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3 Qu’est-ce qu’une Église ?

De retour, après cette expérience où il a cherché « littéralement les morts parmi les vivants », Marius a découvert « un amour naturel [...] qui transformait toutes les conditions de la vie », et qui est « le génie, le pouvoir unique du christianisme » (281). Il s’agit du christianisme entendu comme système de pensée plus que comme doctrine, comme réponse à la question de la finitude. Par l’intermédiaire de son rituel Pater présente ce qui est à ses yeux le véritable « génie de l’Église ». Dans La Renaissance, le rituel1 apparaissait comme un acte visant

à commémorer la découverte par le sujet de sa finitude. Il ne s’agit pas seulement d’un spectacle, comme on l’a reproché à Pater2, mais

bien d’une pratique signifiante3 fondée sur la venue en présence et

la célébrant. Le christianisme que découvre Marius, « au milieu des circonstances vivantes de son apparition réelle dans le monde », est « cette heure enchantée de l’humble “paix de l’Église” » (281). Dans

1. Pater réfère le sentiment la naissance de la religion à l’expérience de l’homme mesurant sa finitude, autrement appelé « sentiment païen » (pagan sentiment) : « Pour- tant, le fondement général de toutes les religions qui existent pour le plus grand nombre dans la nature humaine, est un sentiment païen universel, un paganisme qui existait avant la religion grecque, et qui s’est attardé longuement dans le monde chrétien, indéracinable, comme une herbe persistante, car sa graine est un élément du sol même où elle croît. Ce sentiment païen mesure la tristesse qui emplit l’esprit humain à chaque fois que ses pensées s’éloignent de l’ici et du maintenant » (R 191). Ce sentiment va se lier à des actes propitiatoires qui, au fil de l’évolution, vont donner lieux à des rituels, puis à des systèmes religieux stricto sensu : « Ce sentiment s’attache dès les premiers temps à certains usages de la vie patriarcale : allumer le feu, se laver le corps, sacrifier le troupeau, faire les moissons, observer les jours de fêtes et les danses. Tels sont les commencements d’un rituel, au départ aussi occasionnel et volatil que le sentiment qu’il exprime, mais destiné à devenir l’élément permanent de la vie religieuse. Les usages de la vie patriarcale changent, mais le germe de ce rituel perdure, promu à présent avec un motif consciemment religieux et perdant ainsi son caractère domestique, pour devenir de plus en plus inexplicable à chaque génération. En dépit de ses variantes locales, un tel culte païen reste essentiellement un, et constitue un élément de toutes les religions. Tout comme on administre des opiats à un malade incurable, c’est le calmant que le principe religieux a ajouté à la loi qui assombrit la vie pour la vaste majorité de l’humanité » (R 191-192). Ce que la psychanalyse nous permet de reconnaître comme la commémoration de la première rencontre nécessairement ratée avec le signifiant du manque dans l’Autre.

2. Pour U.C. Knoepflmacher par exemple, Pater réduit la religion aux sentiments et aux rituels, Religious Humanism and the Victorian Novel, op. cit., p. 210 sq.

3. Comme le souligne L. Higgins : « Pater has identified the way in which religious

rituals — the most visible and concrete discursive practices, embodied spectacles both public and communicative — provide a time and space and a “mental atmosphere” for the development of moral “impressions.” » L. Higgins, art. cité, p. 292.

« toute sa fraîcheur primitive », il apparaît comme « ce type d’humanité régénérée » (281) que Giotto ou le jeune Raphaël prendront plus tard comme idéal artistique. L’époque des Antonins est en effet propice à sa diffusion1: bien qu’il ne soit pas chrétien, un empereur modéré comme

Antonin appartient même à ce « groupe de saints païens » (288). Néan- moins, le christianisme du second siècle surpasse la « gaieté païenne2»

(285). Il se donne comme idéal de tout système et comme paradigme de la société telle que l’entend Pater, qui les définit en s’appuyant sur le Pasteur d’Hermas, « le livre religieux le plus caractéristique de l’époque » (285).

