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CHAPITRE I : Problématique, hypothèse et objectifs de recherche

CHAPITRE 3 : Positionnement théorique de la recherche

3.1. De la justice comme équité de Rawls à l’égalité équitable des chances par l’accès au

3.1.1. La notion de justice comme équité de Rawls

3.1.1.2. L’idée de réciprocité et de coopération équitables

Implicitement présentes dans le principe de différence, la réciprocité et la coopération équitable sont des réponses à l’utilitarisme qui minimise les individualités au profit du groupe. En effet, « le fait que le principe de différence comprenne une idée de réciprocité le distingue du principe d’utilité restreinte » (Ralws, 2009 : 171). Rawls considère la réciprocité comme un idéal social. Dans la perspective idéale de la société démocratique qui constitue la trame essentielle de sa théorie, tant qu’ils sont concepteurs de la société, les citoyens doivent avoir la réciprocité comme idéal social de base, d’autant plus que les principes de la justice ne doivent pas être considérés comme des normes imposées de l’extérieur, ou venant d’une autorité quelconque. Les principes de la justice doivent être le fruit de la coopération sociale entre les individus. Alors, pour autant qu’elle soit importante dans l’organisation de la structure de base de la société, l’idéal de coopération doit être complété par la réciprocité en tant qu’elle envisage chaque citoyen dans une dimension de symétrie et de mutualité. C’est pourquoi dans le principe de différence, l’idée de réciprocité aboutit nécessairement à la justice comme équité. Borde (2003) affirme à ce

propos que l’idée de réciprocité se situe entre celle d’impartialité et celle de l’avantage mutuel. Et que la réciprocité, dans le cadre de la théorie de la justice comme équité, est une relation entre citoyens, commandée par les principes de la justice qui gouvernent le social.

L’idéal pour une société est donc selon Rawls de partir de la réciprocité qui à la base favorise l’équité. On pourrait même dire que l’équité repose fondamentalement sur l’idée de réciprocité. Et il y a équité entre citoyens lorsque tous prennent conscience qu’ils partagent les mêmes droits et les mêmes libertés. Il va sans dire que ces droits et libertés vont de pair avec les devoirs à accomplir. L’idée de réciprocité, nécessaire pour le choix des principes de gouvernance et de redistribution, est une des idées essentielles du principe de différence de la théorie de la justice. Rawls, en effet, met l’accent sur l’égalité démocratique parce que, selon lui, la participation de chaque citoyen est essentielle, car il doit jouir d’une égale représentativité dans chaque chapitre de la vie sociale dans la logique de la justice procédurale qui nécessite consultation et délibération (Rawls, 2009 : 117-118; 1995 : 1221-142).

Le principe de différence de Rawls préconise donc une maximisation des attentes des plus défavorisées, quel que soit le niveau de richesses. En cela, il est essentiellement un principe de réciprocité. Cependant, Norman Daniels (2009; 1985) ajoute un élément essentiel à ce principe lorsqu’il présente les valeurs politiques d’équité comme nécessaires à la défense de l’équité dans l’accès aux soins de santé; ce faisant, il ouvre la boîte des égalités de droits et de la coopération équitable dans les politiques de santé.

En effet, Rawls, n’envisageant pas explicitement la distribution des soins de santé comme une question de justice prioritaire, c’est à Norman Daniels que revient le privilège d’avoir mis en lumière les fondements éthiques d’une définition et d’une politique de la santé comme biens premiers à partir de la théorie de Rawls. Il a repensé l’équité dans la justice de Rawls en incluant

dans sa liste des biens sociaux premiers la santé et les besoins de santé78. Ses recherches nous permettent donc d’appliquer au domaine de la santé le principe d’équité de Rawls.

À l’analyse de la justice comme équité de Rawls, Daniels lui reproche d’avoir au départ envisagé le monde comme s’il était dépourvu de maladie, de handicap, de mort prématurée. Il postule donc la nécessité de repenser la justice comme équité de Rawls en intégrant les questions de la santé. Alors, il intègre dans l’indice rawlsien des biens sociaux premiers, la santé et les besoins de santé (Daniels, 2003).79 Cependant, il faut préciser que bien que les premiers travaux de Rawls faisaient abstraction du problème de la maladie, du handicap et de la mort prématurée, ses travaux par la suite, certainement sous l’influence des critiques et des travaux de Daniels, sont très proches de la perspective que Daniels propose (Daniels, 2009). Rawls dans la justice

comme équité affirme que distribuer des soins médicaux, ou offrir une assistance médicale

comme une forme d’assurance sociale, ne devrait pas être considérée comme un simple « complément aux revenus des plus défavorisés lorsqu’ils ne peuvent pas payer le coût des soins médicaux qu’ils préfèrent. Mais c’est le contraire : la distribution des

