plus délicat de la démonstration du théorème 3.1.1.
Pour tout réseau cocompact sans torsion Γ0, les groupes Γ0 × {1} et {1} ×Γ0
agissent bien sûr librement, proprement et cocompactement sur (G×G)/∆G : les quotients compacts correspondants sont ditsstandard. Le théorème 3.1.1 permet de donner des exemples de quotients compacts non standard de(G×G)/∆G. Concernant leur adhérence de Zariski, nous obtenons le résultat suivant.
Proposition 3.1.2. Soientkun corps local ultramétrique,Gl’ensemble desk-points d’un k-groupe algébrique semi-simple connexe de k-rang un et ∆G la diagonale de G×G. Il existe des sous-groupes discretsΓ de G×G agissant librement, proprement et cocompactement sur (G×G)/∆G et qui sont Zariski-denses dans G×G. On peut de plus choisirΓ de telle sorte qu’aucune de ses deux projections naturelles surG ne soit bornée.
La partie 3.2 est consacrée à des rappels sur les isométries d’arbres réels simpli-ciaux ; ces rappels nous seront également utiles au chapitre 4. Dans la partie 3.3, nous démontrons le théorème 3.1.1 en étudiant les pointsζg− du bord de l’arbre de Bruhat-Tits deGmentionnés ci-dessus. Enfin, la partie 3.4 est consacrée à la démonstration de la proposition 3.1.2.
Ar A A r
r
x r
prg(x) g·prg(x) g·x
Ag
-Figure 1 – Action d’un élément hyperbolique