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"Cette époque de doute": Walter Pater et la question de la croyance

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01550004

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Submitted on 9 Apr 2021

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To cite this version:

Bénédicte Coste. ”Cette époque de doute”: Walter Pater et la question de la croyance. Presses universitaires de la Méditerranée, 328 p., 2017, Horizons anglophones, Christine Reynier et Jean-Michel Ganteau, 9-827-36781-125-19. �hal-01550004�

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« Cette époque de doute » :

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Collection « Horizons anglophones »

Direction collégiale Comité scientifique

Vincent Dussol, Jean-Michel Ganteau, Judith Misrahi-Barak, Anne-Marie Motard, Christine Reynier

La collection « Horizons anglophones » publie des recueils et des mono-graphies en anglais et en français dans les domaines des littératures, arts, cultures et sociétés des pays anglophones. Elle se décline en quatre séries :

— PoCoPages, anciennement Carnets du Cerpac, a pour vocation d’étudier les littératures, arts et cultures dans la sphère des études postcoloniales. — Politiques et Sociétés vise à observer les évolutions récentes des sociétés

contemporaines dans une perspective pluridisciplinaire et comparative. — Present Perfect, créée en 2005, publie des volumes qui ouvrent des

perspectives originales sur la littérature et les arts britanniques du xixesiècle jusqu’à nos jours.

— Profils Américains a publié entre 1991 et 2010 vingt-deux volumes dont chacun était consacré à un écrivain américain. Souhaitant ne plus se limiter à la critique littéraire, elle s’ouvre dorénavant aux autres domaines de la culture américaine (arts, cinéma, musique, etc.). Cette collection, dirigée par des membres d’EMMA (équipe « Études mont-pelliéraines du monde anglophone »), a pour ambition de réunir des contri-butions de spécialistes du monde entier et de favoriser le dialogue dans ces domaines de recherche.

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« Horizons anglophones »

Série Present Perfect

« Cette époque de doute » :

Walter Pater et la question de la croyance

Bénédicte Coste

2017

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Mots-clés : croyance, Gaston de Latour, indifférence, Marius l’Épicurien, psychana-lyse, Walter Pater.

Key words : Belief, Gaston de Latour, Indifference, Marius the Epicurian, Psychoanalysis, Walter Pater.

Illustration de couverture : © Florian Grandena, photographie intitulée Arbre au sol, 2017.

Tous droits réservés, PULM, 2017

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Sommaire

Abréviations 11

Introduction 13

1 La question de la croyance 13

1. Portraits de croyants 37

Chapitre I. Les deux voies de la croyance 37 1 Robert, Prosper et les autres : d’une incroyance

ontologique 38

2 Elsmere saint de l’incroyance 41

3 « Prosper Mérimée » : une théorie de la croyance 49 Chapitre II. « Les âmes désabusées de notre siècle » 57

1 Browne serviteur de deux maîtres 57

2 L’incroyance défaite de Mérimée 71

3 Un crédule moderne : Bernard de Vaudricourt 77

4 Amiel : « un signe... et de sens nul » 80

Chapitre III. La « confiance inquiète » 87

1 Marius et la « quatrième phase » 87

2 La Maison de Cécilia 98

3 Qu’est-ce qu’une Église ? 102

4 L’Épître des Églises de Lyon et de Vienne : du destin du

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2. L’indifférence 125

De la croyance à l’indifférence : Gaston de Latour.

An Unfinished Romance 125 Chapitre IV. Une âme naturellement pieuse 143

1 L’enfant dans les demeures 143

2 Fantômes et fantoches 153

Chapitre V. Les philosophies de l’indifférence 159

1 Montaigne, le « sceptique-type » 159

2 « Public crime », « private sorrows » :

L’ombre des événements 169

3 Giordano Bruno, une « âme du monde » 177

Chapitre VI. Les esthétiques de l’indifférence 187

1 La demeure de l’esthétisme 187

2 Brantôme et les autres 200

Chapitre VII. Les érotiques de l’indifférence 205

1 Antéros 205

2 Deiné théos 211

3 Vénus au miroir de l’hystérie 224

4 « Amor Lacrimosus » 228

5 Divorce à l’anglaise 235

Chapitre VIII. Du pouvoir, de l’art et du sujet 245

1 « Vous voulez un maître et vous l’aurez » 245

2 L’envers du discours tyrannique : Jean Cousin 258

3 « Mi-Carême » : la leçon de l’art 260

Conclusion 271 1 L’incroyance de Pascal 271 2 In te Domine, speraverunt 287 Bibliographie 297 1 Sources primaires 297 2 Sources secondaires 304

Index des noms 317

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Abréviations

Ap : Walter Pater, Appreciations (1889), London, Macmillan, 1931. EG : Walter Pater, Essays from the Guardian (1895), London,

Macmil-lan, 1931.

GS : Walter Pater, Greek Studies (1895), London, Macmillan, 1931. IP : Walter Pater, Imaginary Portraits, éd. Lene

Ostermark-Johansen, London, Modern Humanities Research Association, 2014.

EM : Walter Pater, L’Enfant dans la maison, traduction de Pierre

Leyris, Paris, Corti, 1992.

EA : Walter Pater, Essais anglais, traduction de Bénédicte Coste,

Grenoble, ELLUG, « coll. Paroles d’ailleurs », 2012.

EMAG : Walter Pater, Essais sur la mythologie et l’art grec, traduction

de Bénédicte Coste, Paris, Houdiard, 2010.

GdeL : Walter Pater, Gaston de Latour. The Revised Text, éd. Gerald

Monsman, Greensboro, English Literature in Transition Press, 1995.

ME : Walter Pater, Marius the Epicurean (1892), London, Macmillan,

1931.

M : Walter Pater, Marius l’Épicurien, traduction de Guillaume de

Villeneuve, Paris, Bourgois, 1992.

MS : Walter Pater, Miscellaneous Studies (1895), London, Macmillan,

1931.

PP : Walter Pater, Plato and Platonism (1893), London, Macmillan,

1931.

Pp : Walter Pater, Platon et le platonisme : Conférences de 1983. Intro-duction, traduction et notes de J.B. Picy, Paris, Vrin, 1998.

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PI : Walter Pater, Portraits imaginaires (1931), rééd. Portraits ima-ginaires, traduction de Philippe Néel avec une introduction de

Mario Praz, Paris, Bourgois, 1985.

R : Walter Pater, La Renaissance. Études d’art et de poésie, traduction

de Bénédicte Coste, Paris, éditions Classiques Garnier, 2016.

Ren : Walter Pater, The Renaissance, éd. Adam Phillips, Oxford,

University Press 1986.

SHR : Walter Pater, Studies in the History of the Renaissance éd.

M. Beaumont, Oxford, World’s Classics, 2010.

LWP : The Letters of Walter Pater, éd. Lawrence Evans, Oxford,

Cla-rendon, 1970.

CH : Walter Pater : The Critical Heritage, éd. Robert Seiler, Londres,

Routledge & Kegan Paul, 1981.

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Introduction

1 La question de la croyance

La question de la croyance chez Walter Pater n’a guère reçu d’at-tention, sans doute parce qu’on la confond avec celle de la religion embrassée par Pater1, problème qui se complique de la cassure

existen-tielle que semble avoir représentée la dénonciation par un camarade d’université de ses doutes religieux au moment de son ordination par l’Église anglicane2. Pater abandonna l’Église pour se tourner vers

l’en-seignement en devenant le premier Fellow laïc de Brasenose College, en 1864 jusqu’à sa mort en 1894. Si l’on en croit Mary Ward, une amie d’Oxford, il quitta intellectuellement l’Église, mais revint peu à peu spirituellement à des sentiments chrétiens3. Les vicissitudes de

sa carrière universitaire à la suite du scandale de la publication de La

Renaissance4en 1873, l’impersonnalité des articles qu’il rédige tout au

long de son activité littéraire, et les dernières années marquées par un

1. Walter Pater était de confession anglicane mais il appréciait le charme du rituel de l’Église catholique, et laissa certains de ses amis dont Symons et Gosse répandre la rumeur selon laquelle il venait d’une famille hollandaise où les filles étaient catholiques et les fils protestants, tradition qui aurait été rompue par la suite. Voir la biographie de Michael Levey qui infirme ce mensonge non dénué d’humour,

The Case of Walter Pater, Londres, Thames and Hudson, 1977.

