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L’intégrité et la notion du cycle de vie du document dans la LCCJTI

Dans le document L'écrit électronique (Page 128-132)

Section 1 – L’intégrité comme critère d’équivalence fonctionnelle

2) L’intégrité et la notion du cycle de vie du document dans la LCCJTI

Les notions d’intégrité et de cycle de vie de l’information sont intimement liées dans la LCCJTI. D’une part, l’intégrité est édictée comme le critère d’équivalence fonctionnelle que doit rencontrer un document pour avoir la même « valeur juridique »453 qu’un écrit sur support papier. D’autre part, exiger l’intégrité implique, comme nous l’avons vu à la sous- section précédente, de pouvoir s’assurer que l’information originelle n’a pas été altérée depuis sa création. La notion de cycle de vie, issue des sciences de l’information et de la gestion documentaire454, établit le cadre dans lequel interagissent temps et intégrité.

L’article 6 LCCJTI définit ainsi l’intégrité en référant à la notion de cycle de vie du document :

« 6. L'intégrité du document est assurée, lorsqu'il est possible de vérifier que l'information n'en est pas altérée et qu'elle est maintenue dans son intégralité, et que le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la pérennité voulue.

L'intégrité du document doit être maintenue au cours de son cycle de vie, soit depuis sa création, en passant par son transfert, sa consultation et sa

452 Voir à cet effet l’article 2860 C.c.Q. :

453 L’article 5 al. 2 LCCJTI pose que « [l]e document dont l'intégrité est assurée a la même valeur juridique, qu'il soit sur support papier ou sur un autre support, dans la mesure où, s'il s'agit d'un document technologique, il respecte par ailleurs les mêmes règles de droit. »

454 Stéphane CAÏDI, "La preuve et la conservation de l'écrit dans la société de l'information", (2004) 9-1 Lex

Electronica, p. 74 et suiv., en ligne : <http://www.lex-electronica.org/articles/v9-1/caidi.htm> (accédé le 31

transmission, jusqu'à sa conservation, y compris son archivage ou sa destruction.

Dans l'appréciation de l'intégrité, il est tenu compte, notamment des mesures de sécurité prises pour protéger le document au cours de son cycle de vie. »

La section de la LCCJTI intitulée « Maintien de l’intégrité du document au courant de son cycle de vie » comporte quatre sous-sections relatives à autant d’événements du cycle de vie d’un document, à savoir le transfert, la conservation, la consultation et la transmission. Le maintien de l’intégrité de l’information obéit à certaines particularités à chacune de ces étapes. Nous étudierons plus précisément la conservation et le transfert, vu leur aspect central455.

Selon l’article 19 LCCJTI, une personne tenue de conserver un document « […] doit [en] assurer le maintien de son intégrité et voir à la disponibilité du matériel qui permet de le rendre accessible et intelligible et de l'utiliser aux fins auxquelles il est destiné ». La durée de la conservation sera donc relative à sa durée de vie utile et dépendra généralement des délais de prescriptions applicables456.

Pour maintenir l’intégrité des documents dans le temps, il peut être nécessaire de mettre à jour l’environnement technologique des documents électroniques. Il s’agit d’un aspect actif du maintien de l’intégrité, qui pourrait être comparé, par exemple, à la protection continue des livres rares nécessitant des conditions de conservation précises. Les documents, au risque de voir leur intégrité compromise, doivent alors subir une migration. La LCCJTI encadre cet événement du cycle de vie d’un document en précisant de quelle façon la conservation de l’intégrité lors du transfert devra se démontrer :

455 Nous pouvons toutefois brièvement noter, quant à la consultation, que l’article 23 LCCJTI pose que « Tout document auquel une personne a droit d'accès doit être intelligible, soit directement, soit en faisant appel aux technologies de l'information ». Voir aussi l’art. 26 al. 2 LCCJTI, qui établit les obligations d’un prestataire de services ayant la garde d’un document.