Le christianisme promeut la « chasteté » fortifiant « la réhabilitation du travail paisible » (284), et la « famille [...] qui renforc[e] les buts, la gentillesse de la nature elle-même, amicale pour l’homme » (282). Cette famille est structurée par la division sexuelle référée au père et à « l’image de la Mère divine et l’enfant » (278). Dans le paysage visionnaire rencontré plus tôt, était apparue Cécilia, la riche matrone romaine portant « un petit enfant endormi dans ses bras » (278). Cette préfiguration de la Pietà s’oppose à la féminité absolue représentée par Faustine, l’épouse de Marc-Aurèle, et plus encore par la reine Margot dans Gaston de Latour qui ont rejeté la maternité. En face de cet idéal maternel, il y a la « fonction du Bon Pasteur », « sous lequel la vision béatifique se réalise d’un règne de paix », la fonction du roi (figure du père imaginaire de la psychanalyse) qui est le « parachèvement de l’es- pérance brillante et hardie de la nature humaine » (285). La figure du Bon Pasteur représente un Autre qui ne saurait faillir. Cette promotion de « l’idéal de la famille, de l’industrie, du travail de l’homme en vie [...] se traduisait aussi [...] par une influence exhortant à la beauté, à l’embellissement de l’existence et du monde » (284) surpassant la « fameuse allégresse grecque 3» (282), laquelle n’en fut qu’un « pâle

reflet » (285), par son véritable esthétisme : « son gage visible constant, [...] une grâce de bon ton [...] un charme mystique, une courtoisie » (282).

Exemple consommé de l’équilibre entre les sphères éthique et esthé- tique, l’Église est avant tout gracieuse. Alors que la charité païenne agit

1. « La gloire majeure du règne des Antonins était d’avoir dispensé à la société [...] plusieurs des fins vers lesquelles le christianisme courait droit » (M 283).

2. Pater reprend l’expression de « pagan blitheness », dérivée de M. Arnold, et utilisée dans « Winckelmann », Westminster Review, vol. 67, 1867, p. 107.

3. Pater se réfère à l’Esthétique d’Hegel analysant l’art grec en termes d’allégresse, de largeur et de généralité, qu’il reprend dans La Renaissance.

« tardivement, et comme mue par le douloureux calcul de la vieillesse », la charité chrétienne « le faisait presque sans y songer, avec toute la généreuse ardeur de la jeunesse » (283). Le paganisme tient les comptes humains et tente maladroitement de régler la dette symbo- lique de l’homme en la réduisant au semblant, comme en témoigne la vente de ses biens (245) puis l’annulation de la dette publique par Marc-Aurèle (331), mais l’Église se donne, s’offre comme don dans un registre distinct de la dette imaginaire. Elle adopte « l’éthique du Symbolique » (H. Rey-Flaud), telle que Lacan la définira à partir de la figure d’Antigone enterrant Polynice, le frère maudit. Comme l’héroïne de Sophocle, la chrétienne supposée enterrant les « restes honnis de Néron » (284) se fait la gardienne de la coupure, « la gardienne de l’être du criminel comme tel1».

Le christianisme est « l’esprit de métamorphose » à l’œuvre dans le monde — il est la métaphore incarnée — transformant l’univers,

guidé par un sens merveilleux de sélection, d’exclusion, de juxtaposition [qui] engendrait de ce fait un effet de fraîcheur unique, une beauté grave et intègre en même temps parce que le monde des sens, tout le monde extérieur apparaissaient comme les révélateurs de l’onction et de la royauté véritable d’une certaine prêtrise et d’un empire de l’âme interne, laquelle jouissait [...] d’une délicieuse impression de

liberté. (286)

D’ailleurs, Pater ironise gentiment : « le lecteur pensera peut-être que Marius, bien qu’épicurien [...] avait pénétré, par prescience, un âge postérieur au sien et anticipé la poésie et l’art chrétiens comme il devait l’être sous l’influence d’un saint François d’Assise » (286). Cette Église annonce la première renaissance médiévale plus que Marius n’est pro- phète. Comme toute production spirituelle et culturelle, elle connaît les phases — apparition, maturité, déclin — définies dans La Renaissance, et Marius a le bonheur — par la vertu de la licence poétique — de vivre à une époque où « l’Église était fidèle pour quelque temps, plus fidèle peut être qu’elle ne le serait jamais, à cet élément profond de sérénité dans l’âme de son fondateur qui reflétait la bienveillance éternelle de Dieu à l’égard de l’homme » (286). Il vit à une époque où l’Église est « en droite ligne du génie originel » (287). Elle s’écartera parfois de celui-ci — Pater citant l’époque de Constantin marquée par l’« instaura- tion du sectarisme, du puritanisme, de la tristesse ascétique » (287), où elle se repliera sur elle-même devant l’oppression dont elle est victime.