2. T. Wright fut le premier à mentionner l’abandon par Pater de la carrière religieuse, voir The Life of Walter Pater, Londres, Everett, 1907. M. Levey en donne une vision plus neutre, voir The Case of Walter Pater, op. cit.

3. Mrs Humphry Ward, A Writer’s Recollections, vol. II, Londres, Collins, 1918. 4. Studies in the History of the Renaissance (premier titre ultérieurement changé pour devenir The Renaissance : Studies in Art and Poetry), dont la plupart des chapitres étaient parus dans la Westminster Review (non signés) et la Fortnightly Review (signés), sans susciter de réactions particulières, fut mal reçu par une partie de la critique en même temps qu’une affaire d’ordre privé mettait la carrière de Pater en danger, une correspondance avec un étudiant l’ayant déconsidéré aux yeux de B. Jowett, Master

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intérêt pour le rituel d’autant plus intriguant qu’il était contemporain du Catholic Revival britannique1, ont attiré l’attention des biographes,

sans trouver de résolution, au détriment d’une étude de la question de

la croyance telle que l’articulent ses textes. C’est ce dernier aspect que

nous nous proposons d’étudier. Il ne sera donc pas question d’études religieuses ou de psycho-biographie mais de la question de la croyance en tant que phénomène et pratique discursifs, c’est-à-dire du rapport au langage chez Pater. Toutefois, la religion telle que l’expriment et la questionnent ses écrits ne disparaît pas totalement de notre horizon.

À notre époque de désenchantement au sens de M. Gauchet2, il est

parfois difficile de concevoir que la croyance religieuse, puisqu’il s’agit essentiellement d’elle, ait pu bouleverser des existences comme ce fut le cas durant le xixesiècle qui vit successivement des « réveils »

chrétiens, une flambée anticatholique lors du vote de l’Émancipation

Bill donnant des droits civiques aux catholiques (1829), puis, durant les

années 1830, le mouvement tractarien, dit d’Oxford, animé par Edward Bouverie Pusey, John Henry Newman et John Keble3, le socialisme

chrétien de F. D. Maurice et Charles Kingsley contre l’individualisme

Benjamin Jowett, and William M. Hardinge », Pater in the 1990s, Laurel Brake and Ian Small (éd.), Greensboro, English Literature in Transition Press, 1991, p. 1-20.

1. Le Catholic Revival britannique ou « second printemps » pour reprendre l’ex-pression de John Henry Newman en 1852. Ce renouveau s’appuie sur la restauration de la hiérarchie épiscopale en Angleterre par Pie IX en 1850. Il est concomitant de l’immigration des catholiques irlandais en Grande-Bretagne après la grande famine, et d’une politique très offensive du Vatican et relayée par le clergé britannique. Dans les années 1890 des figures publiques se convertissent en même temps que de nombreux textes célèbrent le catholicisme. Voir P. Allitt, Catholic Converts. British and American

Intellectuals Turn to Rome, Ithaca, Cornell University Press, 1997. Voir C.

Masurel-Murray, Le calice vide. L’imaginaire catholique dans la littérature décadente anglaise, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2011.

2. Voir M. Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la

religion, (1983) Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2005.

3. Dans un sermon prononcé le 14 juillet 1833 Newman dénonça l’« Apostasie nationale ». On ajoutera à ces principaux animateurs, Hurrell Froude, W. G. Ward, Williams, Manning et Church. Le Mouvement naquit en révolte contre le projet du gouvernement whig de supprimer des diocèses en Irlande, ce que les Tractariens dénoncèrent comme érastianisme dans les Tracts for the Times parus entre 1833 et 1841. Les animateurs du mouvement dont certains étaient fellows d’Oxford, d’où leur appellation, souhaitaient prouver l’identité de l’Église d’Angleterre avec l’Église des Apôtres et des Pères et retrouver sous les altérations temporelles et circonstancielles la doctrine et le culte primitif, afin de la faire rentrer dans le giron de l’Église catholique et de rompre les liens avec l’État. Les Tractariens sont attachés au principe de la continuité apostolique et mettent en avant la beauté du culte.

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et le laissez-faire économique exacerbé des années 1850 proclamant l’indissolubilité de la politique et de la religion, pour ne rien dire des effets des thèses darwiniennes à partir de 1859, lesquelles donnèrent corps et expression à une crise de la foi traversant tout le dernier tiers du siècle. Ce fut aussi l’époque des conversions retentissantes — celle de Newman au catholicisme en 1845 faisant figure de paradigme, celle de Pugin ayant une importance indéniable sur le Gothic revival architec-tural qui l’avait motivée — et de nombre de retournements existentiels individuels (on pense à John Ruskin qui fut successivement protestant, dé-converti1en 1858, puis croyant, ou encore à la conversion in

arti-culo mortis d’Oscar Wilde au catholicisme en 1900, le tout sur fond de

sentiment d’une désertion massive du culte telle que la révéla le recen-sement de 18512. Comment vivre sans la foi ? Telle était la question du

poème « Dover Beach » de Matthew Arnold (1867), une question qui n’allait pas cesser de tarauder les victoriens, lorsqu’ils se la posaient, d’autant plus que la foi se heurtait aux découvertes géologiques des années 1840, au séisme darwinien de 1859, qui entérina la fin du concordisme, et opposa raison et religion dans les années 1870, pen-dant que les années 1880 étaient marquées par un débat sur l’athéisme et l’agnosticisme. La diversité confessionnelle britannique n’empêchait pourtant pas la persistance de la foi dans l’avènement du royaume du Christ. En témoignent les romans de conversion appelant à (re)trouver

1. Le récit de sa déconversion apparaît dans Praeterita : « I was still in the bonds of

my old Evangelical faith ; and, in 1858, it was with me, Protestantism or nothing : the crisis of the whole turn of my thoughts being one Sunday morning, at Turin, when, from before Paul Veronese’s Queen of Sheba, and under quite overwhelmed sense of his God-given power, I went away to a Waldensian chapel, where a little squeaking idiot was preaching to an audience of seventeen old women and three louts, that they were the only children of God in Turin ; and that all the people in Turin outside the chapel, and all the people in the world out of sight of Monte Viso, would be damned. I came out of the chapel, in sum of twenty years of thought, a conclusively un-converted man. » J. Ruskin, Praeterita, The Complete Works of John Ruskin, vol. 29, (éd.) E. T. Cook and A. Wedderburn,

Londres, G. Allen, 1903-1912, p. 89.

2. La situation était plus tranchée que le crurent certains victoriens. Les anglicans étaient alors aussi nombreux que les Non-Conformists, les catholiques restant toutefois marginaux, mais les chiffres cachaient des disparités sociales, géographiques et cultu-relles. C’est à partir de 1886 que s’amorce un déclin relatif. Sur la question religieuse dans l’Angleterre victorienne, voir O. Chadwick, The Victorian Church, vol. I, Londres, A. C. & Black, 1966, et The Victorian Church, vol. II, Londres, A.C. & Black, 1970 ; G. Parsons (éd.), Religion in Victorian Britain. IV. Interpretations, Manchester, Manchester University Press, 1988 ; H. Mac Leod, S. Mews et C. d’Haussy, Histoire religieuse de

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cette foi, tels Hypatia de Kingsley1(1853), auquel répond le Callista

de Newman et plus subtilement, Marius l’Épicurien de Pater2(1885).

La multiplicité des romans, des études, des mémoires, des essais et des poèmes témoigne que la croyance fut une pratique discursive enga-geant l’être. À travers la montée en puissance de l’imprimé, de sa massification et de sa diffusion, l’expression de la croyance, l’expres-sion des croyances occupent un rang éminent. Nous nous intéresserons principalement ici à son expression littéraire.