78Selon Daniels, « De même que nous devons utiliser des ressources pour contrer les avantages que les plus chanceux obtiennent grâce à la loterie sociale, nous devons aussi utiliser des ressources pour contrer les désavantages induits par une pathologie. Nous devons répondre aux besoins de santé, y compris aux besoins de soins de santé. Les conditions sociales, comme la classe sociale, le sexe, la race, ainsi que les inégalités ethniques concernant les différents biens contribuent de manière importante à la façon dont la maladie et le handicap sont repartis (…) Le principe rawlsien de l’égalité équitable des chances ne vise pas à corriger toutes les différences de talents et d’aptitudes entre les individus – il accepte leur distribution naturelle comme base et en appelle au principe de différence pour atténuer les effets sur la malchance d’être né avec des talents et des aptitudes moins recherchés sur le marché. De façon analogue, le principe de l’égalité équitable des chances appliqué aux besoins de santé ne vise pas à rectifier ou à niveler toutes les inégalités entre les fonctionnements des gens. Il vise seulement à leur permettre de fonctionner normalement et à leur assurer ainsi une gamme d’opportunités qu’ils auraient sans maladie et handicap. » (2009 : 19).

79 « Comment intégrer l’importance que j’accorde à la santé et aux besoins de santé à l’indice de Rawls ? Une manière simple et plausible de relier mon idée sur les besoins de santé à l’indice rawlsien des biens sociaux premiers est d’élargir sa notion d’opportunité, en incluant les institutions et les pratiques de soins parmi les institutions de base engagées dans le pourvoi de l’égalité équitable des chances. Parce que le fait de répondre aux besoins de santé possède un effet important sur la distribution des opportunités, les institutions de soins de santé devraient être régulées par un principe d’égalité équitable de chances. Une fois que nous faisons le constat du lien entre le fonctionnement normal d’un individu et sa part équitable de la gamme d’opportunités, cette stratégie apparaît comme une façon naturelle d’étendre la conception de Rawls. Cette proposition ne change pas la liste des biens premiers sociaux qui restent des propriétés abstraites et générales des arrangements sociaux : les libertés fondamentales, les opportunités, ainsi que certains moyens échangeables, utiles quels que soient nos buts (les revenus et la richesse)… » (Daniels, 2009 : 18).

soins médicaux, comme celle des biens premiers en général, doit satisfaire les besoins et les exigences des citoyens comme libres et égaux. Ces soins font partie des moyens généraux nécessaires pour garantir l’égalité équitable des chances et notre capacité à tirer avantage de nos droits et libertés de base, et ainsi d’être des membres normaux pleinement coopérants de la société pendant toute notre vie. Cette conception des citoyens nous permet d’accomplir deux choses : d’abord, estimer l’urgence des différentes sortes de soins médicaux et, ensuite, définir la priorité relative des revendications relatives aux soins médicaux et à la santé publique en général, par rapport aux autres besoins et nécessités sociales. En ce qui concerne le premier objectif, le traitement qui restaure la santé des personnes, qui les autorise à reprendre leur vie normale comme membres coopérants de la société, a une urgence considérable. » (2004 : 237)

Cette affirmation de Rawls enrichie par les réflexions de Daniels nous permettra d’envisager l’accès équitable des pauvres aux soins de santé dans une perspective de développement équitable et durable80. Car c’est à Daniels que revient le mérite d’avoir repensé la théorie de Rawls en faveur de l’accès équitable aux soins. Il défend la nécessité de développer un système de solidarité en matière de santé vu sa grande importance, dans le but d’accorder à chacun les mêmes chances et les mêmes opportunités pour la réalisation de soi. C’est dans cette logique que Chung affirme que :

« Parmi les conceptions libérales de la justice domestique, les travaux de Norman Daniels apportent, à mes yeux, la défense la plus robuste d’une intégration du droit à des soins de santé parmi les réquisits fondamentaux de la justice et des institutions sociales que ceux-ci requièrent. L’interprétation exhaustive du paradigme rawlsien de la justice distributive que nous propose Daniels nous permet de mieux comprendre pourquoi l’accès universel aux soins de santé dérive, non pas du premier principe des libertés égales, mais des exigences du principe de différence, qui comprend la condition initiale de l’égalité des chances. Cette condition sine qua non se porte garante du caractère légitime des inégalités pouvant être tolérées au sein d’une société juste. » (2007 : 139)

80 C’est sur cette affirmation que nous fondons notre choix de sa théorie de justice comme cadre de référence de notre réflexion et de notre recherche doctorale bien qu’il y ait un besoin évident de son adaptation à notre contexte d’étude.

3.2. Les fondements éthiques de l’accès universel aux soins chez