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Au Québec

Dans le document L'écrit électronique (Page 109-114)

Section 1 – Au plan probatoire

E) La Convention des Nations Unies sur l’utilisation des communications

3) Au Québec

Tout comme en France, la reconnaissance de l’écrit électronique au Québec s’est déroulée en deux étapes. D’abord, en 2001 est entrée en vigueur la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information381, venue établir le régime probatoire de l’écrit électronique. Ensuite, en 2006, des modifications ont été apportés à la Loi sur la protection du consommateur382 afin d’adapter certaines de ses dispositions au commerce électronique. En matière probatoire, la méthode utilisée pour intégrer l’écrit électronique au droit de la preuve diffère de celle utilisée en France.

La LCCJTI est une loi de portée générale mais qui établit aussi des régimes juridiques spécifiques. Elle établit ainsi les régimes de responsabilités prestataires de services prenant part au cycle de vie des documents technologiques de même que l’encadrement des activités de certification. En outre, elle a apporté d’importantes modifications au droit civil avec ses dispositions relatives à la signature et à l’écrit. Celles-ci remplacent d’ailleurs les dispositions relatives aux inscriptions informatisées dans le livre de la preuve du Code civil.

La notion de document technologique est au cœur de la LCCJTI. Cette approche « documentaire » de la loi est directement inspirée des sciences de l’information383. Dans une étude pluridisciplinaire sur les documents numériques, un collectif d’auteurs a identifié trois acceptions au document384, différentes disciplines ayant développé la notion différemment, mettant plus d’accent sur une conception plutôt que sur une autre. Ainsi, le document pourra être un « signe », porteur de sens et intimement lié à son contexte ; un « médium », trace d’une communication libérée de ses contraintes spatio-temporelles ou enfin une « forme », objet manipulable385.

381 Préc., note 19.

382 L.R.Q., c. P-40.1 (ci-après « L.p.c. »).

383 BARREAU DU QUÉBEC, Mémoire sur la Loi sur la normalisation juridique des nouvelles technologies

de l’information, août 2000, p. 15, en ligne : <http://www.barreau.qc.ca/pdf/medias/positions/2000/200008-

normalisationtic.pdf> (accédé le 31 août 2009).

384 Roger T. PÉDAUQUE, préc., note 43, p. 27-78. Roger T. Pédauque est le nom d’un collectif, affilié au Réseau thématique pluridisciplinaire « Documents et contenu : création, indexation navigation » du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Conçu comme forme, le document est « un objet de communication régit (sic) par des règles de mise en forme […] qui matérialisent un contrat de lecture entre un producteur et un lecteur. Le document est principalement étudié sous l’angle de ce protocole implicite de communication »386. L’informatique s’intéresse naturellement à cette « structure interne des documents »387. Dans la conception du document comme forme, « l’accent est mis sur un support manipulable (au sens premier) sur lequel est fixé une trace interprétable […] Cette trace représente le contenu, matérialisé par une inscription »388. Cela peut se traduire par l’équation suivante : « document traditionnel = support + inscription »389.

Sous l’effet des technologies de l’information, « la notion de support se complexifie et devient ambiguë. Est-ce le fichier, l’outil matériel qui l’héberge ou encore la surface de l’écran sur lequel il s’affiche ? »390. Il en est de même pour la notion d’inscription. Le document devient programme informatique (programme = logiciel + données), où le logiciel structure le contenu. L’équation finale devient ainsi « document numérique = structure + données »391. En d’autres mots,

« Un document numérique est un ensemble de données organisées selon une structure stable associée à des règles de mise en forme permettant une lisibilité partagée entre concepteur et ses lecteurs. »392

Cette définition marginalise le support et souligne « le rôle fondamental pris à l’inverse par l’articulation entre la structure logique et les styles pour redéfinir le contrat de lecture, compris ici comme le contrat de lisibilité »393.

La définition que donne la LCCJTI du document technologique fait écho à celle citée ci- dessus : 386 Id., p. 34. 387 Id., p. 35. 388 Id., p. 36. 389 Id. 390 Id., p. 38.

391 Id., p. 39. L’étude se poursuit et suggère une possible évolution « document XML = données structurées + mise en forme » : Id., p. 45.

392 Id., p. 45. 393 Id.

« 3. Un document est constitué d'information portée par un support. L'information y est délimitée et structurée, de façon tangible ou logique selon le support qui la porte, et elle est intelligible sous forme de mots, de sons ou d'images. L'information peut être rendue au moyen de tout mode d'écriture, y compris d'un système de symboles transcriptibles sous l'une de ces formes ou en un autre système de symboles.

