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3. Qu’est-ce que l’énonciation ?

Dans cette partie de notre travail, nous allons nous intéresser aux différentes définitions de la notion d‟énonciation enseignée depuis quelques années déjà dans les lycées algériens. Cependant nous avons remarqué que les définitions sont assez nombreuses, voici celles que nous avons recensées :

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C‟est chez Benveniste que nous trouvons la définition devenue canonique de l‟énonciation : « l’énonciation est cette mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation ». (1995, II : 80)

Selon Stéphane Mosès, Benveniste pose une distinction fondamentale entre le système abstrait de la langue et son appropriation subjective par le sujet parlant, la langue considérée comme un système de signes clos où les signes sont définis les uns en fonction des autres, les questions concernant la relation du signe avec la réalité extralinguistique ne sont pas posées (Mosès, 2001 : 511-512). Mosès précise que la critique de Benveniste vis-à-vis de la conception saussurienne concerne justement le fait que celle-ci ne distingue pas nettement entre le signifié et le référent :

« La critique de Benveniste à l’égard de Saussure porte justement sur le fait que celui-ci ne distingue pas nettement entre le signifié (qui est une des faces du signe) et le référent, indépendant du sens, et (qui est l’objet particulier auquel le mot correspond dans le concret de la circonstance ou de l’usage) » (Mosès, 2001 : 512).

En effet la langue se présente comme un système d‟unités linguistiques, mais ce système purement formel reste abstrait tant qu‟il n‟a pas été actualisé par un locuteur dans un acte individuel de création que Benveniste désigne par le terme d‟énonciation :

« Il faut donc distinguer entre le matériel linguistique abstrait (ou énoncé type), et les

multiples réalisations que sont les actes de discours (ou énoncés-occurrences) : c’est à ce deuxième niveau que s’inscrit la problématique de l’énonciation » (Arrivé, Gadet, Galmiche, 1999 : 254)

L‟énonciation qui est la réalisation particulière d‟un énoncé par un sujet parlant déterminé, ce que Benveniste qualifie de « conversion du langage en discours » (1995, II : 254). Dans une première approche l‟énonciation, sera définie, selon Benveniste, comme l‟acte individuel d‟utilisation par lequel un locuteur met en fonctionnement la langue,

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pour l‟opposer à l‟énoncé considéré comme le résultat de cette utilisation, en effet, on peut lire dans le dictionnaire de linguistique et des sciences du langage que :

« L’énonciation est l’acte individuel de production, dans un contexte déterminé, ayant

pour résultat un énoncé ; les deux termes s’opposent comme la fabrication s’oppose à l’objet fabriqué. L’énonciation est l’acte individuel d’utilisation de la langue, alors que l’énoncé est le résultat de cet acte, c’est l’acte de création du sujet parlant devenu alors ego ou sujet d’énonciation » (Dubois et al., 1991 : 180).

Nous avons recensé une autre définition de la notion d‟énonciation proposée par Ducrot qui considère l‟énonciation comme l‟évènement se rapportant à la production de l‟énoncé, voici la reformulation qu‟il donne dans son Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage :

« C’est l’événement historique constitué par le fait qu’un énoncé a été produit, c'est-à dire qu’une phrase a été réalisée. On peut l’étudier en cherchant les conditions sociales et psychologiques qui déterminent cette production […]. Mais on peut aussi étudier […] les allusions qu’un énoncé fait à l’énonciation, allusions qui font partie du sens même de cet énoncé. Une telle étude se laisse mener d’un point de vue strictement linguistique, dans la mesure où toutes les langues comportent des mots et des structures dont l’interprétation fait nécessairement intervenir le fait même de l’énonciation » (Ducrot, Shaeffer, 1995 : 603).

Nous constatons que le point central de la linguistique énonciative est la place accordée au sujet parlant, les différentes conceptions qui apparaissent ont pour point commun la critique de la linguistique de la langue et une volonté d‟étudier les phénomènes relatifs à la parole (productions des énoncés par les locuteurs dans la réalité de la communication, éléments linguistiques et extralinguistiques).

Depuis les années 60 les linguistes affirment que le domaine de l‟énonciation ne relève pas exclusivement de l‟individuel mais qu‟une part significative peut être décrite et

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analysée en termes de système : « malgré ce caractère individuel, l’énonciation peut être étudiée en tant que système » (Cuq, 2003 : 81). La linguistique s‟est donc trouvé ramener, vers le problème de l‟énonciation, les contributions de Benveniste ont fondé en droit cette étude. Une distinction entre chaque énonciation individuelle et le schéma général de l‟énonciation, considérée comme un phénomène, est désormais opérée. On admet alors qu‟un ensemble de mécanismes spécifiques intervient, lorsque la langue considérée comme un système abstrait se trouve mis en exercice dans une situation de communication. La description du fonctionnement de la langue suppose l‟étude de « cette

mise en exercice » (Benveniste, 1995) du système, qui seul rend possible la production

d‟énoncés, la conversion de la langue en discours par l‟énonciateur.