Quant à la transmission, elle doit aussi être à même de préserver l’intégrité du document. Encore ici, la documentation de l’opération sera nécessaire afin de démontrer le maintien de l’intégrité à cette étape. La LCCJTI prescrit à l’article 30 al. 1 que, « [p]our que le document technologique reçu ait la même valeur que le document transmis, le mode de transmission choisi doit permettre de préserver l'intégrité des deux documents. La documentation établissant la capacité d'un mode de transmission d'en préserver l'intégrité doit être disponible pour production en preuve, le cas échéant.

[…] »

17. L'information d'un document qui doit être conservé pour constituer une preuve, qu'il s'agisse d'un original ou d'une copie, peut faire l'objet d'un transfert vers un support faisant appel à une technologie différente. Toutefois, sous réserve de l'article 20, pour que le document source puisse être détruit et remplacé par le document qui résulte du transfert tout en conservant sa valeur juridique, le transfert doit être documenté de sorte qu'il puisse être démontré, au besoin, que le document résultant du transfert comporte la même information que le document source et que son intégrité est assurée.

La documentation comporte au moins la mention du format d'origine du document dont l'information fait l'objet du transfert, du procédé de transfert utilisé ainsi que des garanties qu'il est censé offrir, selon les indications fournies avec le produit, quant à la préservation de l'intégrité, tant du document devant être transféré, s'il n'est pas détruit, que du document résultant du transfert.

La documentation, y compris celle relative à tout transfert antérieur, est conservée durant tout le cycle de vie du document résultant du transfert. La documentation peut être jointe, directement ou par référence, soit au document résultant du transfert, soit à ses éléments structurants ou à son support.

Le premier alinéa illustre le principe de l’interchangeabilité des supports : un document peut faire l’objet d’un changement de support sans que, en principe, soit porté atteinte à sa capacité de faire preuve. Les informations comprises dans la documentation dont il est fait état aux 2e, 3e et 4e alinéas sont des métadonnées, au sens que nous avons établi à la sous- section précédente. Elles assurent d’une part, l’« auditabilité » de l’environnement technologique du document et d’autre part, la traçabilité du document. Il devient donc possible de suivre pas à pas les événements du cycle de vie d’un document, afin de démontrer, au moment de la restitution, que le document a conservé son intégrité depuis sa création. L’article 18 LCCJTI vient pour sa part assurer qu’un document résultant d’un transfert effectué selon l’article 17 de la même loi (transfert suite auquel le document source457 a été détruit458) ne puisse être contesté sur la seule base qu’il n’est pas le

457 Notons que le mot « original » n’est pas utilisé. La fonction « être un document source » n’est qu’une des trois fonctions attribuées à l’original par l’article 12 LCCJTI :

« 12. Un document technologique peut remplir les fonctions d'un original. À cette fin, son intégrité doit être assurée et, lorsque l'une de ces fonctions est d'établir que le document :

1° est la source première d'une reproduction, les composantes du document source doivent être conservées de sorte qu'elles puissent servir de référence ultérieurement ;

document « dans sa forme originale »459. Rien n’interdit qu’un document fasse l’objet de plusieurs transferts consécutifs, auquel cas la documentation de tous les transferts devra être conservée.

La LCCJTI est silencieuse au sujet de la technique de l’émulation460. Un peu à l’inverse de la migration, l’émulation recrée « virtuellement l’environnement, même obsolète, dans lequel les données ont été créées »461. La LCCJTI ne semble pas traiter de cette méthode, qui ne semble pas véritablement être qualifiée de transfert. Quoiqu’il en soit, l’utilisation de la méthode devrait être accompagnée d’une garantie de fiabilité quant à sa capacité à restituer un document qui respecte les trois conditions de l’intégrité examinées ci-dessus. Dans le cas de documents qui avaient perdus leur lisibilité, par exemple par obsolescence, on pourra presque parler d’une intégrité reconstituée et il faudra, de même, démontrer que la technique utilisée pour « remémorer » l’information est propre à garantir une restitution fiable462.

