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La fiction

Dans le document L'écrit électronique (Page 61-64)

Section 1 – Les outils traditionnels du droit civil

1) La fiction

Comme son nom l’indique, la fiction juridique consiste en une mise de côté de la réalité au profit d’un raisonnement juridique. Il s’agit d’une technique du droit qui fait « abstraction de la réalité [pour] concilier la stabilité de la construction logique nécessaire à sa sécurité et les exigences de son adaptation aux réalités sociales »190. Si elle dénature la vérité, la fiction n’en est donc pas moins un élément indispensable191 de technique juridique.

189 Séraphin ALAVA, Cyberespace et formations ouvertes : Vers une mutation des pratiques de formation ?, Bruxelles, De Boeck Université, 2000, p. 41.

190 J.-L. BERGEL, préc., note 102, p. 74. 191 Id.

Jean Louis Bergel propose une classification des fictions juridiques selon leurs fonctions, dont il précise qu’elles se chevauchent fréquemment192. Il identifie les fonctions historique et dogmatique, aussi identifiées par la doctrine classique193, de même que les fonctions téléologique et mécanique, ces dernières venant qualifier des fictions qui ne tomberaient pas dans le schéma classique.

Il place les fonctions dogmatiques et mécaniques dans l’ensemble plus vaste des fonctions de techniques juridiques, celles qui ont pour objet la cohérence du droit. La fiction dogmatique est celle qui opère un rattachement logique entre une solution juridique et un ensemble plus grand, « qui est considéré comme un système cohérent et harmonieux »194.

Une fiction dogmatique n’opère donc pas, selon Bergel, la dénaturation des conditions d’une règle de droit dont on cherche à étendre la portée, comme le fait la fonction historique ou téléologique. Il offre comme exemple de fictions dogmatique la qualification de biens immeubles par destination et la notion de personnalité morale. Dans le cas de cette dernière, il s’opère de plus une assimilation de la personne morale à la personne physique à certains égards. La fiction mécanique maintient la cohérence du système juridique. Elle « imprim[e] au droit un mode de fonctionnement artificiel ». La maxime selon laquelle « nul n’est sensé ignorer la loi » est une telle fiction : son absence « liquéfierait […] les ordres juridiques »195. Ces fictions, dites de technique juridique, trouvent leur nécessité à l’intérieur même du système juridique.

Les fonctions historique et téléologique sont regroupées sous leur fonction générale de politique juridique : elles tendent vers la rencontre d’une idéologie, d’un ordre social, d’intérêts particuliers ou d’autres finalités « considérées comme justes »196. Elles ont en ce sens une existence autonome et sont créatrices de droit. La fonction téléologique qualifie les fictions qui sont de « véritables créations juridiques », qui se justifient d’elles-mêmes

192 Id., p. 76 à 85.

193 Bergel se réfère à cet égard à Rudolph von JHERING, L’esprit du droit romain dans les diverses phases

de son développement, éd. 1887, t. 3.

194 J.-L. BERGEL, préc., note 102, p. 78.

195 C. A. MORAND, « La croissance normative. Comment faire face à une masse de droit considérable ? », Schweizerisches Zentralblatt für Staats- und Gemeinde Verwaltung, Band, 1986, p. 337 et suiv., cité dans J.- L. BERGEL, préc., note 102, p. 80.

et protègent des intérêts précis. Bergel donne l’exemple de l’adoption, qui vient remplacer une filiation d’origine par une autre.

La fonction historique est celle par laquelle la portée de règles préexistantes est étendue suite à la combinaison d’« une politique juridique novatrice et évolutive dans des domaines particuliers et [d’]une politique conservatrice du système établi »197 :

« Les fictions juridiques sont, dans ce cas, le véhicule de l'adaptation du droit à l'évolution de la vie sociale par la continuité de ses instruments : plutôt que de rompre les cadres d'un système juridique établi, on en étend les composantes au-delà de leurs limites antérieures et naturelles. »198

Cela semble particulièrement bien correspondre à la réalité de l’écrit électronique et aux méthodes utilisées afin de « fondre » une réalité technologique ne concordant pas parfaitement au droit à l’intérieur même de ses institutions séculaires : l’écrit, la signature et l’original. Le droit évolue par l’assimilation d’une réalité nouvelle à un cadre préexistant.

Si l’on parle volontiers d’artifice, d’altération de la réalité voire de « légitimation du faux »199, utilisé dans l’atteinte d’une conséquence juridique souhaitable, un point de vue autrement critique qualifie la fiction d’« altération ou émergence d’un concept juridique dont l’avènement est rendu nécessaire par la méconnaissance de la réalité des choses »200. Vincent Gautrais critique ainsi le principe de neutralité technologique, fiction traduite dans la loi par un décalage entre droit et la pratique relative aux technologies de l’information201. Selon lui, d’autres méthodes auraient pu mieux accomplir la tâche. Il cite à son appui Gérard Cornu, selon qui :

« [i]l serait préférable d’éviter la dénaturation inhérente à la fiction, lorsqu’un procédé plus neutre – et tout aussi ingénieux – permet

197 Id., p. 82. 198 Id.

199 P. FORIERS, « Présomptions et fictions », dans Chaim PERELMAN et Paul FORIERS (dir.),

Présomptions et les fictions en droit, Bruxelles, Bruylant, 1974, p. 7, cité dans J.-L. BERGEL, préc., note

102, p. 74.

200 Vincent GAUTRAIS, « Fictions et présomptions : outils juridiques d’intégration des technologies », (2004) 9-2 Lex Electronica 3, en ligne : <http://www.lex-electronica.org/articles/v9-2/gautrais1.htm> (accédé le 31 août 2009).

d’obtenir un résultat équivalent. Ainsi, pour répondre au progrès de la technologie dans l’expression des signes, est-il vraiment nécessaire, comme le font ou envisagent de la faire certaines législations, d’énoncer que l’écrit consiste dans « toute expression lisible portée sur un support papier, optique ou magnétique »? Au lieu de déformer, dans sa définition, la notion millénaire d’écrit et de faire abstraction de la base tangible originelle qu’est l’original ne suffisait-il pas, substituant à la fiction le procédé lui aussi consacré et aussi imaginatif qu’est l’assimilation, de poser que ces procédés nouveaux – qui méritent en effet d’être valorisés – sont assimilés à l’écrit quant à leurs effets, dans la mesure où ils présentent, par leur caractère durable et fidèle (puisque ce sont les deux critères de valeur de la preuve écrite) des garanties équivalentes? Imagination pour imagination… »202

Nous croyons que c’est ce que permet de faire le principe d’équivalence fonctionnelle tel qu’implémenté dans la LCCJTI, où, avant d’être assimilé à un écrit, le document technologique doit voir son intégrité assurée. L’assimilation opérée par la LCCJTI n’est toutefois pas parfaite, dans le sens où l’exigence d’un écrit, requis pour la validité de l’acte qu’il constate, et non pas pour sa preuve, est rencontrée malgré l’absence d’éléments formels dans les conditions d’assimilation.

Dans le document L'écrit électronique (Page 61-64)