[…]

Les documents sur des supports faisant appel aux technologies de l'information visées au paragraphe 2° de l'article 1 sont qualifiés dans la présente loi de documents technologiques. »394

Le nouvel article 2837 C.c.Q., tel que remplacé par la LCCJTI, pose que l’écrit peut être un document technologique. Le premier alinéa établit l’indifférence du support : l’écrit n’est plus lié de façon indissociable au papier. Le second alinéa opère un renvoi à la LCCJTI : les écrits dont le support fait appel aux technologies de l’information sont qualifiés de documents technologiques, et les conditions de leur admissibilité en preuve se trouvent à cette loi :

« 2837. L'écrit est un moyen de preuve quel que soit le support du document, à moins que la loi n'exige l'emploi d'un support ou d'une technologie spécifique.

Lorsque le support de l'écrit fait appel aux technologies de l'information, l'écrit est qualifié de document technologique au sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologiques (sic) de l'information. » L’article suivant établit les conditions auxquelles un tel document peut faire preuve à titre d’écrit. Il s’agit, autrement dit, du critère d’équivalence fonctionnelle qui permet à un document technologique d’être qualifié d’écrit selon l’article 2837 C.c.Q. :

« 2838. Outre les autres exigences de la loi, il est nécessaire, pour que la copie d'une loi, l'acte authentique, l'acte semi-authentique ou l'acte sous seing privé établi sur un support faisant appel aux technologies de l'information fasse preuve au même titre qu'un document de même nature établi sur support papier, que son intégrité soit assurée. »

Malgré l’absence, dans l’énumération des différents types d’écrits, des écrits non signés (c'est-à-dire les « autres écrits » des articles 2831 à 2836 C.c.Q.), qui semblent pourtant visés à l’article 2837, ceux-ci doivent tout de même voir leur intégrité assurée afin de faire

preuve. Ce sera cependant aux deux premiers alinéas de l’article 5 LCCJTI, de portée plus générale, qu’il faudra se référer395 :

« 5. La valeur juridique d'un document, notamment le fait qu'il puisse produire des effets juridiques et être admis en preuve, n'est ni augmentée ni diminuée pour la seule raison qu'un support ou une technologie spécifique a été choisi.

Le document dont l'intégrité est assurée a la même valeur juridique, qu'il soit sur support papier ou sur un autre support, dans la mesure où, s'il s'agit d'un document technologique, il respecte par ailleurs les mêmes règles de droit. »

L’« autre écrit », qualifié de document à l’article 2837 C.c.Q., doit, selon l’article 5 al. 2 LCCJTI, voir son intégrité assurée pour avoir « la même valeur juridique » qu’un même écrit sur support papier. Tel est le détour rendu nécessaire par l’absence de mention des « autres écrits » à l’article 2838 C.c.Q.. L’effet reste certes le même, mais le raisonnement n’en est pas moins inélégant396.

Ainsi, contrairement à la Loi du 13 mars 2000, la LCCJTI ne redéfinit pas directement l’écrit, mais permet plutôt à des documents technologiques satisfaisant au critère d’intégrité de s’y assimiler. Cette méthode n’est pas sans rappeler la « qualification en deux temps » utilisée par la Loi type sur le commerce électronique de la CNUDCI et par la Convention de 2005, dans lesquelles un « message de données » ou une « communication électronique » satisfont à l’exigence de l’écrit si elles rencontrent le critère de la « consultation ultérieure »397. Elle diffère toutefois nettement de l’approche française où l’écrit fait l’objet d’une redéfinition, par ailleurs particulièrement englobante.

Claude Fabien qualifiera l’approche de la LCCJTI de « caméléon » :

« [l]e document technologique reçoit la qualification correspondant au moyen de preuve dont il accomplit la fonction et auquel il est alors assimilé. On pourra dire du document technologique qu’il est un support

395 Voir aussi Claude FABIEN, « La preuve par document technologique », (2004) 38 R.J.T. 533, 586 et suiv.

396 Id., 586 ; voir aussi Marie-Eve BÉLANGER, « Documents technologiques, copies et documents résultant d’un transfert », dans Jurisclasseur Québec, coll. « Droit civil », Preuve et procédure, fasc. 5, Montréal, Lexis Nexis Canada, 2008, feuilles mobiles, n° 35-38, p. 15 et 16.