C’est bien au regard de ces bouleversements qu’il convient de situer la parution de nombreux textes dénonçant les excès de toutes les confessions, à commencer par l’ouvrage de Leslie Stephen s’en prenant au christianisme orthodoxe, An Agnostic Apology3 paru sous forme

d’article en 1876. Autre sujet de la crise mid-victorienne évoquée par Arnold, Stephen démissionnera de Cambridge en 1867 après avoir perdu la foi en 1862. Pater connut cette crise mais elle le conduisit à intégrer l’Université et à publier ses essais sur l’art et la littérature dans des revues4, plutôt qu’à embrasser un sacerdoce mensonger à

ses yeux. C’est aussi dans le cadre de l’Université et d’une université elle-même bouleversée5, qu’il mena une existence, qui, par bien des

aspects, participe encore, de l’existence religieuse. Il sut cependant quitter les « flèches6» d’Oxford pour aller vivre à Londres à partir

de 1885 avant d’y revenir en 1893, après quelques années passées à fréquenter des cercles relationnels plus variés, mais tous progressistes.

1. Hypatia, or New Foes with Old Faces de C. Kingsley est d’abord paru en 1851 dans le Fraser’s Magazine. L’action se situe à Alexandrie au vesiècle et met en scène le

philosophe néo-platonicien éponyme, mis à mort par la foule des premiers chrétiens dont l’obscurantisme est souligné, ce qui suscita Callista de J. H. Newman (1855) qui dressait un portrait inverse.

2. Voir C. Dahl, « Pater’s Marius and Historical Novels on Early Christian Times »,

Nineteenth-Century Fiction, no28. 1, 1973, p. 1-24.

3. L. Stephen, « An Agnostic’s Apology », (1876), An Agnostic Apology and Other

essays, Londres, Smith, Elder and Co, 1893, p. 1-42.

4. Sur les rapports de Pater aux magazines et aux revues, voir L. Brake, Walter

Pater, Plymouth, Northcote, 1994.

5. Le cursus, les matières, les examens et le public d’Oxford et Cambridge chan-gèrent à partir de 1860, l’abolition du Test Act en 1871 permit aux non-anglicans de passer leurs diplômes. Voir The History of the University of Oxford : Volume VI :

Nineteenth Century Oxford, Part 1 : The Nineteenth Century, M. G. Brock and M. C.

Curthoys (éd.), Oxford, Clarendon, 1997.

6. J. H. Newman, Apologia Pro Vita Sua, (1864) New York & Londres, Dent & Dutton, 1946, p. 214.

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Il semble que beaucoup de ses contemporains doutèrent en privé, affi-chant un conformisme de bon aloi en public, comme le montrera a

poste-riori The Autobiography of Mark Rutherford (1881) et Mark Rutherford’s Deliverance (1885) dont l’auteur, William Hale White, s’en prenait à

l’Évangélisme. Nombre de victoriens choisirent de se consacrer pro-gressivement aux pauvres et de faire de Jésus l’exemple de « l’ouvrier de Galilée » (« the working-man of Galilee »), tandis que la théologie se détournait des flammes de l’Enfer et d’un dieu sévère pour embras-ser la religion d’un fils et d’un frère. À l’inverse, d’autres comme le poète James Thomson, auteur du célèbre « The City of Dreadful Night » (1874) affichèrent leur matérialisme et leur athéisme. Si le premier tiers du xixesiècle s’était ouvert sur le statu quo de la religion établie,

des églises dissidentes et catholique, sous-tendues par une croyance affirmée et assurée en un dieu, un Texte et une révélation incontes-tables, si l’Église établie proclamait le lien du politique et du religieux en Grande-Bretagne, la fin du siècle se caractérise par l’éclatement du religieux, sa désarticulation du politique, et le remaniement du croire. Contre sa volonté, le Mouvement d’Oxford a sonné le glas de l’alliance du pouvoir politique et du pouvoir spirituel, avant que les soubresauts de l’histoire européenne, le développement des sciences et les remous de la pensée ne dispersent ce qui restait d’ordre et de stabilité.

Les thèses de M. Gauchet sur l’autonomisation progressive des socié-tés occidentales et la sortie de la religion sont certes peu reconnues dans le monde anglo-saxon, mais elles ont à notre sens le mérite de rendre compte d’une série de phénomènes parfois un peu trop radi-calement distingués. Sans avoir l’ambition d’inscrire exclusivement notre étude sur les brisées de l’analyse de La Crise du libéralisme1, nous

en retiendrons les conclusions principales : le siècle qui s’était ouvert sur des promesses de libération politique via le libéralisme, se clôt par une crise politique et intellectuelle dès lors que les promesses de l’autonomie politique, juridique et historique se heurtent à la persis-tance de la structuration hétéronome de la société. Le religieux ne s’évanouit pas sous les coups de butoir de la science triomphante, mais se voit amené à une place inédite, aux côtés du politique lui-même bouleversé. Bien avant M. Gauchet, Pater évoquera lui-même dans un manuscrit intitulé « Moral Philosophy », « l’emprise moindre de

1. M. Gauchet, L’avènement de la démocratie II. La Crise du libéralisme, Paris, Gal-limard, 2007. Cette crise argue Gauchet est liée à trois facteurs : l’approfondissement de l’orientation historique de la société, la résurgence du politique et l’affermissement du droit des individus.

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l’autorité religieuse sur l’esprit moderne », sans pour autant supposer qu’une hétéronomie parfaite ait existé1. À ses yeux, les trois derniers

siècles ont vu la remise en cause de l’autorité d’un système religieux2

dont il retrace les vicissitudes dans la plupart de ses portraits litté-raires et imaginaires. De ce réalignement, la croyance individuelle et collective, ou les croyances, sont à la fois le fruit et le témoin. Ses coor-données et ses modalités changent, et si la religion lui donne toujours son expression privilégiée, elle la diffracte en autant de croyances qu’il y a de structurations religieuses stricto sensu ou plus largement, par et pour des communautés données. Ces communautés ne se distinguent plus par un ensemble de pratiques figées et de textes canoniques à res-pecter à la lettre, mais par leur insertion au sein d’une société où aucun Autre hétéronome ne vient indiquer qui, quoi, et comment croire sur le mode d’une parole indéniable. À la différence de la France3, la

Grande-Bretagne avait donné l’exemple d’une entité territoriale religieusement plurielle depuis la Réforme ; au xixe siècle, les deux pays voient le

statut et la place de leurs religions se redéfinir. À cette redistribution, correspond la « pluralisation du croire4» chère à Gauchet, traduisant

les vicissitudes de la religion et des sujets.

C’est d’ailleurs dans le contexte des années 1880, soit au début de la crise du libéralisme, qu’il convient de replacer l’article de l’essayiste Violet Paget (Vernon Lee), sur les conditions modernes du doute («

unbe-lief », c’est-à-dire une certaine façon de croire qui, pour nous être plus

ou moins naturelle, a représenté un certain remaniement des modalités de la croyance), la parution de Marius l’Épicurien de Pater en 1885, et de Robert Elsmere de Mary Ward en 1888, suivi du compte rendu que lui consacre Pater cette année-là5, écrits sur lesquels nous allons

revenir. Ces romans se distinguent par la pluralité des croyances

phi-1. « The weakened hold of religious authority on the modern intellect [...] perhaps the

authority of religion over the human intellect can at no period be said to have been really unquestioned », W. Pater, « Moral Philosophy », bMS Eng 1150 (7). Houghton Library.

Harvard University.

2. « The authority of a system of religious ideas to ˆdirect or ˆlimit... men’s speculations

has certainly been most readily questioned during the last three centuries », W. Pater,

« Moral Philosophy », op. cit.

3. J. Bauberot et S. Mathieu, Religion, modernité et culture au Royaume-Uni et en

France 1800-1914, Paris, Seuil, coll. « Points », 2002.

4. M. Gauchet, La religion dans la démocratie, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2001, p. 130.

5. Pater rend la politesse à Mary Ward qui avait publié un compte rendu de Marius. Voir M. Ward, « Review of Marius The Epicurean », Macmillan’s Magazine, vol. 52, June 1885, p. 132-139.

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losophiques et religieuses qu’ils présentent1, qu’elles soient passées

ou actuelles, témoignage là aussi d’un autre rapport à la croyance, et à son histoire. Ils ne sont pas les seuls : tant la libérale et progres-siste Fortnightly Review, où Pater a publié nombre de ses articles, que d’autres périodiques victoriens comme la quasi laïque (« unsectarian »)

Nineteenth Century accueillent des contributions très variées d’hommes

d’Église, de politiques ou de penseurs traitant de tous les aspects de la croyance, et à travers divers prismes dont celui du religieux n’est pas le moindre.

