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CHAPITRE I : Problématique, hypothèse et objectifs de recherche

1.3. Les objectifs de recherche

Cette thèse a pour objectif principal d’analyser les modalités d’opérationnalisation des principes de responsabilité et de solidarité de manière à engendrer au Cameroun une configuration sociale dans laquelle les plus démunis pourraient bénéficier d’un accès financier juste et équitable aux soins de santé. En envisageant la santé comme un droit fondamental de l’être humain, comme aptitude fonctionnelle et comme capital humain, elle explore les voies de l’articulation de ces deux principes dans le contexte spécifique de ce pays où 90 % de la population active travaillent dans le secteur informel et où le système de sécurité sociale, dont l’assurance maladie, couvre à peine 10 % de privilégiés de la population active (INS, 2011; 2013; Fouomene, 2013).

Elle vise une relecture des droits sociaux, de ses tensions et de ses évolutions au Cameroun à partir du principe de responsabilité sociale et de solidarité. Autrement dit, ce travail fait une évaluation de la situation de l’accès financier aux soins de santé des travailleurs en situation de vulnérabilité, et une interprétation des transformations des politiques nécessaires, en vue d’une ré-irruption du vocabulaire de la responsabilité sociale et de la solidarité au sein des pratiques sociales et du discours politique, en l’occurrence celui de l’État social face à l’exclusion d’un nombre toujours plus croissant d’individus vulnérables des services de santé et à l’incapacité du système social en place à trouver à ce problème une solution efficace et durable (Nkoa et Ongolo-Zogo, 2012; Fouomene, 2013; Owoundi, 2013, Banque mondiale, 2013).

Les principes de solidarité et de responsabilité sont donc envisagés dans une logique pratique et éthique comme de nouveaux piliers d’une philosophie morale qui peut guider l’action politique et sociale au Cameroun, à l’heure où les multiples crises que connaît ce pays minent les bases d’une véritable coopération sociale responsable et d’une solidarité sociale nécessaire pour une prise en charge des inégalités sociales (Eloundou-Enyegue 1992; Bekoko Ebe, 2003; Fouomene,

2013; SNU/MINEPAT, 2013; Banque mondiale, 2013).30Ces deux principes qui seront amplement définis au chapitre 4 nous permettront donc d’évaluer les politiques en matière d’accès aux soins de santé mises sur pied par le gouvernement camerounais pour les populations en situation de précarité, exclues ou marginalisées. Ils permettront aussi d’évaluer les capacités et possibilités de responsabilisation des citoyens, notamment les travailleurs de l’économie informelle 31qui ont un rôle économique et social capital à jouer, dans la transition vers l’accès financier aux soins des moins favorisés, pour l’atteinte à moyen ou à long terme de l’objectif de couverture universelle des soins dans le pays. Les principes de responsabilité et de solidarité sont donc considérés dans ce processus de transition comme deux rails nécessaires pour parvenir à la concrétisation de cette transition à partir des stratégies multidimensionnelles que cette thèse se propose d’explorer. C’est-à-dire un choix politique conséquent qui vise à modifier favorablement et durablement les conditions matérielles, organisationnelles et éthiques de travail, de productivité et de participation ;une politique globale — politiques sociales, économiques, et d’emploi — et une stratégie transversale qui définissent les différentes responsabilités et qui intègrent de façon harmonieuse et efficiente les différents secteurs et acteurs de l’action politique déterminant l’accès universel aux soins.32

30La praxis de la responsabilité et de la solidarité apportent les matrices référentielles communes aptes à construire une identité anthropologique des acteurs impliqués et des principes directeurs d’action (justice sociale, réciprocité, relation d’égalité, autonomie et coopération équitable). Voir : R. Chappuis (1999). La solidarité : l’éthique des

relations humaines. Paris : Presses universitaires de France ; R. Fleurbaey (2007). « Solidarité, égalité,

libéralisme », dans, Repenser la solidarité. L’apport des sciences sociales. Paris : Presses Universitaires de France : 71-85 ; H. Nicolopoulou (2009). « La gouvernance de médiété pour un développement responsable en liberté, en santé et en équité durable », dans, Le défi de l’équité et de l’accessibilité en santé dans le tiers-monde. Entre droit

fondamental, justice sociale et logique marchande, p.305-327. Québec/Paris : Presse de l’Université

Laval/L’Harmattan.

31Abdoulie Janneh, Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, introduisant une étude portant sur la mesure du secteur informel et l’emploi informel en Afrique affirme : « Le secteur informel prend une part de plus en plus grande dans l’économie des pays en développement et plus particulièrement en Afrique, en termes de production, de distribution de revenu ainsi que de création d’emplois. De plus, les stratégies de réduction de la pauvreté placent au centre des politiques de développement les questions d’emploi ou de micro finance, intimement liées au secteur informel. Par ailleurs, vu l’impact de la crise économique et financière mondiale et des autres crises, il est indéniable que l’économie informelle, qui, dans les pays africains, est à l’origine de la création de plus de 80 % des emplois, a un rôle clé à jouer pour la survie des populations les plus pauvres » (Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, 2009 : 7).