2° présente un caractère unique, les composantes du document ou de son support sont structurées au moyen d'un procédé de traitement qui permet d'affirmer le caractère unique du document, notamment par l'inclusion d'une composante exclusive ou distinctive ou par l'exclusion de toute forme de reproduction du document ; 3° est la forme première d'un document relié à une personne, les composantes du document ou de son support sont structurées au moyen d'un procédé de traitement qui permet à la fois d'affirmer le caractère unique du document, d'identifier la personne auquel le document est relié et de maintenir ce lien au cours de tout le cycle de vie du document.

Pour l'application des paragraphes 2° et 3° du premier alinéa, les procédés de traitement doivent s'appuyer sur des normes ou standards techniques approuvés par un organisme reconnu visé à l'article 68. »

458 Conformément à l’article 20 LCCJTI et sous réserve des exceptions qu’il formule.

459 Art. 18 LCCJTI. Il pourra toutefois être contesté pour tout défaut de documentation (comme l’ont par exemple été des documents microfilmés dans la cause Banque Nationale du Canada c. Simard, préc., note 147).

460 Pour un survol de la question, voir John ROTHENBERG, Using Emulation to Preserve Digital

Documents, La Haye, Koninklijke Bibliotheek, 2000, 69 pages, en ligne : <http://www.kb.nl/pr/publ/usingemulation.pdf> (accédé le 31 août 2009).

461 M. DEMOULIN et D. GOBERT, préc., note 440, à la page 106.

462 C’est par exemple ce que laisse croire la décision Lefebvre Frères ltée c. Giraldeau, 2009 QCCS 404 (CanLII), où les données d’un agenda électronique datant de 1995 étaient demeurées inaccessibles jusqu’à l’audience, malgré le recours à des techniciens. Le défendeur avait alors « eu l’idée de procéder d’une nouvelle façon afin de pouvoir en retirer des informations » (¶ 75). Une preuve dont il n’est pas fait mention au jugement permet au juge de conclure « que les copies de relevés d’agendas électroniques […] sont complètes et reflètent fidèlement le contenu desdits agendas sur support électronique. Leur transfert sur papier reflète de façon adéquate les informations qui y ont été insérées. » Le manque de détail sur la preuve technique ayant permis de retrouver ces informations rend la décision critiquable, en ce sens qu’un raccourci semble avoir été pris dans le raisonnement.

À toute étape de son cycle de vie, l’intégrité d’un document doit être maintenue. Plus particulièrement, l’environnement technologique du document devra être en mesure de fournir des garanties d’intégrité durant sa conservation, et la preuve de cela se trouvera dans sa documentation. La personne tenue de conserver un document est responsable du maintien de son intégrité pendant toute la période où elle en a la garde – et donc de documenter celle-ci. De la même façon, lorsque l’environnement de conservation devra faire l’objet d’une mise à niveau, la LCCJTI impose au responsable de documenter le transfert afin de pouvoir établir le maintien de l’intégrité. Il s’agit en fait de créer une chaîne de titre de l’intégrité463.

Plus que le simple constat de non-altération de l’information, l’intégrité se conçoit dans un rapport au temps. Si, en effet, le document doit rester lisible et l’information rester la même, le maintien de ces qualités – et la preuve de ce maintien – exige la traçabilité des opérations dont il a fait l’objet. Ainsi, plus qu’au support originel, c’est à l’intégrité de l’information que le droit attache des effets. La LCCJTI, en établissant le régime de responsabilité afférent au cycle de vie des documents, impose à la personne tenue de conserver un document d’en assurer le maintien de l’intégrité. Afin de restituer la trace probante du document et démontrer que son intégrité a été maintenue, ce responsable devra documenter toute opération sur le document, notamment les transferts. Cette documentation secondaire sera la preuve que l’intégrité d’un document a été assurée à toute étape de son cycle de vie.

Dans le document L'écrit électronique (Page 128-132)