À la suite du succès de Marius l’Épicurien, le succès plus grand encore de Robert Elsmere, qui mettait en scène les interrogations et la démis-sion d’un pasteur anglican, démontra à tout le moins l’existence de nombreux victoriens confrontés à un doute inextinguible. Preuve en est le débat qui s’engagea alors dans les revues généralistes, inauguré par William Ewart Gladstone, lequel en fit un compte rendu resté dans les annales2, où il exposa qu’il s’agissait là des doutes propres à M. Ward.

T. H. Huxley, qui avait inventé le terme « agnosticisme » en 1869, vint à la rescousse de sa parente3, avant que la controverse ne s’étende 4.

Moins connu mais plus intéressant sera le compte rendu du roman que fit Pater, celui de Gladstone ayant le mérite d’introduire un terme important du débat : le scepticisme, l’une des appellations du doute.

Cet ébranlement des certitudes religieuses, cette redéfinition du croire, doivent sans doute beaucoup à des textes aussi célèbres que La

Vie de Jésus de David Strauss (1835), traduit en anglais par George Eliot

1. L. Brake a justement relié Marius, Robert Elsmere et les premiers romans de Vernon Lee, voir « Vernon Lee and the Pater Circle », Vernon Lee : Decadence, Ethics,

Aesthetics, C. Maxwell and P. Pulham (éd.), Basingstoke and New York, Palgrave,

2006, p. 40-57.

2. W. Gladstone, « Robert Elsmere and the Battle of Belief », Nineteenth Century, vol. 23, May 1888, p. 766-788. Gladstone déplora que l’attaque du christianisme relève du domaine de l’intelligence alors que sa défense relevait de l’émotion.

3. T. H. Huxley, « Agnosticism », The Nineteenth Century, vol. 35, February 1889, p. 354-355. Le fils de T. H. Huxley avait épousé la sœur de M. Ward. L’agnostique, rappelle J. Bouveresse, « s’abstient de formuler un jugement sur les vérités religieuses, tout en maintenant une ligne de démarcation stricte entre la foi et la connaissance ». Cette position est la « contrepartie séculière de processus de modernisation de la conscience religieuse », Peut-on ne pas croire, Marseille, Agone, 2007, p. 178.

4. Voir Christianity and Agnosticism. A Controversy consisting of Papers by Henry Wace,

D.D., Prof. Thomas H. Huxley, the Bishop of Peterborough, W. H. Mallock, Mrs Humphry Ward, New York, Appleton, 1889, colligeant les essais de Henry Wace (évêque de

Peterborough), T. H. Huxley, William Connor Magee (évêque d’York), W. H. Mallock, Mary Augusta Ward.

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en 1846, des Theological Essays de F. D. Maurice (1853) et des Essays

and Reviews des hommes d’Église libéraux dont Benjamin Jowett1qui,

en 1860, proposèrent une approche littéraire de la Bible, faisant passer le sacré dans le domaine de l’histoire et du discours, et contribuant à la remise en cause du concordisme. La vérité religieuse n’était plus intangible, elle n’exigeait plus d’être crue parce qu’elle était révélée ou d’origine divine, elle relevait d’un discours, de textes humains qui exigeaient des approches exégétiques et philologiques différentes et engageaient le croyant dans une démarche dont le sens n’était pas irrémédiablement fixé. L’ouvrage de Jowett et de ses collaborateurs libéraux eut un impact important entre autres sur Arnold, l’oncle de M. Ward, tant dans Culture and Anarchy (1869) que dans Literature

and Dogma sous-titré An Essay towards a Better Apprehension of the Bible (1873). Le statut des textes saints chez Arnold est celui d’une

production littéraire2, discursive à interroger, à remettre en cause, à

ériger en modèle éthique à l’instar de la littérature, tandis que la forme de croyance sous-jacente est celle d’un trajet menant à une position identificatoire flexible.

La leçon de la théologie libérale ne fut pas perdue pour Pater qui, dès 1866, dans son premier article publié, rappelle que « la Bible est

1. John W. Parker (éd.), Essays and Reviews, Londres, John W. Parker, 1860. Outre Jowett, avaient collaboré au recueil Frederick Temple, Rowland Williams, Baden Powell, Henry Bristow Wilson, W. Goodwin et Mark Pattison, l’ami de Pater et

Rector de Lincoln College. L’article de B. Jowett, « On the Interpretation of Scripture »

promeut l’interprétation de « la Bible comme n’importe quel autre livre » et défend la liberté de recherche universitaire. L’ouvrage suscita une grande polémique et donna lieu à deux procès, l’un par la Cour des Arches, qui condamna les essayistes à une année de suspension, et l’autre, en appel au Conseil privé de la reine qui, invoquant le droit de libre examen, admit en 1863 les thèses des rédacteurs sur la justification de l’éternité des peines. B. Jowett fut frappé de censure et l’affaire scella le rapprochement des Anglo-catholiques et de la Haute-Église. Jowett et ses pairs contribuèrent à faire passer le Test Act de 1871. Voir Essays and Reviews : the 1860 Text and its Reading, V. Shea and W. Witla, Charlotteville & Londres, University of Virginia Press, 2000). Par contraste, Lux Mundi (1889), inspiré par l’anglo-catholicisme, qui proposait une lecture critique de l’Ancien et du Nouveau Testament, fut mieux reçu, témoignant d’une évolution des mentalités sur la question de l’exégèse biblique. Voir Charles Gore (éd.), Lux Mundi : A series of Studies in the Religion of the Incarnation, Londres, John Murray, 1889.

2. « To understand that the language of the Bible is fluid, passing, and literary, not rigid,

fixed, and scientific, is the first step towards a right understanding of the Bible. » M. Arnold,

« Preface to the First Edition » (1873), Literature and Dogma, Dogma and Dissent, The

Complete Prose Works of Matthew Arnold, vol. VI, R. H. Super, Ann Arbor (éd.), The

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un texte littéraire1», et qu’elle doit donc être lue comme tel. Pater

appartient à un temps où la phase de l’autonomisation engagée entre autres avec l’exégèse allemande de la première moitié du siècle et poursuivie par le « higher criticism » des Britanniques, laisse apparaître la possibilité d’élaborer une théorie moderne de la croyance, où le déchirement de la religion et du croire élève ce dernier en même temps qu’il en fait une question. Qu’est-ce que croire ? Comment croire, à quoi croire et qui donc croit, se définit ou peut être défini comme un croyant ? En 1870, Newman avait proposé une théorie de la croyance avec A Grammar of Assent 2, mais la croyance newmanienne était-elle

la béquille dont se soutenait ce que l’homme raisonnable ne pouvait fonder ?

Comme l’a vu M. Vogeler3, Marius l’Épicurien répond à l’Essai sur la

grammaire de l’assentiment, et il fut rédigé, si l’on en croit T. H. Wright,

pour « montrer la nécessité de la religion4». Pourtant, la fin ambiguë

du roman de Pater suggère qu’il s’agit davantage de la croyance que de religion, et qu’elle nécessite nombre d’expériences et de rencontres pour s’élaborer. En 1888, ce dernier poursuivit ses méditations sur les croyants à travers ses comptes rendus de Robert Elsmere, du

Jour-nal d’Amiel ou de Sérénus de Jules Lemaitre, tout en rédigeant et en

publiant les premiers chapitres de son second roman, Gaston de Latour 5,

1. « The Bible is a literary text », W. Pater, « Colerige’s Writings » Westminster

Review (1866), rééd. English Critical Essays. Nineteenth Century, Edmund D. Jones (éd.),

Oxford, OUP, 1932, p. 492-534. Le texte fut largement amendé et repris en 1883 sous le titre « Coleridge » dans l’ouvrage de H. Ward, English Poets avant d’apparaître dans

Appreciations en 1889. Quant à l’Église et au christianisme, Pater écrit en 1885 : « To my mind, the beliefs, and the function in the world, of the historic church, form just one of those obscure but all-important possibilities, which the human mind is powerless effectively to dismiss from itself ; and might wisely accept, in the first place, as a workable hypothesis. The supposed facts on which Christianity rests, utterly incapable as they have become of any ordinary test, seem to me matters of very much the same sort of assent we give to any assumption, in the strict and ultimate sense, moral. The question whether those facts were real will, I think, always continue to be what I should call one of the natural questions of the human mind. » W. Pater, « To Mary Ward », 23 December 1885 (LWP 64-65).

