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CHAPITRE I : Problématique, hypothèse et objectifs de recherche

CHAPITRE 2 : Contexte socio-sanitaire camerounais et accès aux soins des travailleurs

2.4. Marché du travail et sécurité sociale au Cameroun

2.4.2. Le marché du travail au Cameroun

2.4.2.1. Qu’est-ce que le secteur informel?

De manière générale, le concept « secteur informel », appelé aussi « économie informelle » ou « économie populaire » ou encore « économie traditionnelle » par certains experts, voit le jour en 1970 (Charmes, 2003; Keith Hart, 1972; Djadé, 2011)49. Le secteur de l’emploi informel se caractérise alors par l’émergence hors du cadre formel de l’économie d’activités hétérogènes de production de biens et services par une frange de la population qui, du fait de la dégradation de l’économie et du marché de l’emploi, développe des activités informelles pour satisfaire leurs besoins fondamentaux (santé, logement, nourriture, etc.) (Kanté, 2001, Chen et al., 2005; BIT, 2013)50. Les gouvernements et les économistes ont pensé pendant très longtemps qu’une

48 C’est dans les villes principales de ces 3 régions que nous avons mené notre enquête de terrain soit Yaoundé (Centre), Douala (Littoral) et Bafoussam (Ouest).

49 « Dans les années soixante-dix, la question de savoir comment vivaient les millions de personnes qui n’entraient pas dans les statistiques du secteur privé (formel) ou des institutions publiques a attiré l’attention de nombreux chercheurs. Pour dénommer cette économie qui échappe aux outils de mesure de l’économie traditionnelle, on a utilisé le mot « informel ». Un terme vaste et un flou qui a englobé quantité d’études, donnant naissances à un foisonnement d’autres termes : économie souterraine, économie familiale, économie conviviale, économie clandestine, illégale, etc. » (Briod, 2011 : 3)

50 Il faut préciser que « Pour beaucoup de pauvres, les activités habituelles du secteur informel (le travail non rémunéré dans une entreprise familiale, le travail occasionnel, le travail à domicile, la vente ambulante) sont la seule possibilité de pourvoir aux besoins essentiels à leur survie. Dans les pays qui n’ont pas d’assurance chômage, ni d’autres types de filet social, la seule alternative au chômage est de travailler dans le secteur informel. D’autres emplois du secteur informel (en tant qu’employeur dans des usines informelles, ou travailleur indépendant qualifié

meilleure combinaison des politiques économiques et des ressources transformerait les économies informelles pauvres en économies modernes dynamiques. Le secteur informel était ainsi censé disparaître au cours de ce processus, avec l’extension d’un secteur formel moderne qui absorberait de plus en plus de main-d’œuvre (Thomas, 1993; BIT, 2000; 2013). Contrairement à ces attentes, le secteur informel et l’emploi informel demeurent très importants aujourd’hui dans les pays en développement.

« Beaucoup de pays n’ont pas été en mesure de développer une économie moderne capable de fournir des possibilités d’emploi appropriées à leur population, qui croît rapidement. Le secteur informel demeure une source majeure, voire la source principale d’emplois dans de nombreux pays, où ce secteur se compose de travailleurs indépendants ou de petites entreprises, sans structure formelle ni organisation du capital, et d’emplois occasionnels. » (BIT, 2013 : 3)

En Afrique subsaharienne, le phénomène s’est amplifié entre 1975 et 1993 du fait de la dégradation des termes de l’échange, du décalage entre la croissance démographique et la croissance économique, de l’ajustement structurel, de la dévaluation et des privatisations (Djadé, 2011; De Vreyer et Roubaud, 2012). Ces facteurs qui ont cumulativement contribué à la montée du chômage ont fait du secteur informel le lieu d’absorption de la main-d’œuvre excédentaire sur le marché du travail, surtout dans les zones urbaines (Charmes, 2003; Cornia, Jolly et Stewart, 1987; Herrera, Razafindrakoto et Roubaud, 2007). Comme le souligne Kanté, « l’économie populaire occupe souvent, plus ou moins bien, les deux tiers des citadins qui travaillent. Elle constitue le seul débouché immédiat pour la grande majorité des jeunes non scolarisés ou déscolarisés. Sans l’économie populaire, les difficultés des pauvres seraient beaucoup plus angoissantes. » (2001 : 7)

dans de petites entreprises) peuvent fournir une meilleure rémunération. Ces travailleurs peuvent même arriver à gagner plus que les salariés réguliers pourvus d’un emploi formel. Mais même ces travailleurs qui s’en sortent mieux n’ont souvent pas d’autre choix que de travailler dans le secteur informel au lieu du secteur formel. » (BIT, 2013 : 4)

Le concept d’économie informelle revêt cependant un contenu différent selon les régions du monde. Comme l’affirme De Soto (1989), en Amérique latine il désigne des entreprises qui fonctionnent à la limite de la légalité dans le but d’échapper aux impôts et à la réglementation. En Afrique par contre, le « secteur informel » désigne de micro-unités de production, des entreprises individuelles ayant un faible niveau d’organisation et de revenu par rapport à la moyenne nationale (Charmes, 2003; Backiny-Yetna, 2009; Nana Djomo et al., 2014). Alors, quand bien même en Afrique les acteurs du secteur informel ont peu de relation avec l’administration, il ne s’agit pas d’une attitude délibérée de fonctionner en marge de la réglementation.51 Il s’agit d’un secteur du marché du travail qui absorbe un nombre important de demandeurs d’emploi et de chômeurs, pour la plupart engagés dans des activités indépendantes ou de très petites unités de production. Toutes ces activités partagent un certain nombre de caractéristiques : capital modeste, main-d’œuvre peu qualifiée (pour une large majorité), faible accès aux marchés organisés et à la technologie, revenus faibles et irréguliers, conditions de travail médiocres, en marge des systèmes officiels et collectifs de protection sociale des travailleurs (BIT, 2000; Kanté, 2001; Charmes, 2003; BIT, 2013; Bem et al., 2013)52. Pour ce qui est des facteurs de l’expansion et du maintien de ce secteur d’activité économique, Kanté affirme que

