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Gaston de Latour An Unfinished Romance

Non traduit, longtemps introuvable, Gaston de Latour est si mal connu des francophones qu’il nous semble utile de le présenter et de le situer dans l’œuvre patérienne et le temps où elle apparaît. Jusqu’à une date récente, les lecteurs lisaient l’édition de C. L. Shadwell, l’exécuteur tes- tamentaire de Pater, parue en 1896, qui compte les sept chapitres parus dans la Fortnightly Review et le Macmillan’s Magazine entre juin 1888 et août 18891. Interrompu au chapitre « Shadow of Events », l’ouvrage

était pourtant plus avancé que ce que Shadwell, sous le contrôle de Clara Pater qui l’avait elle-même transcrit à une date inconnue, avait publié2. Il faudra attendre 1961 pour que G. d’Hangest évoque les

manuscrits auxquels il avait eu accès et qui constituent un tiers supplé- mentaire, et qu’il offre la première analyse sérieuse de ce texte que les

1. Les six premiers chapitres paraissent dans le Macmillan’s Magazine de juin à octobre 1888 et le dernier dans la Fortnightly Review en août 1889 : W. Pater, « Gaston de Latour : A Clerk in Orders », vol. 57, June, p. 152-160 ; « Gaston de Latour : Chapter II », vol. 57, July, p. 222-229 ; « Gaston de Latour : Chapter III, Modernity », vol. 57, August, p. 258-266 ; « Gaston de Latour : Chapter IV, Peach Blossom and Wine », vol. 57, September, p. 393-400 ; « Gaston de Latour : Chapter V, Suspended Judgement », vol. 57, October, p. 472-480 ; « Giordano Bruno : Paris 1586 » Fortnightly

Review, vol. 46/ 52, August 1889, p. 234-244.

2. Voir l’introduction de l’édition de G. Monsman, Walter Pater. Gaston de Latour.

The Revised Edition, op. cit. Toutes les références renvoient à cette édition. Sur la

publication des premiers chapitres dans le Macmillan’s Magazine et les raisons possibles de son interruption, voir L. Brake, « The Art of the Novel : Pater and Fiction »,

Victorian Aesthetic Conditions, op. cit. p. 220-231. Signalons que ces deux années sont

spécialistes reléguaient alors dans les oubliettes du corpus patérien1.

Certes, ces chapitres inachevés, inédits, privés des relectures minu- tieuses de Pater, se distinguent par leur tonalité sombre, en opposition avec le caractère romanesque du début, mais il ne fait aucun doute que Pater poursuit le projet engagé avec Marius l’Épicurien : méditer sur la condition moderne de l’homme à travers les vicissitudes d’un sujet, ainsi que le remarque C. L. Shadwell :

L’intérêt se serait porté sur le développement spirituel d’un esprit raffiné et cultivé, capable de jouir intensément des plaisirs sensuels et intellectuels, mais destiné à trouver sa satisfaction dans ce qui les transcende2.

Cette transcendance est généralement perçue comme religieuse, qu’elle soit anglicane ou catholique, en fonction de l’orientation des critiques. Ainsi T. de Wyzewa, l’un des nombreux convertis au catholi- cisme de la fin du siècle en France, écrira que Gaston « trouve enfin le repos dans un assentiment absolu au dogme chrétien3». Or c’est

là abraser le tranchant de la méditation patérienne sur la croyance en la rabattant sur une question confessionnelle, même si l’on peut brièvement suivre Wyzewa écrivant que Pater nous offre le récit de son propre parcours4. Il s’agit avant tout du parcours d’un sujet victo-

rien confronté à un bouleversement civilisationnel déjà exprimé dans

Marius, ne se résumant pas à l’adhésion à une croyance commune ou à

une confession, voire à un doute inextinguible. Gaston apparaît comme le moyen pour Pater de penser le problème de la croyance à nouveaux frais.

Il faudra attendre l’édition complète de G. Monsman en 1995 pour avoir l’intégralité ou presque du texte avec ses treize chapitres, même si les derniers sont très incomplets. Certes, nous lisons la version de G. Monsman plus que celle de Pater et de sa sœur, Clara, qui a peut-être

1. G. d’Hangest, Walter Pater, t. II, Paris, Didier 1961, chapitre VII, « L’artiste au travail », p. 254-310.

2. « The interest would have centered round the spiritual development of a refined and

cultivated mind, capable of keen enjoyment in the pleasures of the senses and of the intellect, but destined to find its complete satisfaction in which transcends both », C. L. Shadwell,

« Introduction », Gaston de Latour, 2eéd., Londres, Macmillan, 1897, p. vi.