2. J. H. Newman, An Essay in Aid of a Grammar of Assent (1870), Londres, Long-mans, 1903.

3. M. S. Vogeler, « The Religious Meaning of Marius the Epicurean »,

Nineteenth-Century Fiction, vol. 19, no3, 1964, p. 287-299.

4. « To show the necessity of religion », T. Wright, The Life of Walter Pater, op. cit. t. II, p. 87.

5. W. Pater, Gaston de Latour. An Unfinished Romance, C. L. Shadwell (éd.), Londres, Macmillan, 1896.

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symptomatiquement situé dans la France des Guerres de religion au xviesiècle.

La question de la croyance, et surtout la question de ses reformu-lations, traverse le siècle et les existences, comme celle de Pater qui la vécut sur un mode discret mais non moins puissant, puisqu’il reçut l’influence de l’Église Établie, du Mouvement d’Oxford — via la prédi-cation de Keble — du socialisme chrétien de Kingsley qui s’opposait aux Tractariens et cherchait à concilier la religion et les progrès du rationalisme, et qu’il enseigna au sein d’une institution, Oxford, consi-dérée comme le bastion du libéralisme religieux, ce qui n’excluait pas des tendances plus conservatrices chez certains fellows. Dans une perspective intellectuelle au sens large, il vécut durant le grand débat entre la science et la religion qui agita l’Angleterre victorienne et qui trouva une réalisation particulière sous la forme du scepticisme d’Oxford incarné par Mark Pattison l’un des co-auteurs des Essays and

Reviews, auteur que Pater fréquenta, ou de l’agnosticisme défini par

T. H. Huxley, « le bull-dog de Darwin ». Ces faits sont indéniables, mais ils ne rendent pas compte de la question de la croyance telle que Pater l’élabore au cours du dernier tiers d’un siècle tourmenté. La croyance patérienne est définissable pour peu que le lecteur suive l’auteur dans son raisonnement rigoureux et dans la variété de ses portraits, qu’ils soient littéraires ou imaginaires.

Pater est en effet connu pour ses portraits littéraires, que le référent soit réel ou imaginaire1, fondés sur la recréation imaginative du sujet

via les impressions suscitées par son œuvre chez le lecteur. « Léonard de

Vinci2», le premier, paraît en 1869. En 1886, Pater résume la critique

que ce genre littéraire lui permet d’élaborer : « la critique la meilleure, la critique imaginative, cette critique qui est elle-même un genre de construction, ou de création, et qui pénètre la constitution intérieure et mentale du producteur à travers son produit littéraire ou artistique tel qu’il forme son travail3. » En mettant l’accent sur l’artiste plutôt

1. Cet aspect a été bien synthétisé par L. Brake : « Most of the articles in The Renaissance editions, for example, combine fictive/“imaginary” and realistic/historical

“portraits” elements, cheek by jowl, as well as a strong narrative line, all of which are akin to an “imaginary portrait” short story », « The Art of the Novel : Pater’s Fiction », Victorian Aesthetic Conditions, op. cit., p. 226.

2. W. Pater, « Notes on Leonardo da Vinci », Fortnightly Review, vol. 6-12, November 1869, p. 494-508.

3. « The best sort of criticism, the imaginative criticism ; that criticism which is itself a

kind of construction, or creation, as it penetrates, through the given literary or artistic product, into the mental and inner constitution of the producer, shaping his work. » W. Pater,

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que sur l’œuvre, ses portraits manifestent l’avènement du sujet au sens moderne du terme, sujet relevant à la fois du type et du singulier, comme pourra le concevoir la psychanalyse freudienne des « cas1».

Quelle est la place de la croyance dans cette configuration subjective ? Pour saisir l’importance et l’originalité des thèses patériennes concer-nant la croyance, il est en effet bon, en introduction, de faire quelques mises au point lexicales et critiques. On distinguera la foi qui relève de l’inconditionnel et d’un consentement ou d’un assentiment total (« assent 2» que le discours échoue à expliciter, la croyance qui relève du

discours et donc de l’Autre, la superstition qui traduit un trouble rapport au discours, une intolérance à l’absence de cause. La piété, autre terme clé chez Pater, traduit un singulier rapport à la mort commémorée de façon propitiatoire par un rituel dont Freud donnera l’explication psychanalytique en 19073. La croyance patérienne est d’ordre

langa-gier. Elle met en jeu la catégorie de la vérité, laquelle ne peut qu’être toujours en défaut puisqu’elle est discursive à ses yeux. Peu d’hommes de foi apparaissent sous sa plume, même s’il faut regretter l’inachè-vement d’un texte consacré à Newman4. Dans ce manuscrit consacré

aux écrits du cardinal, Pater rejette la position newmanienne rabat-tant l’assentiment sur la croyance à la grâce pour adopter celle d’un observateur extérieur de phénomènes chez autrui, gage d’un rapport différent, où la croyance est envisagée comme un phénomène mental et non comme une détermination fondamentale du sujet. Un individu peut dès lors s’en séparer pour la transformer en objet d’investigation, sans pour autant se dire incroyant, sceptique ou athée5. Cette position

lui semble nouvelle.

Dans les portraits littéraires où il évoque la croyance religieuse, Pater utilise deux termes pour définir le rapport du sujet à la vérité révélée : l’adhésion et la concession (adhesion, concession). La concession est

1. Voir B. Coste, Walter Pater critique littéraire, Grenoble, Ellug, 2010.

2. Dans son Essai sur l’entendement humain (An Essay Concerning Human

Understan-ding, 1689), Locke a élaboré une définition de l’assentiment à laquelle Newman et

Pater sont redevables.

3. S. Freud, « Actions compulsionnelles et exercices religieux » (1907), trad. D. Guérineau, Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, p. 133-142.

4. W. Pater, « The Writings of Cardinal Newman », bMS Eng 1150 (12), Houghton Library, Harvard University, 7r.

5. Newman s’est approprié : « Two <great>leading theological ideas especially », « the ideas of Assent and Development », « The Writings of Cardinal Newman », op. cit. Pater explique que : « I want to look at it, from a p[oint] of view, certainly diff[erent

from N’s—humanely speaking, as they say—i.e. as an outsider <might>must look at it, noting what he sees, as <a>phen[omen]a of human mind, not of divine gifts grace. » « The

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l’acte intellectuel par lequel le sujet reconnaît l’impossibilité d’un savoir total sur dieu ; l’adhésion relève d’une affirmation en l’existence de ce dernier. Comme il le note dans « Moral Philosophy », la concession mène parfois à l’assentiment, lequel est une acceptation incondition-nelle des vérités révélées1. Pater aura toujours beaucoup de respect

envers tout individu muni d’une réponse imparable et définitive au problème de dieu, réponse évacuant la question de la cause, du sens du sens, et s’offrant comme acceptation entière du manque. Respect néanmoins ambigu car l’homme de foi est toujours susceptible de virer au fanatique comme le suggérera « Pascal », le dernier texte de Pater, consacré au philosophe français en 18942. Plus nuancée est sa position

pour le croyant qui a le courage d’affronter le délicat problème d’une croyance originaire (« fundamental belief ») que le portrait consacré à Mérimée présente comme évanouie, et qui condamne derechef le sujet à vivre sous le régime de l’incroyance (« disbelief ») et du substitut. Le croyant patérien doit bien plutôt être qualifié d’incroyant ontologique. En outre, l’on devrait parler de croyants et de formes de croyance entendues comme réponse à la question de la vérité, de la certitude ou croyance originaire disparue, ainsi qu’à la disparition d’un dieu garant de la vérité.

Le fanatisme apparaît quant à lui comme réponse singulière à la question de la croyance fondamentale disparue en érigeant un objet immanquable auquel sa proie entretient un rapport d’assuétude. Le crédule ou le superstitieux remplace quant à lui la figure divine par une figure obscène ou magnifique, qui n’est pas mieux illustrée que par le héros du roman d’Octave Feuillet, La Morte, auquel Pater consacre un long compte rendu en 1890. Revendiquant son peu de foi, Bernard de Vaudricourt se retrouve joué par sa seconde femme. Sa crédulité est une réponse à l’absence de fondement à travers lequel le croyant devient le jouet d’un manipulateur. Dans Gaston de Latour (1896), toute la société française du xvie siècle semble être en proie à une

1. Dans « Moral philosophy », Pater prend soin de différencier la concession et l’adhésion : « that concession to [religious] custom becomes... assent and that vague body

to which we in thought defer becomes incorporate as humanity ». bMS Eng 1150 (12), op. cit.