L‟acte individuel d‟appropriation de la langue par un locuteur constitue la première marque formelle de toute énonciation. La deuxième marque est la situation d‟intersubjectivité, en effet, l‟énonciation se produit nécessairement dans une situation d‟intersubjectivité. L‟énonciateur s‟adresse toujours explicitement ou implicitement à quelqu‟un : « immédiatement dès qu’il se déclare locuteur et assume la langue [le sujet] implante l’autre en face de lui » (Benveniste, 1995: 82 ). On peut alors définir l‟énonciation comme un acte individuel de création par lequel un locuteur met en fonctionnement la langue, il s‟agit d‟un échange linguistique qui met en jeu des individus (locuteur et allocutaire), dans une situation particulière. En effet, Maingueneau précise que :

« L’énonciation ne repose pas sur le seul énonciateur : c’est l’interaction qui est la première […]. L’individu qui parle n’est pas nécessairement l’instance qui prend en charge l’énonciation » (1996 : 36).

Le troisième caractère formel de toute énonciation, selon Benveniste, est la référence à la réalité qui doit être comprise sur l‟horizon de l‟intersubjectivité, car l‟identification de la part de réalité à laquelle l‟énonciation renvoie fait obligatoirement l‟objet d‟un accord entre les deux protagonistes de l‟échange verbal et ceci « dans le

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consensus pragmatique qui fait de chaque locuteur un colocuteur » (Benveniste, II, 1995 : 82 ).

Le caractère dialogal de l‟énonciation est mis en évidence par Benveniste dans le passage suivant :

« Ce qui en général caractérise l’énonciation est l’accentuation de la relation discursive au partenaire que celui-ci soit réel ou imaginé, soit individuel ou collectif. Cette caractéristique pose par nécessité ce qu’on peut appeler le cadre figuratif de l’énonciation. Comme, forme de discours, l’énonciation pose deux « figures » également nécessaires l’une source, l’autre but de l’énonciation, c’est la structure du dialogue. Deux figures en position de partenaires sont alternativement protagonistes de l’énonciation. Ce cadre est donné nécessairement avec la définition de l’énonciation » (Benveniste, II, 1995 : 85 ).

Nous constatons que cette conception interactionnelle de l‟énonciation remet en cause la représentation classique de la communication, en effet les deux protagonistes construisent ensemble la communication, et c‟est pour cette raison que l‟énonciation devient chez Culioli la co-énonciation.

Anscombre et Ducrot considèrent l‟énonciation :

« Comme une activité langagière exercée par celui qui parle au moment où il parle » (1975 : 5).

Pour Kerbrat-Orecchioni, l‟énonciation :

« est la recherche des procédés linguistiques par lesquels le locuteur imprime sa marque à l’énoncé, s’inscrit dans le message et se situe par rapport à lui » (1988 :32).

Dans le dictionnaire de linguistique et des sciences du langage nous avons trouvé la définition suivante :

« il s’agit essentiellement, pour les initiateurs de ce concept de dégager les éléments qui, dans les énoncés peuvent être considérés comme les traces ou les empreintes des procès

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d’énonciation qui les ont produits, puis de dégager leur fonctionnement, leur organisation, leur interaction »(Dubois et al,. 1991 : 180-181 ).

L‟énonciation est donc l‟acte individuel de création par lequel un locuteur met en fonctionnement la langue et ayant pour résultat un énoncé, par conséquent il importe de distinguer ce qui est dit : l‟énoncé et la présence du locuteur à l‟intérieur de son propre discours : l‟énonciation. Benveniste ajoute que :

« Ce sont en réalité deux mondes différents et il peut être utile d’insister sur cette différence qui implique une autre manière de voir les mêmes choses » (1995 : 76).

Nous retrouvons la même définition des notions d‟énonciation et d‟énoncé dans les programmes de première et de deuxième année secondaire, en effet nous pouvons lire au niveau des pages 50-51 les définitions suivantes :

« L’énoncé est le produit de l’acte d’énonciation, nous l’employons dans un sens restreint : partie de texte sous-tendue par une intention communicative […] la situation d’énonciation : ensemble de facteurs qui déterminent la production d’un énoncé (nombre et personnalité des participants, cadre spatio-temporel, l’attitude de l’énonciateur par rapport au contenu de son énoncé)» (Programmes de 1A.S : 50-51).

Nous avons relevé une autre définition de l‟énonciation au niveau du manuel scolaire de 1ère A.S. :

« L’énonciation se définit par l’ensemble des facteurs qui déterminent la production d’un discours (nombre et personnalité des participants : présence de je/nous, tu/vous ; indices spatio-temporels liés au moment de l’énonciation "ici", "maintenant" ; marques de jugement. » (Manuel de 1A.S : 15).

Nous constatons qu‟il existe une étroite relation entre les travaux des linguistes et les différentes définitions proposées dans les programmes et les manuels scolaires du secondaire.

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Dans cette section consacrée à la définition de la notion d‟énonciation, nous avons pu constater que les travaux sur l‟énonciation sont d‟une telle diversité et que ce domaine recouvre une série de références très largement hétérogènes.

Après le recensement des différentes définitions de la notion d‟énonciation, nous nous intéresserons, dans la partie consacrée à l‟analyse des programmes des manuels scolaires du secondaire, à l‟évaluation de la mise en œuvre de la linguistique de l‟énonciation. Nous chercherons principalement les traces de l‟énonciation ainsi que la ou les définitions qui lui sont réservées.