3. T. de Wyzewa, « Un Roman posthume : Gaston de Latour », La Revue des Deux

Mondes, vol. 66, novembre 1896, p. 461.

4. « Dans l’histoire de Gaston de Latour, c’était sa propre histoire qu’il avait incarnée, l’histoire de ses rêves, de ses déceptions, et des longs détours qu’avait suivis sa pensée. » T. de Wyzewa, art. cité, p. 468.

réécrit certains passages1. G. d’Hangest a émis des réserves sur cer-

tains choix éditoriaux dont il n’est pas dit que Pater les eût approuvés2.

Néanmoins, nous utiliserons cette édition confirmant l’hypothèse de la poursuite de la réflexion engagée dans Marius : poser la question de la croyance en un monde de bouleversements intellectuels, la période choisie étant celle des Guerres de religion en France3. D’autre part,

nous suivons le conseil d’un lecteur de 1896 : « Oubliez l’idée qu’il s’agit d’un simple tout et vous pourrez apprécier les parties plus com- plètement4» pour reconstruire Gaston du lieu de l’Autre et du manque

selon l’esthétique du fragment à laquelle il appartient légitimement, comme le remarquait l’un des premiers critiques5. Pater impose en

quelque chose une soumission subtile à son lecteur en lui assignant de participer du lieu du manque « à l’évocation de l’idéal perdu6». Toute

critique, toute lecture de Gaston est teintée de désir, vouée à ne jamais se satisfaire que d’hypothèses ou de regrets.

Bien que le texte soit très incomplet, il ne fait guère de doute que Pater se propose de suivre le devenir7 du jeune Gaston de Latour,

aristocrate, né 1522 et mort vraisemblablement en 1594, comme il est annoncé dans le premier chapitre8, soit à la transition entre la Renais-

sance et l’âge classique. Gaston naît et grandit à Deux-Manoirs dans la Beauce, part à Chartres en vue d’entrer dans les ordres, puis rejoint Paris ayant abandonné la carrière ecclésiastique pour des raisons inex- pliquées. Il abjure son catholicisme pour épouser une jeune protestante qu’il délaisse pour se rendre au chevet de son grand-père mourant, revient à Paris chercher son épouse et son fils après le massacre de la

1. Voir G. Monsman, The Revised Edition, op. cit., p. xxvi. 2. Entretien avec l’auteur, 5 avril 2002.

3. Pater se proposait de rédiger trois romans se passant respectivement à l’époque romaine, dans la France du xviesiècle et au tournant du xixesiècle : « “Marius” is designed to be the first of a kind of trilogy, or triplet, of works of a similar character ; dealing with the same problems, under altered historical conditions. The period of the second of the series would be at the end of the 16th century, and the place France : of the third, the time, probably, the end of the last century—and the scene, England », « To Carl Wilhem

Ernst », 28 January 1886 (LWP 96).

4. « Get rid of the idea that it is a simple whole, and you can more fully enjoy the

parts », [Unsigned Review], Critic, vol. 26, 5 December 1896, p. 359 (rééd. CH 385).

5. Le décrivant comme « a collection of fine fragments ». [T. B. Saunders], « Review », The Athenaeum, 17 October 1896, p. 518-519 (rééd. CH 366).

6. H. Rey-Flaud, Le Démenti pervers, op. cit., p. 184.

7. C’est l’avis d’A. Macdonnel : « Gaston’s spirit moves along a path clearly marked », « Review », The Bookman, vol. 11, November 1896, p. 41-42 (rééd. CH 374).

Saint-Barthélémy en 1572. Après un séjour de quelques années dans la capitale, Gaston part tout aussi mystérieusement par un beau matin de printemps vers le Midi. « Qu’est-il advenu de lui1? » : telle est la

question que Pater souhaitait que se pose son lecteur en refermant « The Child in the House » (« L’enfant dans la maison »), le premier de ses portraits littéraires en 1878. L’inachèvement de ce roman en accen- tue l’intensité et place le lecteur dans un rapport direct à la coupure, le confronte à l’ignorance des vicissitudes du personnage principal, renforçant son désir sans jamais l’assouvir. Par sa position paradoxale et fréquente dans le champ littéraire, quoiqu’ici involontaire, Gaston

de Latour occupe donc une place tout à fait singulière dans les écrits

patériens.