2. W. Pater, « Pascal », Contemporary Review, vol. 67, February 1895, p. 168-181. Le texte sera repris dans Miscellaneous Studies, C. L. Shadwell (éd.), Londres, Mac-millan, 1895.

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crédulité témoignant de la faillite des idéaux et s’exprimant à travers la superstition ou le fanatisme.

Les textes étudiés dans ce qui suit sont majoritairement rédigés dans les années 1880 et au tournant des années 1890 ; ils sont le fruit et la continuation des réflexions patériennes engagés dès les années 1860. Qu’il s’agisse de portraits littéraires, imaginaires, de textes courts ou plus longs, qu’ils aient été souvent négligés par la critique, comme c’est le cas des comptes rendus pourtant nombreux, ils sont tous traversés par une interrogation sur la croyance. Très souvent, Pater étudie la croyance religieuse, mais il l’aborde toujours à travers un prisme individuel. Paradoxalement, la question de la croyance n’a fait l’objet d’aucune étude1 alors qu’elle éclaire toute l’œuvre et

contribue à la situer dans le contexte du dernier tiers du siècle. Avant de commencer cette étude, il convient de préciser les principes et les concepts qui guident notre démarche. Cette dernière relève tout d’abord d’une analyse des termes et des textes patériens pour démontrer leur forte cohérence, leur souci d’exactitude lexicale — le « mot juste » cher à Flaubert — afin de définir avec Pater l’articulation de la question de la croyance. Cette perspective s’accompagne d’une contextualisation historique et culturelle destinée à rendre plus claires certaines de ses thèses ou de ses remarques. La fin de l’époque victorienne est un temps non pas tant lointain et donc obscur, qu’il n’est complexe. En outre, la place et les écrits de Pater sont si singuliers qu’il est impossible de faire l’économie d’explications et de mises en perspective. S’ils ont vocation à exprimer des attitudes, des tendances intellectuelles ou mentales, et des thèses à valeur permanente, ses écrits sont aussi d’un temps précis, en dialogue avec des auteurs qu’il convient de nommer et situer, avec des questions d’actualité parfois devenues obscures aux yeux des modernes. Faire de Pater un auteur clé de la crise du libéralisme ou de la diminution de la place de la religion pour les hommes au profit de leur religiosité ne suffit pas2, il faut également en faire un acteur

1. Voir cependant, S. Lyons, Algernon Swinburne and Walter Pater : Victorian

Aestheticism, Doubt and Secularisation, Oxford, Legenda, 2015.

2. Dans un article portant sur la question religieuse dans les manuscrits inachevés de Pater, L. Higgins remarque que Pater s’écarte de la religion au profit d’un intérêt pour la religiosité : « Pater eschews the truth claims of any on religion—an established

church’s system of worship—and promotes instead the social, spiritual, and aesthetic possibility of religiousness », L. Higgins, « Doubting Pater : Religious Discourse and

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important des débats de l’époque, et donc rappeler comment Pater les conceptualisa et quels furent leurs enjeux et leurs protagonistes.

Dernier éclairage : l’éclairage psychanalytique. Nous souhaitons éclai-rer la problématisation de la croyance chez Pater principalement à travers le prisme des élaborations freudiennes et lacaniennes, au risque de nous voir taxer d’anachronisme — Pater ignorant les concepts freudo-lacaniens — ou de lecture dirigée appliquant à un texte une grille de lecture psychanalytique. Notre position consiste à confronter l’élaboration patérienne aux thèses freudiennes et lacaniennes afin de constater les points de recoupement comme les différences et de soigneusement distinguer la création littéraire de la théorie psychanaly-tique. Freud et Lacan ayant toujours écarté toute idée de psychanalyse appliquée, il ne s’agit pas de retrouver leurs thèses chez Pater, mais de confronter deux articulations du croire, presque contemporaines en ce qui concerne Freud — ce qui rend parfois la lecture ambiguë —, douées d’une logique propre, afin de rendre à Pater la force de sa démonstration et de ses élaborations. Il s’agit d’examiner les simili-tudes et les différences en matière de raisonnement, d’objets, de termes ou de concepts, non d’une explication de la croyance chez Pater par une théorie de la croyance chez Freud et Lacan.

Nous ne ferons cependant pas l’économie d’un rappel du statut de la croyance en psychanalyse. Si P. Fontaine1aborde cette question à

travers les textes freudiens des années 1920 (Psychologie des foules et

analyse du moi, L’avenir d’une illusion, Malaise dans la civilisation), la

croyance peut également s’aborder à travers le prisme de la clinique. En 1908, dans « Les théories sexuelles infantiles2» Freud s’intéresse au

problème que constitue l’existence du pénis maternel. La croyance à ce pénis constitue « le modèle des croyances3» selon le psychanalyste

H. Rey-Flaud auquel nous empruntons sa démonstration. Si la clinique montre que l’homme désire la femme « sur fond de croyance infan-tile refoulée au pénis4», elle montre également que cette croyance

1. P. Fontaine, La Croyance, Paris, Ellipses, 2003.

2. S. Freud, « Les théories sexuelles infantiles », dans La Vie Sexuelle, traduction de Denise Berger, Jean Laplanche et alii, Paris, PUF, 1969, p. 14-27.

3. « La croyance au phallus de la mère présente le modèle des croyances, parce qu’elle produit le procès qui fonde le système représentatif : chez le névrosé, le savoir sur le manque maternel est en permanence infiltré et subverti par la croyance inconsciente en sens contraire, tandis qu’en retour le savoir est appelé pour sauver les apparences et maintenir le sujet en accord avec cette réalité qui a, un jour, contredit sa croyance », H. Rey-Flaud, Le Démenti pervers, Paris, Aubier, 2002, p. 210.

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provient de l’enfance où le sujet est animé d’un désir ardent (Sehnsucht) concernant le pénis de la mère dont l’existence supposée nierait la différence sexuelle. L’enfant mythique, dont Freud reconstruit logique-ment le parcours à travers ses manifestations cliniques, commence par croire que la mère possède un pénis, croyance minée par le doute1,

qui témoigne qu’« il n’est pas sans savoir2», et qui le pousse au désir

ardent de voir cet organe, avant que la réalité ne démente sa croyance. À la vue du sexe féminin, le garçon reconnaît le manque pénien de la femme, renonce à sa croyance, tout en conservant une crainte de la castration pour lui-même. L’aversion (Abscheu) envers le sexe féminin se substitue à une croyance devenue intenable car démentie, croyance qui va se voir refoulée, avant que l’ancien désir ne fasse retour, déplacé sur le corps de l’autre femme. Au sortir de cette expérience, l’enfant saura consciemment que la mère est dépourvue du phallus mais il croira inconsciemment qu’elle ne l’est pas, signe d’une bascule entre savoir et croyance lors de la mise en place de l’inconscient et de la castration3. Dans une perspective psychanalytique, il n’existe pas de

croyance pleine et assurée, et donc pas de certitude, et l’éros du sujet de l’inconscient porte sur toute toutes les femmes sauf une. Sur le plan conscient, le désir de la mère est devenu désir des autres femmes ; tandis que la mère phallique peut toutefois faire retour hors de l’in-conscient, sous les aspects de ces étranges créatures, femmes phalliques plus qu’androgynes, dont la fin du xixesiècle fut friande.

Le sujet de l’inconscient freudien — c’est le sens qui sera adopté ici — se spécifie de passer de la croyance au pénis maternel à un savoir conscient toujours démenti par une croyance devenue inconsciente à ce même pénis. Cette bascule où le savoir est en permanence démenti par la croyance inconsciente et où la croyance est toujours démentie par le savoir, avec pour effet l’interdiction de toute certitude est un effet de la mise en place du refoulement originaire. Savoir et croyance entretiennent des rapports chiasmatiques puisque le sujet se constitue d’un « un savoir sur la castration de la femme et [d’]une croyance

1. « L’attrait implique un doute secret portant sur le savoir déclaré », H. Rey-Flaud,

Le Démenti pervers, op. cit., p. 117.