397 Loi type sur le commerce électronique, précitée, note 230, art. 6 ; Convention de 2005, préc., note 362, art. 9(2).

« caméléon ». Il prend la couleur et la forme du moyen de preuve auquel il ressemble. »398

Un document technologique peut en effet être un écrit (2837 C.c.Q.), un élément matériel (2855 C.c.Q.)399, voire un témoignage extrajudiciaire (2869 à 2874 C.c.Q.)400.

Notons finalement que l’une des modifications corrélatives de la LCCJTI401 a abrogé la définition d’écrit figurant à la Loi d’interprétation402, tandis qu’une autre a légèrement modifié la définition de signature de l’article 2827 C.c.Q. : de « l’apposition qu’une personne fait sur un acte de son nom ou d’une marque qui lui est personnelle […] », la signature est devenue une apposition faite « à un acte »403.

Tant la LCCJTI que les modifications qu’elle a emportées ne semblent viser que l’aspect probatoire de l’écrit404. En effet, les modifications au Code civil sont limitées au livre de la preuve. L’écrit requis à des fins de validité n’est pas considéré en regard des spécificités du médium électronique405. Il n’y a pour ainsi dire aucune distinction faite entre l’écrit requis ad probationem et celui requis ad validitatem. L’article 2 LCCJTI, dans les dispositions générales, le pose expressément :

« 2. À moins que la loi n'exige l'emploi exclusif d'un support ou d'une technologie spécifique, chacun peut utiliser le support ou la technologie de son choix, dans la mesure où ce choix respecte les règles de droit, notamment celles prévues au Code civil.

Ainsi, les supports qui portent l'information du document sont interchangeables et, (sic) l'exigence d'un écrit n'emporte pas l'obligation d'utiliser un support ou une technologie spécifique. »406

Cette lacune sera, dans une certaine mesure, comblée par la mise en place, dans la L.p.c., d’un nouveau régime applicable aux contrats à distance.

398 C. FABIEN, préc., note 395, 551.

399 Nicolas W. VERMEYS, Virus informatiques : responsables et responsabilité, Montréal, Thémis, 2006, p. 106 et 107.

400 Voir sur ce point C. FABIEN, préc., note 395, 551 à 559. 401 L.Q. 2001, c. 32, art 100.

402 Précitée, note 17 et texte accompagnant cette note. 403 L.Q. 2001, c. 32, art. 77.

404 V. GAUTRAIS, préc., note 362, ¶ 61 p. 21.

405 En fait preuve l’absence de modification au livre des obligations. 406 Nos italiques.

L’approche québécoise en matière d’écrit électronique s’inscrit dans le cadre plus vaste de reconnaissance des effets juridiques de divers types de documents technologiques. Il s’agit d’une approche « caméléon » au centre de laquelle se trouve la notion de document. Le Code civil prévoit que les écrits qualifiés de documents technologiques pourront faire preuve au même titre que s’ils reposaient sur un support papier, pour peu que leur intégrité soit assurée. Nous verrons plus en détail au second chapitre de cette partie le régime de preuve de l’écrit électronique.

Notre analyse historique de l’aspect probatoire de l’écrit électronique a identifié d’une part une évolution dans la méthode envisagée pour intégrer les technologies de l’information, et d’autre part une variation entre les méthodes utilisées par les législateurs nationaux. Ainsi, au niveau international, les deux recommandations cherchaient principalement à assurer l’admissibilité de documents microfilmés ou informatisés – la création de régimes d’exception aurait pu atteindre ces objectifs. Les eTerms 2004 ont pour partie un effet similaire. À l’opposé, la Loi type sur le commerce électronique et la Convention de 2005 procèdent à l’assimilation, conditionnellement à la rencontre d’un critère d’équivalence fonctionnelle, au régime général de l’écrit. C’est, dans une certaine mesure, l’approche utilisée par le législateur québécois, qui a centré sa réforme autour de la notion de document technologique et qui en permet aussi l’assimilation à un écrit. En France, c’est à l’étape de la définition de l’écrit que nous retrouvons les critères qui permettent l’intégration de l’écrit électronique. Dans tous les cas, la rencontre du critère d’équivalence fonctionnelle, quel qu’il soit, entraîne l’admissibilité en preuve de l’écrit : l’aspect formel est, sciemment ou non, ignoré.

Dans le document L'écrit électronique (Page 109-114)