À son héros, Pater adjoint trois compagnons, Jasmin, Camille et Amadée, et il est vraisemblable qu’il leur aurait consacré de nombreuses pages. Du moins, suivons-nous les vicissitudes de Jasmin, depuis sa rencontre avec Gaston à Chartres où il s’apprête également à entrer dans les ordres, jusqu’à son séjour à Paris où il rencontre Marguerite de Navarre. Dédaigneux des avances de la reine, Jasmin périra de sa main le jour des noces de sa sœur cadette. Nul doute que Pater souhaitait s’intéresser également à Amadée et Camille, le juriste et le soldat. Le texte aurait ainsi suivi le destin de ces quatre mousquetaires de la Renaissance — clin d’œil à Alexandre Dumas ? — là où Marius était plus solitaire.

Gaston de Latour possède la même structure que Marius : le héros

croise diverses personnalités incarnant des systèmes philosophiques, des esthétiques et des érotiques qui l’aident à concevoir les siens : ainsi il rencontre Ronsard en 1569, puis Montaigne, avant de rencontrer Giordano Bruno en 1579. Âme naturellement pieuse, comme tous les héros patériens, Gaston se meut dans un univers où la religion est un problème, où s’opposent doctrines et conceptions concernant la place du sujet et de dieu. Il croisera le catholicisme à Chartres, découvrira le scepticisme élégant de Montaigne chez qui il séjourne quelques temps, et le panthéisme de Bruno dont il écoute un sermon à Paris où il réside à la suite de sa conversion. Il rencontrera également Ronsard, prince de cette nouvelle poésie que Pater a célébrée en 1873 dans « Joachim du Bellay », et connaît de l’art de son époque, qu’il s’agisse de l’art frelaté exhibé chez Jasmin (chapitre VIII « An Empty House »),

1. « I call the M. S. a portrait, and mean readers, as they might do on seeing a portrait, to

où, plus tard, vu dans le Cabinet du roi François Ier, celui des maîtres

de la Renaissance italienne si différent de l’esthétique littéralement décadente du Paris des Guerres de religion. La leçon qu’il semble en tirer s’oppose en tous points à celle des philosophies dangereuses si on en croit leur lecture à rebrousse-poil par un narrateur similaire à celui de Marius. Impersonnelle, l’analyse patérienne est sans concession, comme il a été vu à travers le portrait de Thomas Browne.

Comme toujours chez Pater, les lieux et le décor possèdent une grande importance : Gaston passe du château de Deux-Manoirs, à la cathédrale de Chartres, puis à une capitale à l’atmosphère lourde, factice, ambiguë1. À Paris, il se rend successivement chez Jasmin, puis

dans la chambre de la reine Margot où se célèbre le culte païen de la beauté létale. Il méditera dans la tour de la demeure de Montaigne, et dans la chambre du prieuré de Ronsard, sur les tombeaux du cimetière des Innocents, dans l’église de Saint-Germain où il assiste à la messe de la Mi-Carême et à un enterrement, avant d’aller se recueillir devant les œuvres du Cabinet royal. À chaque fois, les lieux, abondamment décrits, sont l’écho des pensées de Gaston, à moins qu’ils ne les colorent, en vertu d’une influence reconnue depuis les dialogues platoniciens et remise à l’honneur par le mouvement esthétique2. L’homme et le lieu

qui n’est jamais qu’un corps habité, incarné, se répondent et forment avec l’art un véritable « triangle patérien3», pendant que Pater rend

hommage à l’art renaissant en lui empruntant l’esthétique de la mise en abyme et de l’anamorphose pour analyser les discours et les pratiques dans lesquels se meut son personnage4.

Dans La Renaissance, où s’exprime la conception patérienne de la Renaissance comme retour du refoulé5, un chapitre était consacré à

1. « [...] that world of fluctuating and ambiguous characters » (GdeL 82).

2. D. Mao, Fateful Beauty : Aesthetic Environments, Juvenile Development, and

Literature, 1860-1960, Princeton, Princeton University Press, 2008.