Mais elle saura également retrouver son rapport à l’origine, éprouver la renaissance avec saint François, Dante et Giotto rétablissant au Moyen Âge « la continuité en partie interrompue par les siècles troublés [...] avec l’esprit gracieux de l’Église primitive » (289).

Reprenant l’opposition d’Arnold dans Culture et anarchie entre hellé- nisme et hébraïsme1, Pater ajoute que l’histoire de l’Église pourrait

s’analyser en termes de polarité entre « deux idéaux distincts » (289). L’idéal « ascétique » concevant « l’effort moral [...] comme le sacrifice d’une partie de la nature humaine au profit de l’autre », et l’« idéal de la culture » concevant « le développement harmonieux de toutes les parties humaines » (289). Observant un mouvement de balancier entre l’ascétisme et la culture arnoldienne, l’Église peut, comme tout système, connaître ses fanatiques. Preuve en est donnée par le monta- nisme et ses surgeons : « une révolte fanatique — aiguë, faussement anti-mondaine, toujours empreinte d’un air d’affectation ascétique et d’un dégoût bigot, en particulier pour toutes les grâces spécifiques de la féminité » (289). Le montanisme est un « puritanisme de l’époque » (290) qui s’oppose à l’équilibre du second siècle où « [l’Église] était, au moins pour une saison à cette période critique du développement du christianisme, en faveur de la raison, du sens commun, du respect de la nature humaine et de manière générale pour ce que l’on pourrait appeler le christianisme naturel » (290).

Dans son équilibre et sa fidélité à son origine, l’Église est « humaniste par une renaissance prématurée, incontestable » (292). Comme l’indi- vidu tel que le pense Pater, elle connaît une renaissance authentique, suscitée alors par les évêques de Rome « transformés [...] en pasteurs universaux » (290), car ils ont su parler cette langue commune dans laquelle chacun peut s’identifier, se reconnaître, et qui fait lien entre l’individuel et l’universel. Dans la perspective d’un parallélisme avec les effets du renouveau catholique victorien, c’est aussi l’époque du « culte de la beauté de la sainteté », voire de « l’élégance de la sainteté » (290), réapparaissant tant chez Giotto ou Dante que chez les bâtisseurs de cathédrales ou les maîtres de musique sacrée. Le « charme esthé- tique » (290) de l’Église catholique auquel certains contemporains de Pater ont ou vont succomber, est déjà sensible, « par une anticipation

1. M. Arnold, « Hebraism and Hellenism », Culture and Anarchy, op. cit. Arnold pense que l’histoire est traversée par deux tendances, l’hellénisme, défini comme « spontanéité de conscience » et l’hébraïsme qui est « conscience stricte » (128). Cha- cune devient dominante, l’hellénisme durant la Renaissance et l’hébraïsme depuis la Réforme (136). Il réclame davantage d’hellénisme dans la société victorienne (151).

obscure de ces moments enchantés vers la fin du deuxième siècle » (290). Pater présente une église « catholique » au sens étymologique par le truchement de l’Église du second siècle élevée au rang de para- digme. Cette période est en outre importante car elle comporte « les premiers développements du rituel sous la présidence de l’Église de Rome » (288).

Quel est le propos de l’Église sinon de « contrôler avec une fascination si intense les instincts religieux des hommes » (291), de donner un sens et une demeure à « l’instinct de dévotion » du sujet ? Cette demeure est changeante puisque le rituel à partir duquel l’Église s’organise — c’est la leçon de « Winckelmann » et des textes sur la mythologie repris dans Études grecques — doit mûrir grâce à « cette loi de développe- ment qui prévaut partout ailleurs, dans le monde moral comme dans le monde physique » (292). Expliquant le génie du christianisme, le rituel « compte au nombre des grands produits associés et pour ainsi dire nécessaires à l’esprit humain » (291). Dans cette perspective, « la messe émerge à la vue de tous sous la forme que nous lui connaissons aujourd’hui » (293).