2. H. Rey-Flaud, Le Démenti pervers, op. cit., p. 117.

3. « L’enfant se trouve [...] divisé entre un savoir conscient au nom duquel il reconnaît que la femme ne possède pas de pénis, et une croyance refoulée, qui perpétue l’ancienne conviction, laquelle était entachée de doute », H. Rey-Flaud, Le

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refoulée à la mère pourvue d’un pénis1», tandis qu’il cherche à suturer

cette division par le discours, ne se soutenant dès lors que de « la dénégation de sa division2».

Savoir et croyance, conscient, inconscient, signifiant, moi, sujet, tels sont les concepts de la psychanalyse qu’il faut mettre à l’épreuve des élaborations patériennes empruntant la forme littéraire du portrait littéraire ou imaginaire. Les portraits se présentent en effet comme des parcours intellectuels et spirituels, presque comme des études de cas articulées sur une théorie implicitement formulée quoique rigoureuse du sujet. Littéraires ou imaginaires, ils permettent la compréhension de l’articulation de la question de la croyance chez Pater, entre savoir, croyance et vérité, ou plus précisément, entre croyance et disparition — ce qui disparaît étant la certitude entachée de doute — et ce qui la remplace, ces substituts auxquels le sujet entretient un rapport plus ou moins serré. Les portraits patériens déploient une véritable réflexion sur la question de la croyance, laquelle prend la forme d’une expérience où le sujet découvre ce qu’il faut bien appeler la duplicité du langage, avec pour conséquence l’adoption de substituts destinés à le consoler de la disparition de la plénitude et de la certitude.

Notre thèse est que la croyance occupe chez Pater une position cardinale qui n’a jusqu’ici fait l’objet de nulle étude alors que les études sur la position de Pater face à la religion sont nombreuses3,

et qu’une lecture strictement théologique ou historique ne conduit qu’à une classification réductrice ou à un questionnement infini sur sa croyance religieuse dans une perspective psycho-biographique. Le texte se trouve alors examiné à l’aune des autorités religieuses et des théologiens derechef institués comme sujets supposés savoir, au détriment de la parole d’un penseur de premier ordre.

Il convient donc, dans un premier temps, d’établir une typologie des croyants patériens, du sceptique au crédule, l’un n’étant souvent que l’envers de l’autre, à travers leur rapport à une expérience initiale qui les confronte à une question tramant leur existence, avant de nous inté-resser au texte qui va, à notre sens, formuler le problème de la croyance

1. H. Rey-Flaud, Le Démenti pervers, op. cit., p. 206. Cf. S. Freud, « Les théories sexuelles infantiles », in La Vie Sexuelle, Paris, PUF, 1973, p. 18-19.

2. H. Rey-Flaud, Le Démenti pervers, op. cit., p. 210.

3. Voir U. C. Knoepflmacher, Religious Humanism and the Victorian Novel : George

Eliot, Walter Pater, and Samuel Butler, Princeton NJ., Princeton University Press, 1965 ;

R. Wolff, Gains and Losses, Novels of Faith and Doubt in Victorian England, Londres, John Murray, 1977.

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avec le plus de force : Marius l’Épicurien. Complexe, érudit et passion-nant, ce texte met en scène le parcours intellectuel d’un jeune homme au iind siècle, confronté aux philosophies antiques, dont le christia-nisme, et qui meurt sans que le lecteur ne soit sûr de la croyance qu’il finit par adopter. La rédaction de ses trois volumes avait pour but de répondre aux attaques lancées contre la « scandaleuse » « Conclusion » à La Renaissance1, elle-même toute empreinte du désenchantement

mid-victorien, et de proposer une réponse aux propositions formulées par Vernon Lee dans un article paru en 1883, « The Responsibilities of Unbelief2». Reprenant à son compte la disparition des certitudes

victoriennes, l’essayiste élaborait trois réponses possibles à un doute (« unbelief ») rapporté au retrait de dieu : l’optimisme voltairien, le pessimisme esthétique ou l’athéisme militant.

Chez Pater, la confrontation à cet Autre de l’Autre absent qu’est dieu, constitue ce qu’il appelle lui-même « une quatrième sorte de phase religieuse possible pour l’esprit moderne3», laquelle nécessite d’être

explicitée car elle met en jeu la question de la vérité, cette vérité qu’il n’est pas possible d’énoncer totalement, sauf « dans l’horreur4», dira

Lacan, et qui est l’une des pierres angulaires de la croyance. Marius est le texte où Pater se montre le plus explicite et le plus précis dans l’articulation du rapport chiasmatique entre croyance et savoir, soit dans l’élaboration de la croyance dite névrotique. Que leur frontière soit poreuse et franchie en permanence, que le savoir devenu inconscient mine la croyance et inversement, c’est ce dont témoignent le quotidien,

1. « Conclusion » ouvertement matérialiste qui enjoignait à tous de vivre dans l’instant présent et élevait l’art au rang de religion : « Empreints du sentiment de la splendeur de notre expérience et de sa terrible brièveté, rassemblant ce que nous sommes en un effort désespéré pour voir et pour toucher, c’est à peine si nous aurons le temps de bâtir des théories sur les objets qui s’offrent à notre regard et à notre main » (R 216). Ce pas supplémentaire vers la chute du rôle de la religion valut nombre de déboires à Pater qui choisit de supprimer la « Conclusion » lors de la réédition de l’ouvrage en 1877, avant de la remettre lors de la troisième édition en 1888, en précisant qu’il avait traité des problèmes de sa compréhension dans Marius.

2. V. Lee, « The Responsibilities of Unbelief : a Conversation between Three Rationalists », Contemporay Review, vol. 63, 1883, p. 685-710, rééd. Baldwin : Being

Dialogues on Views and Aspirations, Londres, T. Fisher Unwin, 1886, p. 15-74. V. Lee

a également publié « The Consolation of Belief », rééd. Baldwin : Being Dialogues on

Views and Aspirations, op. cit., p. 75-126.

3. « A fourth sort of religious phase possible for the modern mind », W. Pater, « To Violet Paget », 28 May 1884 (LWP 79).

4. « Pensez à la chose innommable qui, de pouvoir prononcer ces mots, irait à l’être du langage, pour les entendre comme ils doivent être prononcés, dans l’horreur. », J. Lacan, « La science et la vérité », Écrits II, Paris, Seuil, coll. « Points », 1970, p. 232.

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la clinique ou les textes de Pater. C’est également cette division entre savoir et croyance que dément le pervers, au sens psychanalytique du terme, lequel va occuper une place grandissante dans les écrits freudiens.

À l’origine, la croyance vise entre autres à démentir la différence sexuelle et donc la castration symbolique ou la finitude humaine. À l’issue de l’expérience de sa découverte, lors de la mise en place du refoulement originaire, le sujet croit au sens élaboré ci-dessus : sa croyance démentie revient comme retour du refoulé. Il existe cepen-dant d’autres positions subjectives où la différence sexuelle, enjeu de la croyance, est elle-même impensable, positions de déni ou de forclusion, que Freud a peu à peu mises en évidence, en attendant leur réexamen par Lacan. Comme le démontre H. Rey-Flaud dans son ouvrage sur le démenti pervers, le refus de la différence sexuelle, manifesté par ceux que l’on appelle pervers, renvoie à toute une série de refus antérieurs de la différence. La différence pure, dont la différence sexuelle n’est que la relève, est soumise à l’instauration d’une première différence, « la différence brute indifférenciante1», en amont du refoulement

ori-ginaire, et qui, lorsqu’elle est refusée, place le sujet dans une position d’indifférence face à toute différence ultérieure, avec pour résultat d’en faire l’habitant d’un monde qui lui est propre, articulé non plus sur le signifiant, dans l’espace du semblant, mais un monde de signes, dans le Réel lacanien. En psychanalyse l’indifférence est donc à concevoir comme l’« état originel logique du sujet du langage2». Nourrie par

la clinique de la perversion et de la psychose, la théorie freudienne conçoit que tout sujet de l’inconscient traverse un moment qui le place au carrefour de la névrose et de la perversion, et que le refus de la différence du pervers est à entendre comme volonté de retour à l’in-différence. Celle-ci emprunte les voies de ces conduites singulières que sont le masochisme ou le sadisme visant à établir « un rapport direct à l’être3». L’indifférence en psychanalyse se situe avant le pulsionnel,

elle est passivité absolue, maîtrisée, désireuse de retourner « au point destinal où l’homme est sorti de l’être en lui faisant traverser l’ima-ginaire, franchir le symbolique et revenir à l’espace de l’indifférence pour atteindre au bord de son abolition4». La question de la croyance

se trouve ainsi référée à la question de l’indifférence originaire

(fon-1. H. Rey-Flaud, Le Démenti pervers, op. cit., p. 148. 2. H. Rey-Flaud, Le Démenti pervers, op. cit., p. 274. 3. H. Rey-Flaud, Le Démenti pervers, op. cit., p. 263. 4. H. Rey-Flaud, Le Démenti pervers, op. cit., p. 263.