3. Dans « Thomas Browne », par exemple Pater dresse un parallèle avec l’archi- tecture étrange qui n’est jamais que le reflet de l’époque et de celui qui l’investit. Le médecin, passe son existence dans sa maison de Norwich, « un étrange cabinet d’antiquités » (EA 100), où il vit comme dans « un musée » d’une beauté et d’une grâce « mortifiées » (138), tandis que sa vie ressemble à « sa propre cérémonie funéraire » (100).

4. Hommage perçu par ses premiers lecteurs : « a chain of remarkably ingenious and

subtle essays on a phase of the Renaissance in France », [Unsigned Review], The Saturday Review, 17 October 1896, p. 421 (rééd. CH 370).

5. De nouveau cette vision s’énonce à travers Winckelmann : « il semble accomplir cette idée de la réminiscence d’un savoir oublié, caché un temps dans l’esprit, comme si l’esprit d’un amant et philosophe dans une phase d’existence antérieure —φιλοσοφήσας

la France renaissante, et il est intéressant de noter qu’il s’agit du seul où apparaît le terme de « décadence1» auquel le nom de Pater est par

ailleurs souvent lié. Cette période n’a pas été choisie au hasard car la Renaissance française possède un statut ambigu chez lui : elle est à la fois maturité d’un mouvement de redécouverte du passé initié par la Renaissance italienne, avant sa disparition (son refoulement) à l’âge classique, en même temps qu’hybride, greffe sur l’art, la littérature, le sol français d’un art étranger qui ne fait que masquer son origine :

le flot du goût renaissant [...] laisse aux bâtiments, au langage, à l’art, et à la poésie française son caractère intrinsèquement gothique, tout en dorant sa surface d’un aspect étranger, curieux et délicieux qui passe sur cette terre septentrionale, et qui n’est en lui-même ni plus profond ni plus permanent qu’un effet de lumière aléatoire. [...] c’est alors que toute la force et tout le sérieux de l’art français disparaissent pour ne plus laisser que l’élégance, la note aérienne et la parfaite manière. Et cette élégance, cette manière, cette délicatesse d’exécution sont consommées et possèdent une immanquable valeur esthétique.

(R 161)

Il est impossible d’affirmer que la Renaissance en France est une authentique renaissance ou une simple mode parant la force gauloise de la joliesse italienne. Elle est l’une et l’autre. Elle fonctionne sur l’emprunt à la Renaissance italienne, et sur la greffe de l’étranger en sol français. Dans Gaston de Latour, Pater poursuit sa méditation : il existe en fait deux Renaissances, celle de l’art italien au xve siècle

— paradigme de cette autre Renaissance participant, quant à elle, de la mauvaise greffe, de l’artifice, se présentant comme postiche — où l’on retrouve l’artificialité prêtée au mouvement décadent britannique des années 1890 — mal greffé à un passé inassimilable. Le statut de la Renaissance française est donc un problème important puisqu’à la ressaisie de l’être qu’est la renaissance, la France répond par un artefact, plus précisément, que cette ressaisie met parfois au jour un fonds mauvais, malsain, « caduc », dira Pater, dont Antéros est la figure élue et qui se présente comme perversion de la Renaissance elle-même.

À travers la France du xviesiècle, c’est aussi la Grande-Bretagne des

années 1880 et 1890 qui est visée : le texte offre alors une méditation

ποτἑ μέτ' ἒρωτος — tombé en un cycle nouveau, recommençait sa carrière intellectuelle, mais avec un certain pouvoir d’en anticiper les résultats » (R 186-187).

1. « La Renaissance fit éclore un regain, une merveilleuse refloraison, dont les produits ont pleinement cette douceur subtile et délicate qui appartient à la belle décadence raffinée » (R 50).

sur la fin de l’esthétisme et le début de la décadence anglaise, qui semblent eux aussi « suivre une longue période de calme progrès » (8). La mauvaise Renaissance française est-elle l’image en miroir de l’esthétisme et de la décadence anglaise ? Sans prétendre répondre à cette interrogation, il est intéressant d’en examiner le déploiement dans Gaston. Bien que l’esthétisme n’ait jamais été théorisé comme tel au moment de son apparition, il a fait l’objet d’une première étude dès 1882 par W. Hamilton 1. En dépit de divergences parfois marquées et

du remaniement récent de son historiographie2, la critique s’accorde

à reconnaître La Renaissance comme le meilleur texte théorique d’un mouvement s’achevant dans les années 1880 et se poursuivant par la décadence3. Si la version française de la décadence se manifeste parti-

culièrement dans les années 1880, ce n’est qu’en 1892 qu’elle apparaît officiellement comme telle Outre-Manche, qu’il s’agisse d’un mouve- ment artistique en regard de la décadence latine ou du « décadisme4»

français. Dans son « Decadent Movement in English Literature » rédigé pour faire pièce au « Decadent to His Soul5» de Richard Le Gallienne

