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CHAPITRE I : Problématique, hypothèse et objectifs de recherche

CHAPITRE 2 : Contexte socio-sanitaire camerounais et accès aux soins des travailleurs

2.5. Les travailleurs du secteur informel urbain au Cameroun : les questions de pauvreté et de

2.5.2. De la notion de vulnérabilité

La vulnérabilité est un concept essentiellement polysémique. L’acception que nous retenons dans ce travail est celle normative et fonctionnelle contrairement à celle philosophique ou anthropologique qui traite de la vulnérabilité ontologique de la condition humaine (Thomas, 2008). L’approche de la vulnérabilité normative et fonctionnelle traduit par contre l’incapacité d’un individu, d’un ménage ou d’un segment bien identifié de la population à faire face à un risque. On le préfère au terme de pauvreté pour sa valeur heuristique. En effet,

« Si le mot « pauvreté » a sans doute l’avantage d’être le plus clair dans les représentations communes, il n’en pose pas moins un problème majeur, celui de la définition des seuils. Si la pauvreté a d’abord été envisagée dans sa dimension absolue et quantitative, avec la recherche de seuils au-dessous desquels une personne ne peut plus assurer son entretien et sa subsistance, on lui a ensuite préféré une acception relative et plus qualitative, pour pallier la considérable variation des seuils d’une période et d’un pays à l’autre. » (Brodiez- Dolino, 2013 : 3)

La notion de vulnérabilité est largement analysée aujourd’hui et possède plusieurs avantages. Comme celle d’exclusion, elle va au-delà de la seule dimension économique de la « pauvreté- précarité » au profit d’une acception « pluri-causale » et « pluri-dimensionnelle ». D’autre part, elle est susceptible de désigner aussi bien un état qu’un processus, un individu qu’un groupe social, une situation conjoncturelle que structurelle, et permet, tant par ses origines disciplinaires que par ses acceptions induites, pour y répondre de lier très adéquatement dimensions sociales et sanitaires dans une dynamique de mobilisation politique et sociale (Brodiez-Dolino, 2013).

D’apparition récente, ce concept a connu une extension rapide à des domaines variés comme le droit, l’action politique, l’analyse socioéconomique, l’économie de la santé et du développement.

Les types de risques ainsi que les capacités des personnes concernées traduisent la nature et le degré de vulnérabilité. Elle peut être liée à la situation géographique (non-proximité des services, risques climatiques, etc.); elle peut être liée aux étapes du cycle de vie, à la maladie, au genre, à l’infirmité, ou à un handicap physique (enfants sans protection, femmes célibataires,

personnes âgées, malades chroniques, personnes atteintes de maladies graves ou potentiellement incapacitantes, personnes handicapées, etc.); elle peut aussi être liée au statut économique et à l’absence de sécurité sociale (niveau de revenus, personne non active, faiblesse de l’épargne, etc.). Les individus vulnérables sont ceux qui dans une société donnée sont menacés dans leur autonomie, dans leur dignité ou dans leur intégrité physique ou psychique (Chambers, 1989; Poché, 2004; Schröder-Butterfill et Marianti, 2006). Aussi, « suivant les régions géographiques, les contextes politiques, les niveaux socio-économiques, les catégories de personnes présentées comme vulnérables peuvent varier » (Boetsch, 2010 : 9). Les politiques de santé dans les pays en développement sont très souvent prises au dépourvu pour satisfaire les nécessités les plus urgentes en santé d’une large majorité de la population. Et les populations urbaines de ces pays augmentent à un tel rythme qu’une majorité peut à peine subvenir à ses besoins élémentaires en termes d’alimentation. La grande majorité est donc exclue des services de base. Cette frange de la population constitue une population à haut risque (Obrist, 2006; Boetsch, 2010).

La vulnérabilité est un concept qui permet donc de saisir la relation d’un sujet avec le risque61 d’être exposé à une menace et le risque de manquer des protections nécessaires pour faire face à la menace, à la fragilité et à l’incertitude du lendemain. Le concept de vulnérabilité est corrélé à ceux d’iniquité, de désaffiliation, de solidarité, d’assistance et de protection (Poché, 2004;

61Le risque est défini généralement comme une probabilité plus ou moins élevée pour que survienne un évènement dommageable ou nuisible au bien-être. Il peut concerner un individu, un ménage, une collectivité ou une catégorie sociale d’individus.