« la crise économique et (la) croissance urbaine constituent, assurément, les deux mamelles nourricières de l’expansion du secteur informel qui offre un cadre d’insertion socio-économique à des migrants saisonniers et autres agents

51 C’est ce qu’affirment les experts de la 15ème Conférence internationale des Statisticiens du Travail sur la

Résolution concernant les statistiques de l’emploi dans le secteur informel tenue à Genève en 1993 : « Les activités

exercées par les unités de production du secteur informel ne sont pas nécessairement réalisées avec l’intention délibérée de se soustraire au paiement des impôts ou des cotisations de sécurité sociale ou d’enfreindre la législation du travail, d’autres législations ou d’autres dispositions administratives. Par conséquent, le concept des activités du secteur informel devrait être différencié de celui des activités de l’économie dissimulée ou souterraine.» (BIT, 1993 cité par Kanté, 2001 : 9)

52« On observe souvent que le secteur informel se compose principalement d’unités de production et d’activités de subsistance qui répondent à un besoin de survie, rapportent peu, ne sont guère intégrées au reste de l’économie et souffrent d’un manque de productivité, de qualifications, de technologies et de capital. Toutefois, on constate aussi que certaines parties de ce secteur sont modernes et dynamiques, capables de se développer et de créer des revenus et des emplois. Les exemples abondent de petites entreprises viables qui n’étaient à l’origine que de petites boutiques ou activités informelles. » (BIT, 2000 : 4).

économiques exclus du secteur moderne, qui y exploitent des unités de production de biens et services en vue de créer principalement des emplois et des revenus. » (Kanté, 2001 : 5)

Le secteur informel présente une diversité de modalités d’organisation de la production et de l’emploi correspondant à différents groupes d’acteurs et de travailleurs. La Commission de l’emploi et de la politique sociale du Bureau international du travail, citant les travaux d’un colloque international consacré aux syndicats, donne cette description assez complète des travailleurs de ce secteur qu’on peut classer en 3 grands groupes :

« 1) les propriétaires ou exploitants de micro-entreprises qui occupent quelques salariés, avec ou sans apprentis; 2) les personnes travaillant à leur compte qui possèdent et exploitent leur propre entreprise individuelle, seules ou avec l’aide de travailleurs non rémunérés, généralement des membres de la famille et des apprentis; 3) les travailleurs dépendants, rémunérés ou non, y compris les salariés des micro-entreprises, les travailleurs familiaux non rémunérés, les travailleurs sous contrat, les travailleurs à domicile et les travailleurs domestiques rémunérés. À l’intérieur de chacun de ces trois groupes, il existe d’importantes différences. La situation des personnes qui travaillent à leur compte est fonction de leur relation avec le marché et de leurs moyens de production, qu’il s’agisse de propriétaires de petites boutiques, d’exploitants d’un emplacement sur le marché, ou de marchands ambulants, ou encore de conducteurs de tricycle ou de pousse- pousse qui possèdent leur propre véhicule ou qui le louent à la journée. Parmi les travailleurs dépendants, certains groupes – travailleurs familiaux non rémunérés, travailleurs occasionnels, sous-contrat, domestiques – n’apparaissent pratiquement pas dans les statistiques officielles et échappent généralement à la législation du travail et aux systèmes officiels de protection sociale. » (BIT, 2000 : 4)

Le secteur informel se présente à la fois comme une importante source d’emploi et une source importante de production de biens et de services. Le BIT (2013 : 4) note que dans de nombreux pays, la contribution des entreprises informelles à la valeur ajoutée brute dans l’économie est importante. La part moyenne du secteur informel dans la valeur ajoutée brute non agricole est estimée à environ 14 % dans les pays d’Europe orientale et d’Asie centrale et jusqu’à 50 % dans les pays d’Afrique subsaharienne. Les biens et services produits dans le secteur informel contribuent aussi de façon substantielle aux consommations des ménages pauvres et même des plus aisés. Comme nous l’avons vu plus haut, l’emploi dans le secteur informel joue un rôle essentiel dans la réduction de la pauvreté en tant que principale source de revenus pour les plus pauvres. Cependant, beaucoup de ceux qui travaillent dans ce secteur ne sont pas en mesure de sortir de la pauvreté grâce à leur travail; pour beaucoup d’entre eux, leurs conditions de travail

servent à perpétuer leur position défavorisée et la pauvreté dans laquelle ils vivent (BIT, 2013 : 4).

L’économie informelle offre donc pour une large majorité de la population dans les pays en développement des activités de subsistance. Mais ces activités, bien que constituant le lieu d’une « économie de croissance informelle » — avec une faible portion d’activités dynamiques et modernes avantageuses à l’économie nationale (Portes, Castells et Benton, 1989; Charmes, 2003; Bem et al., 2013) —, n’offrent pas à une grande majorité de travailleurs une porte de sortie de leurs vulnérabilités.53