(1892), Arthur Symons affirmera que la décadence contemporaine « a toutes les qualités qui signent la fin des grandes périodes, les qualités que nous trouvons dans la décadence grecque et latine : une conscience de soi intense, une inlassable curiosité de recherche, un raffinement plus que subtil du raffinement, une perversité morale et spirituelle6»

1. W. Hamilton, The Aesthetic Movement in England, Londres, Reeves and Turner, 1882.

2. Cette historiographie inclut les femmes esthètes et les classes moyennes. Voir T. Schaffer, The Forgotten Female Aesthetes, Charlotteville, University of Virginia Press, 2000, et D. Maltz, British Aestheticism and the Urban Working Classes, 1870-1900 :

Beauty for the People, Houndmills, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2006.

3. Voir G. Marshall, The Companion to the fin de siècle, Cambridge, Cambridge University Press, 2011.

4. L. Pouey-Marquèze définit la décadence française comme mouvement litté- raire sans chef ni manifeste déclaré (à l’exception de l’Art poétique de Verlaine) en réaction au naturalisme et affirmant la liberté créatrice dans des « œuvres libres stricte- ment individuelles » avec « l’individu pour thème », voir Le Mouvement décadent, Paris, PUF, 1986, p. 265. On pourra également lire l’excellente introduction de G. Ducrey aux Romans Fin-de-siècle 1890-1900, Paris, Laffont, Bouquins, 1999, p. i-vlix.

5. R. Le Gallienne, « The Decadent to His Soul », English Poems, Londres, Elkin Matthews and John Lane, 1892, p. 106.

6. A. Symons, « The Decadent Movement in Literature », Harper’s New Monthly

Magazine, no87 (November 1893), p. 858-859. Il se trouve aux côtés d’« Apollo in

Picardy », l’un des plus sombres portraits imaginaires de Pater (p. 949-957), hérité en partie de Flaubert. Amendé, le texte de Symons constituera l’introduction de The

et présentera Pater comme l’un de ses partisans. Il serait vain de vouloir donner une définition trop stricte d’un ensemble d’auteurs, d’artistes, de textes, d’œuvres et de pratiques s’étant reconnus ou ayant été recon- nus décadents, sur le moment ou par la critique postérieure1. Il semble

plus fructueux de constater que c’est surtout le sens d’une transition qui est prééminent chez Pater faisant par avance, ou alors qu’il conti- nue à rédiger Gaston au début des années 1890, la critique acérée d’un mouvement alors en pleine fermentation. La décadence n’est pas uniquement d’un retour à la décadence littéraire latine, un art pri- vilégiant l’artifice et la représentation, mais plus profondément un art « pervers », un retour littéral du refoulé, que le sujet n’accepte pas. La Renaissance française, artificieuse, théâtrale, cette mauvaise greffe de l’Italie sur le gothique gaulois est le produit d’une époque où le retour du refoulé, ressenti comme corps étranger, est devenu inassimilable, où il se donne alors comme symptôme. Mutatis mutandis, la décadence anglaise est la greffe malheureuse sur le sol anglais d’un art gaulois ou méridional qui lui demeure étranger2. Elle est un symp-

tôme dont Pater fait l’anatomie pour lui opposer le retour d’un refoulé bien compris, la ressaisie parfaite que fut la Renaissance italienne, qui doit implicitement servir de source d’inspiration pour la renaissance anglaise, peut-être contre la renaissance anglaise prêchée par Wilde, l’autre théoricien de l’esthétisme3. Dans la fiction patérienne, cette

problématique est nouvelle si l’on considère qu’elle apparaissait peu dans Marius. Par ses comptes rendus et ses portraits littéraires, Pater a paradoxalement contribué à faire connaître la littérature française à ses concitoyens, et il y aurait quelque ironie à voir l’un des apologistes