ANR, 2013). L’étude de la vulnérabilité des personnes porte à prêter attention à la fois au risque en soi, mais aussi aux capacités des individus à mobiliser les ressources nécessaires pour se protéger (Lachaud, 2006; Brodiez-Dolino, 2013). Saunders utilise le concept de vulnérabilité dans le domaine du marché du travail pour décrire les mauvaises conditions de travail et de vie des travailleurs. Pour lui, les vulnérables sont des personnes définies comme proches du niveau de pauvreté, et dont les ressources économiques sont insuffisantes. Ces personnes sont d’autant plus vulnérables qu’elles sont à la fois mal rémunérées et n’accèdent pas à différentes sources de protection et des droits sociaux (Saunders, 2003; Lachaud, 2006)62. L’approche de Saunders est essentiellement socioéconomique et vise à appréhender les insuffisances de ressources, leurs impacts et effets sur les trajectoires des individus des groupes concernés. Thomas fait remarquer par ailleurs que les termes de vulnerability (vulnérabilité), frailty and fragility (fragilité) et

precariousness ou precarity (précarité) – qui sont des concepts très proches – ont été

massivement employés depuis 1970 par les experts anglo-saxons pour analyser les risques liés aux catastrophes naturelles et la question du développement durable63. Ils sont devenus par la force des choses aujourd’hui des concepts théoriques centraux des sciences sociales du monde francophone et sont de plus en plus utilisés par les experts pour analyser et expliquer des processus sociaux de vulnérabilisation, de fragilisation et de précarisation (Thomas, 2008)64. La notion de vulnérabilité fait donc référence à celle d’incapacité, de risque, d’insécurité, et sous-

62 À ce sujet, il affirme: « The new labour market is, to some extent, characterized by highly educated ‘knowledge workers’ whose skills are in demand. But not all workers are in a position to capture the benefits of a strong economy. A large part of the labour force works for low pay, without representation, and with poor prospects of improving their conditions of work. These workers are vulnerable, in that their participation in the labour market leaves their wellbeing at risk. More specifically, vulnerable workers find it difficult to access work that provides a decent income and working conditions that meet societal norms. » (Sauders, 2003 : 7)

63 « Dans le vocabulaire anglo-saxon, la vulnérabilité humaine, sociale et urbaine est aujourd’hui un concept-clé des analystes du développement durable (sustainable) et de l’économie du Welfare » (Thomas, 2008). Repéré à http://www.reseau-terra.eu/article697.html.

64 En effet, « C’est à partir des années 1980 que les notions de vulnérabilité (vulnerability, precariousness), d’insécurité (insecurity, uncertainty) et de fragilité (fragility, weakness, frailty) émergent avec celle de risques au niveau international dans le champ des sciences humaines et sociales. Elles sont pour certaines importées en France comme catégories de classement, et leurs indicateurs sont réinventés. Dans le vocabulaire anglo-saxon, la vulnérabilité humaine, sociale et urbaine est aujourd’hui un concept-clé des analystes du développement durable (sustainable) et de l’économie du Welfare » (Thomas, 2008).

tend l’urgence de renforcement des capacités et de protection sociale (Castel, 1995; Chen, Vanek et Carr, 2002; Soulet et Châtel, 2003).

L’amélioration de l’accès aux soins de santé d’une population passe inéluctablement par une action sur les déterminants de la vulnérabilité. Et les déterminants de l’accès aux soins sont à la fois déterminants de la santé elle-même qui à son tour détermine la vulnérabilité. Le chômage, le stress professionnel, les conditions de travail, le niveau d’éducation bas, le manque de formation, l’environnement socioéconomique défavorable, le revenu insuffisant, etc. constituent autant de facteurs qui engendrent et maintiennent la vulnérabilité des individus ou d’une catégorie sociale comme celle des travailleurs de l’économie informelle au Cameroun (Lahmiti et Aboussad, 2010; Bem et al., 2013; Nana Djomo et al., 2014).

Il y a donc une forte tendance aujourd’hui en sciences humaines et sociales à utiliser la notion de vulnérabilité pour qualifier la condition des personnes en incapacité de faire face aux exigences et aux épreuves de la vie sociale et donc en dépendance de l’intervention sociale ou médico-sociale. Être nommée comme personne vulnérable signifie être dans une situation de manque, de faiblesse qui nous différencie des autres personnes capables de faire face. Dans cette logique, Castel (1995; 2003) l’utilise d’ailleurs pour qualifier non pas un état, mais les conditions sociales qui la produisent : « La notion de vulnérabilité permet [donc] d’offrir un cadre pour analyser, à la fois, les évolutions des déterminants sociaux et économiques de la santé, les transformations des questions sociales et les interrelations entre dimensions sociales et sanitaires. » (ANR, 2013 : 5)

Le caractère pluridimensionnel et la valeur heuristique du concept de vulnérabilité est dans ce travail une clé de lecture et un outil de description et d’interprétation de la situation de la fragilité sociale et économique des travailleurs urbains de l’informel. Tout compte fait, la notion de vulnérabilité offre une perspective nouvelle d’analyse des liens entre pauvreté et santé. Ce concept permet dans ce travail une approche dynamique des facteurs qui conditionnent l’accès aux soins des individus. Elle ne détermine pas seulement le niveau de pauvreté financière des individus, mais aussi les risques d’être vulnérables qu’ils courent à court, à moyen ou à long terme après une dépense pour l’accès aux soins qui peut se révéler catastrophique.

2.5.3. Conditions d’emploi des travailleurs urbains vulnérables du secteur