32Développer des solutions d’accès aux soins pour les pauvres et ceux qui vivent une situation de précarité est nécessaire, mais non suffisant. Simultanément, des mesures sociales et économiques de lutte contre la pauvreté et

Ce travail est donc une contribution à la réflexion sur les conditions favorables à la transition susmentionnée.33Nous l’envisageons au sens que suggèrent Carrin, James et Evans (2005) (voir ci-dessous figure 2), c’est-à-dire de créer des conditions nécessaires pour passer de la non-prise en charge financière des soins de santé à la couverture universelle posée comme objectif depuis une décennie par le gouvernement camerounais (MINSANTE, 2006). Un choix politique conforme à la résolution de l’OMS (2005a) adoptée par l’Assemblée mondiale de la santé en 2005 portant sur la transition vers la couverture universelle de tous les citoyens des États membres. À ce sujet, l’OMS affirme que :

« L’idée selon laquelle toutes les personnes doivent avoir accès aux services de santé dont elles ont besoin sous-tend une résolution adoptée par l’Assemblée mondiale de la santé 2005, qui invitait instamment les États membres à prévoir la transition vers la couverture universelle de tous les citoyens pour contribuer à répondre aux besoins de la population en matière de soins de santé et à améliorer la qualité de ceux-ci, à lutter contre la pauvreté, à atteindre les objectifs de développement convenus sur le plan international. Le Rapport sur la santé dans le monde 2008, consacré au rôle central des soins de santé primaires au sein des systèmes de santé, a repris cette thématique (...) Le double objectif, qui consiste à assurer l’accès aux services de santé tout en protégeant les personnes contre le risque financier, a été réaffirmé en 2012 dans une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies qui promeut la couverture sanitaire universelle, y compris la protection sociale et la durabilité du financement. Cette résolution de 2012 va encore plus loin; elle souligne l’importance de la couverture sanitaire universelle pour la réalisation des OMD, le recul de la pauvreté et le développement durable » (2013a : 6).

Assurer l’accès aux services de santé et protéger les personnes contre le risque financier — tel que l’a affirmé la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies dans son

pour le renforcement des capacités en vue de la participation doivent être prises en compte (Lahmiti et Aboussad, 2010 : 109).

33Carrin, James et Evans stipulent que « La rapidité du passage à la couverture universelle dépend de plusieurs facteurs. Parmi ceux qui ont tendance à accélérer la transition figure une forte croissance économique, la population ayant alors les moyens de cotiser davantage au système de financement de la santé ; l’essor du secteur structuré, qui facilite l’estimation des revenus et le prélèvement des cotisations ; et un personnel qualifié capable d’administrer un système national. Les autres éléments qui facilitent la transition sont l’adhésion de la société au principe de solidarité, la bonne gestion des affaires publiques et la confiance que la population fait au gouvernement » (Carrin, James et Evan, 2006 : 3-4).

souci de promouvoir la couverture universelle en santé — passe nécessairement par une transition en ascension comme l’ont schématisé Carrin, James et Evans (2005) dans la figure suivante.

Figure 2 : La transition en ascension vers la couverture universelle

Source : Résumés techniques pour décideurs, Organisation mondiale de la santé (Carrin, James et Evan, 2005)

L’objectif principal ainsi présenté se décline en un certain nombre d’objectifs spécifiques qui orientent la recherche.

1.3.2. Objectifs spécifiques

À partir des entrevues de groupe et des entrevues individuelles que nous avons menées sur le terrain, il est donc question :

- D’identifier de manière pratique les contraintes liées à l’accès financier aux services de santé des personnes en situation de vulnérabilité; d’identifier leurs référentiels communs, leurs opinions, idées, valeurs et potentialités susceptibles d’aider à la recherche de solutions plus

Couverture universelle santé

 Financement par l’impôt  Assurance maladie

obligatoire  Combinaison de

financement par l’impôt et de divers types d’assurance maladie Étape intermédiaire de la couverture Combinaison de :  assurances maladie communautaires,

 régimes de type coopératif ou d’assurances par l’entreprise,  toutes formes d’assurance

privée,

 assurance maladie obligatoire pour certains groupes  financement par l’impôt

Absence de protection financière

Paiement direct des soins

adaptées ou à accroître l’efficacité des solutions déjà proposées.

- D’approfondir le cadre d’analyse du système de santé au Cameroun en mettant l’accent sur l’iniquité et sur la vulnérabilité dans l’accès financier aux services de santé pour la population en situation de vulnérabilité ou d’exclusion.

- D’envisager la solidarité, la responsabilité et la justice en santé comme une réalité sociopolitique, socioéconomique, multifactorielle dépassant le simple cadre médico-sanitaire; comme un projet social pour le développement durable.

- De faire une analyse critique de l’accès financier aux soins de santé au Cameroun pour une contribution à un modèle d’accès aux soins plus favorable à l’exercice du droit à la santé des pauvres et des personnes vulnérables.

- D’évaluer l’apport des travailleurs de l’économie informelle dans la transition nécessaire vers l’assurance universelle santé, compte tenu de leur importance dans l’économie nationale et du potentiel d’innovation économique et sociale non exploité que représente ce secteur.

L’atteinte de ces objectifs passe par une connaissance du contexte d’étude que le chapitre suivant se chargera de décrire. En effet, une meilleure connaissance du profil sanitaire, de la structuration et du fonctionnement du système de santé, ainsi que des conditions de travail et de soins des travailleurs du secteur informel permettront une meilleure compréhension du problème et d’apprécier la pertinence des solutions qui seront envisagées.

CHAPITRE 2 : Contexte socio-sanitaire camerounais et