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dée sur la Verleugnung) ou secondaire (lorsqu’elle met en évidence la dénégation névrotique, la Verneinung, de la différence sexuelle). En psychanalyse, l’envers de la croyance n’est donc pas le doute mais l’indifférence.

La difficulté plus grande à concevoir l’indifférence perverse doit être comprise comme un effet du remaniement de la croyance survenu au xixeet surtout au xxesiècle, croyance dont l’envers est elle aussi

l’indifférence. Pourtant, le thème de l’indifférence religieuse traverse le xixesiècle, entre autres depuis l’Essai sur l’indifférence en matière de

religion1de Lamennais (1817-1823). Dans une perspective politique

et historique où le religieux perd sa position rectrice, l’indifférence devient « ce trait caractéristique de l’époque » avec « son motif, son excuse [...] [qui] s’est logiquement et nécessairement produite, de par les lois les plus hautes qui régissent la civilisation », comme le signale Philarète Chasles dans un article de la Revue des Deux Mondes2,

en 1843. S’intéressant aux classes rurales, l’anglais Richard Jefferies décrit une classe religieusement « indifférente3» en 1880. Le constat

vaut pour la ville et pour des classes plus diverses que les classes laborieuses dont l’indifférence émeut le monde religieux lorsqu’elle lui est révélée par le recensement de 18514. L’indifférence religieuse

consiste à ne rien vouloir savoir de dieu et de la religion, de la vérité révélée, des T/textes et des dogmes — ce qui la distingue d’une moda-lité de l’athéisme fondé sur la réfutation de l’existence de dieu dont l’athée tire les conséquences éthiques et pratiques. Dans le champ de

1. F. de Lamennais, Essai sur l’indifférence en matière de religion (1817). Lamennais dénonce à cette époque les effets de la Réforme, de la science et de la philosophie en matière d’athéisme et en appelle à la révélation et à l’autorité pour sauver l’Europe. L’édition augmentée paraît en 1823.

2. « L’indifférence augmente, et avec elle une autre sorte de catholicisme vaste, tolérant, effacé, qui n’a pas de centre positif, ni de symbole reconnu. L’unité organique ploie et disparaît. Tout ce qui s’étend marche nécessairement à la dissolution ; et les esprits, dilatés par toutes les espèces de tolérance, se dissolvent dans une apathie universelle. En vain les politiques essaient de remédier à ce malheur, comme les mécaniciens raccommodent une machine qui ne fonctionne plus. Mais, si la force centrale manque, qui la remplacera ? Telle est la misère du temps. » P. Chasles, « Revue Littéraire de la Grande-Bretagne », Revue des Deux-Mondes, t. 29, 1842, p. 453. 3. « A class that is morally apathetic. In every village, in every hamlet, every detached group of cottages, there are numbers of labouring men who are simply indifferent to church and chapel alike. », R. Jefferies, Hodge and his Master, cité in G. Parson (éd.), Religion in Victorian Britain. II Controversies, op. cit., p. 71.

4. H. Mann, Census of Great Britain, 1851 : Religious Worship in England and Wales, Londres, Routledge, 1854.

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la psychanalyse, la réflexion très succincte de Freud sur l’indifférence et son évanouissement progressif ont paradoxalement abouti à un ren-forcement du primat accordé à la croyance dite névrotique référée à la différence sexuelle, leur différence résidant dans la façon dont est conduit le retour à l’indifférence et le registre dans lequel il se déploie — celui du semblant représentatif dans la névrose, celui de la « machination » d’une « batterie de signes » (H. Rey-Flaud) dans la perversion.

Chez Pater, la réflexion sur l’indifférence n’est pas absente : elle constitue au contraire la question structurante de son dernier roman,

Gaston de Latour, et elle se déploie à travers ses conséquences

esthé-tiques, éthiques et érotiques. Le tableau très sombre qu’il dresse de la France du xviesiècle, derrière lequel le lecteur est invité à lire un

portrait sans concession de l’Angleterre late-victorienne, montre la volonté d’indifférence animant tout un chacun, qu’elle se traduise par une indifférence d’ordre philosophique, esthétique ou érotique. Par leur contraste avec une indifférence référable à l’indifférence névro-tique, ces expressions ou ces modalités de l’indifférence montrent de surcroît que Gaston élabore deux formes d’indifférence distinctes. Abor-dée à travers son versant érotique, l’indifférence se traduit par deux conduites dont l’une se réfère à une méconnaissance de la différence et l’autre renvoie à un refus radical ou plutôt à une volonté de retour ou de maintien de l’indifférence. Pater distingue, sans doute plus fine-ment que la psychanalyse freudienne et pour des raisons qui restent à expliciter, ce qu’elle appelle respectivement l’indifférence névrotique et l’indifférence perverse. Mieux, il en donne deux expressions sai-sissantes méritant une lecture attentive. Inachevé, mal édité jusqu’à une date récente et donc peu commenté, Gaston de Latour son dernier roman est capital pour notre perspective : en lui se joue le divorce entre deux positions subjectives qui semblent avoir cohabité plus ou moins pacifiquement, avant que n’apparaisse ce qu’il faut bien qualifier d’hégémonie de la croyance névrotique, laquelle culminera dans les philosophies de la différence (structuralisme et poststructuralisme) du xxe siècle. En même temps disparaît du pensable l’indifférence

perverse, cette virtualité que chacun a rencontrée, que beaucoup ont esquivée, mais que certains ont embrassée. Aussi, une large part de cette étude sera-t-elle consacrée à un texte qui, parce qu’il est peu accessible, n’étant pas traduit en français, n’en demeure pas moins essentiel pour comprendre les vicissitudes de la question de la croyance chez Pater, entre désillusion et indifférence, entre méconnaissance et

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refus. Précisons que le terme « perversion » sera exclusivement employé au sens psychanalytique, loin du sens contemporain qui la trivialise.

La mort est venue surprendre l’enseignant et l’écrivain particulière-ment actif qu’était Pater au tournant des années 1890. Gaston demeure inachevé, mais les méditations de Pater sur la croyance continuent. Bien qu’il ait été impossible de dater précisément les chapitres inédits jusqu’à une date récente, il ne fait aucun doute qu’ils ont été rédigés en parallèle à d’autres écrits s’intéressant également à la croyance. Tel est le cas de « Pascal », qui se présentait originellement sous la forme d’un cours et qui fut publié en 18951. Pater s’interroge sur les

voies étranges à travers lesquelles Pascal parvint à la foi et la maintint devant toute émergence du doute au prix de son corps, de son œuvre et de sa vie. Cette position n’est pas sans rapport avec l’indifférence érotique élaborée aux chapitres (inédits) IX et X de Gaston. Parce qu’il est le seul texte achevé consacré à homme de foi, à un controversiste devenu reclus, entretenant un rapport singulier au corps, à autrui et à l’écriture, et qu’il le fait en réponse à l’expérience du disbelief élaborée en 1890, « Pascal » permet de jeter un éclairage final sur la nature de la foi pour Pater et de l’opposer à « l’âge de l’espoir » qu’il percevait dans son époque... en commentant le Purgatoire de Dante2.

1. W. Pater, « Pascal », Contemporary Review, vol. 67, February 1895, p. 168-181, rééd. Miscellaneous Studies, C. L. Shadwell (éd.), op. cit.

2. W. Pater, « Introduction », The Purgatory of Dante Alighieri, translated by Charles Lancelot Shadwell, Londres, Macmillan and Co., 1892, p. xiii-xxviii.

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Première partie

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