Le chapitre XXII, « Service divin », en montre l’effet sur Marius assis- tant au « merveilleux spectacle [...] de ceux qui croient » (296). C’est « dans l’unité d’une séduction singulière de l’œil et de l’oreille, que Marius découvrit toutes ses nouvelles impressions, traduites à peu près à cette époque au sujet de ce qu’il avait déjà identifié, intellectuel- lement comme la plus belle chose du monde » (295). Transformant son monde en « un tableau pur sous un ciel d’un bleu délicat » (296), ce spectacle exercera un grand pouvoir sur le héros retrouvant son rôle privilégié de spectateur « interdit », et dont l’incompréhension met d’autant plus en valeur l’éclectisme du rituel1. Marius assiste à

la cérémonie commémorant la naissance de Jésus et renvoyant égale- ment, comme toute religion, « aux plus naturels [...] des vieux sacrifices païens » (300). Ceux-là mêmes que Pater a examinés dans ses textes sur la mythologie grecque, ceux qui structurent la « religion de Numa » (chapitre I) et qui touchent au meurtre du père 2.

1. « Forte d’un éclectisme généreux [...] [l’Église] recueille et adopte à son usage, pour le rituel comme dans les autres domaines, un élément ici, un autre là, de sources diverses, gnostique, juive, païenne pour orner et embellir le plus grand acte de dévotion que le monde ait connu » (M 293).

2. Retraçant les vicissitudes de la figure dionysiaque dans « Dionysos, étude » (1876), Pater élabore un mythe où le dieu de la vigne et de la vie est chasseur et proie, où il occupe la place du Père primordial dont le meurtre pose les fondations de

Silencieux, les fidèles arborent « une expression de récollection » (297), « de délivrance, d’assurance de sincérité », un air d’« aménité », d’« amabilité » et d’« onction mystique », tandis que l’office diffère des rites païens « peu propices à l’exercice de l’intelligence », par sa cohérence1qui lui confère unité et rythme (298). Unité, car dans la

messe, « réapparaissaient de nombreuses voix égarées de la philosophie humaine, revêtues, après avoir hanté les esprits depuis longtemps, d’un accent plus clair [...] comme transcendées, au-delà de leurs intentions initiales, dans quelque système suprême de connaissance ou de doc- trine enfin achevées » (299). L’Église recycle en effet les us païens, adoptant « plusieurs des grâces du sentiment païen et des coutumes païennes », transformant « les vieux temples païens » en « sanctuaires chrétiens » ; elle réorganise les éléments « païens » et « juifs » du rituel (291) — réorganisation n’épargnant ni la musique ni la liturgie 2. Elle

est un rythme, car elle est une articulation de scansions, comme le montre Pater. Le rite est une « sorte de livre ouvert et lisible par l’esprit congrûment initié » (299). De « sublimes souvenirs » constituent l’ori- gine de la messe, tandis que leur « narration fond[e] ces actes rituels » (302) et ce « service qui était avant toute autre chose, du premier au dernier mot, une commémoration des morts » (300). La messe est « un récit que chacun semblait entourer de mille tendres souvenirs, savoir par cœur, qui dépeignait, dans tout l’éclat d’un tableau visuel, la douloureuse figure de celui autour duquel tournait encore très logique- ment l’ensemble du rite » (299). La messe est la commémoration d’une disparition, d’une mort, la célébration d’une absence, et l’on pourrait, à la suite de Pater, définir le rituel comme un procédé mnémotechnique pour (ré)instaurer la (venue en) présence.

la société chez Freud : « Si [...] Dionysos possède sa face obscure, [...] il possède un message particulier pour un certain nombre d’esprits raffinés, qui, aux époques plus tardives de la religion grecque, cherchèrent des modifications de l’antique légende qui puissent servir à la culture éthique, au perfectionnement de la nature morale. Incarnation de la renaissance du début à la fin, à travers la série de ses changements annuels, il fait naître chez les âmes attentives à ces leçons, l’espoir d’une possible analogie entre la résurrection de la nature et autre chose qui erre encore dans les limbes de la conscience et qui est réservé à l’âme humaine. La belle créature éplorée, tourmentée par le vent, souffrante, déchiquetée et régénérée enfin, comme une pousse tendre et verte sortie de la dureté caillouteuse du sol, devient l’emblème ou l’idéal de l’adoucissement, de la purification et de la victoire finale à travers la souffrance » (EMAG 47).

1. « Une pièce cohérente de musique dramatique fort complexe » (M 298). 2. Son syncrétisme unificateur s’oppose au syncrétisme hétéroclite de Marc-Aurèle, précisera Pater.

L’office se donne alors comme une cérémonie de venue en présence à travers la prière articulée autour d’une figure, d’une « silhouette qui semblait avoir absorbé [...] tout l’intensément vécu, toute la passion des expériences du passé » (299). Pour évoquer cette présence ou ce « mystère », le pontife « seule personne, bien visible [...] grâce à l’extrême finesse de ses vêtements blancs, au bonnet pointu », est assimilé à un « rhapsodos » car il détient « quelque source d’inspiration permanente au-dedans de lui » (300) qu’il est chargé de transmettre à l’assemblée des fidèles. De lui, l’on pourrait dire ce qu’Héraclite dit de l’Oracle, il indique, semainei1. Il indique une absence essentielle, et en

l’indiquant, il la porte à la présence. Il est le représentant d’une figure littéralement infigurable.

La cérémonie est l’« assurance croissante d’un avènement » qui va se « dou[er] de réalité » (301). La venue en présence christique organisée sous l’autorité du pontife fait signe d’une image, obscurément perçue par Marius :

la plus prégnante en vérité qui se fût jamais présentée à sa vue mentale ou physique. Celle d’un jeune homme qui avait renoncé volontairement [...] aux plus grands dons, qui se séparait même de lui, par-dessus tout d’avec la sérénité divine de son âme, pourtant des profondeurs de la désolation, il proclamait la grandeur de son succès, comme s’il prévoyait cette dévotion-là. (302)

Cette image invisible est celle du donateur, de celui qui fait le vide et se présente comme vide auquel s’identifier. Plus que corps souffrant ou blessure, le Christ est un vide, s’offre comme un don semblant « requérir la gratitude entière de l’humanité » (302). À ce don total, il convient de répondre par un don équivalent, sans autre limite que celle du discours : le Christ creuse en l’homme la place du manque. La communion apparaît alors comme le point culminant de ce processus avènementiel : « un acte de dévotion et de grâces » (302). Cette mise en scène rythmée du don comble « l’âme naturelle de l’adoration » en Marius, et lui donne la mesure de tout don, le sien ou celui des autres, ainsi que celui qu’il doit « exiger des puissances quelles qu’elles fussent, qui l’avaient introduit dans le monde pour qu’il n’y fût pas malheureux » (303). Derrière ces puissances, il convient de voir la figure de l’Autre avec lequel la dialectique ne peut qu’être interminable. La communion est une clarification de ses voies.

1. «ὁ ἄναξ οὗ τὸ μαντεῖόν ἐστι τὸ ἐν Δελφοῖς, οὔτε λέγει οὔτε κρύπτει ἀλλὰ σημαίνει », Héraclite, « Fragment 93 ».

Ce don se donne également sous la forme d’un trauma générant « un souvenir nostalgique, une sorte de soif de tout cela » (303) qui évoquera la rencontre du Réel toujours ratée telle qu’elle apparaît dans « Joachim du Bellay1». Le trauma réordonne également les expériences du sujet

pour les inscrire dans une causalité, comme le montre la réaction de Marius au sortir de cette messe où il a découvert « un nouvel esprit, qui modelait, informait, avec une intention neuve, bien des observances » qui lui étaient connues2. C’est a posteriori — nachträglich dirait le lec-

teur de Freud — et à travers cette expérience qu’il comprend également le sens de la religion de Numa, elle aussi articulée autour d’une série d’observances visant à commémorer non la mort du Christ mais le retrait des dieux. Par-delà les différences doctrinales, Pater souligne la commune racine de l’expérience religieuse : l’absence/présence et la commémoration. La disparition de la figure tutélaire, rectrice, et pourtant sans image, induit sa commémoration réitérée.