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La protection de la vie privée et de la dignité des liens parentaux

§2.Les nouvelles compétences du juge aux affaires familiales en matière de tutelle des mineurs

SECTION 2 : Les modes de preuves utilisés dans le cadre des conflits familiaux

A. La protection de la vie privée et de la dignité des liens parentaux

Ici la primauté du droit de la preuve joue sur le droit au respect de la vie privée, à condition que la preuve apportée ne soit pas acquise par fraude ou violence (1). Cette vie privée est également préservée lorsque des constats sont établis par des professionnels du droit, ces derniers devant être effectués dans certaines conditions pour qu’ils soient recevables (2). Dans le cadre d’une procédure de divorce, les enquêtes sociales sont interdites en tant que preuve pour éviter un usage abusif des investigations réalisées dans l’intérêt des enfants (3).

Enfin, ces preuves doivent être régulières, c’est ainsi, que le législateur refuse le témoignage des descendants sur l’affaire concernant leurs parents (4).

1.L’article 259-1 du Code civil et les pièces acquises par fraude ou violence

Ce texte précise qu’ « un époux ne peut verser aux débats un élément de preuve qu’il aurait obtenu par violence ou par fraude. » Cette disposition ne vise plus seulement les lettres échangées avec un tiers mais fait aussi référence aux écrits personnels appartenant à un conjoint comme son journal intime ou encore des communications électroniques. Le législateur a ici tenu à confirmer la position de la Cour de cassation sur la primauté du droit de la preuve par rapport au droit au respect de la vie privée sous réserve du respect du principe de la loyauté. L’acquisition par violence ou fraude, conduit à écarter des débats la preuve sur laquelle repose la demande en divorce, et met en valeur la forme la plus sensible du conflit

310 entre le droit à la preuve et le droit au secret de la correspondance et au respect de la vie privée. Cette mésentente est réglée par une solution dérogatoire au droit commun545. Pour cela, le juge doit s’interroger sur la façon par laquelle l’époux s’est procuré le document qu’il présente pour justifier sa demande. S’il s’avère que les moyens utilisés sont irréguliers, il a la faculté de prononcer l’exclusion des éléments de preuve.

Par principe, l’usage de techniques d’enregistrement téléphonique constitue assurément par nature une manœuvre déloyale, la Cour de cassation a commencé par sanctionner les juges du fond qui acceptaient comme preuve des enregistrements téléphoniques sans relever les conditions dans lesquelles ils avaient été acquis546. Aujourd’hui, cette même cour considère l’enregistrement d’une conversation téléphonique à l’insu de son auteur comme étant un procédé déloyal qui rend irrecevable cette preuve547. Toutefois, il n’est pas interdit à l’huissier de justice d’enregistrer les messages téléphoniques laissés sur le répondeur ou le téléphone portable, son auteur ne pouvant ignorer que son message peut être enregistré et donc être retranscrit.

Ainsi, la loyauté des débats peut être remise en question lorsque les pièces sont obtenues par fraude ou par violence. La jurisprudence a du se prononcer sur la recevabilité des SMS produits par l’époux bafoué et trompé. Un premier arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 mai 2007 a accepté le SMS comme procédé loyal de preuve, l’auteur présumé dudit SMS ne pouvant ignorer que le message envoyé sur le portable du destinataire pouvait être enregistré en guise de preuve548. Elle s’est à nouveau prononcé sur ce point dans un arrêt le 17 juin 2009549, dans lequel elle rappelle le principe de la liberté de la preuve en matière de divorce, en précisant que la production en justice par une épouse d’un SMS reçu sur le téléphone portable professionnel de son mari ne pouvait pas être écartée en opposant une atteinte à la vie privée, du moment qu’il n’était pas démontré qu’il avait été obtenu par violence ou par fraude550.

545 M -B MAIZY, C. CADARS BEAUFOUR, « Incidence procédurale de la faute », AJF Février 2011, p.74

546 Cass, Civ 2ème, 24 janvier 1996, Bull. civ. II, n°10

547 Cass, Civ 2ème, 7 octobre 2004, D. 2005, p.122, note P. BONFILS ; RTD civ 2005, p.135, obs. J. MESTRE et FAGES ; JCP G 2005, II, p. 10025, note N. LEGER

548 Cass, Soc, 23 mai 2007, n°06-43.209, Bull. civ. V, n°85 ; JCP 2007. II. 10140, note L. WEILLER ; RTD Civ.

2007. 776, obs. FAGES

549 Cass, Civ 1ère, 17 juin 2009, n°07-21.796; D. 2009, 1758, obs. EGEA

550 E. ALBOU, « Les modes de preuve électronique dans la procédure de divorce ou de séparation », AJF 2009 p.344

311 Cet arrêt suit la jurisprudence antérieure rendue dans ce domaine s’agissant de la production de journaux intimes ou de courriels, qui ne peuvent, en l’absence de démonstration d’une obtention frauduleuse, être évincés des débats en prétextant le secret des correspondances ou de l’atteinte à la vie privée.

Qu’en est-il des emails ? Ils constituent également une correspondance privée et sont tout autant soumis au secret des correspondances. Le droit du divorce met en place un véritable droit de la preuve fragilisant la protection de la vie privée. En effet, la preuve étant à la base privée, elle porte automatiquement atteinte à la vie privée. Ainsi, la Cour de cassation se prononce pour l’admissibilité de la preuve de la faute, cause de divorce, par courriels ou par des emails et rejette l’idée selon laquelle la production de courriels constituerait une atteinte au secret des correspondances et à la vie privée551.

Enfin, s’agissant de la preuve de la faute, cause de divorce, acquise sur des réseaux sociaux, l’huissier de justice a pour mission de dresser un constat en ligne respectant les mêmes formalités que précédemment. Il est certains que les conjoints qui prennent le risque de dévoiler leur infidélité sur leur blog ou les réseaux sociaux offrent des arguments précieux aux avocats spécialistes de la famille lorsque ces derniers sont à la recherche de preuves concernant les fautes commises.

2.Les constats établis à la demande d’un époux dans le cadre d’une violation de domicile ou d’une atteinte illicite à l’intimité de la vie privée.

L’article 259-2 du Code civil précise que la production de constats est susceptible d’être écartée lorsqu’il existe une atteinte à la vie privée, soit de celle d’un des époux, soit d’un tiers.

La jurisprudence a, quant à elle, précisé qu’un constat d’adultère établi par un huissier de justice dans un lieu privé, dans le but de permettre à un époux de se constituer une preuve de la violation de son obligation de fidélité à son égard, était une atteinte licite à l’intimité de la

551 Cass, Civ 1ère, 18 mai 2005, Dr. famille 2005, comm. n°185, note V. LARRIBAU-TERNEYRE, Defrénois 2005, art.38221, p.1342, obs. J. MASSIP

312 vie privée lorsqu’elle était autorisée par décision de justice552. La défense de l’époux sujet de ce constat, fondée sur l’article 9 du Code civil, n’a aucune chance. Il est certain que le constat d’adultère dressé par un huissier de justice est une atteinte au droit de la vie privée. Cette preuve est néanmoins admise par la jurisprudence, mais si elle se trouve entre deux droits rivaux, le droit au respect de la vie privée, et le droit à la preuve. Ainsi, dans le but d’établir la cause du divorce, la jurisprudence consent à un recul de la vie privée. De par les liens du mariage, l’intimité et la liberté se trouvent restreintes, et conduisent à rapporter la preuve de la faute commise par l’un des époux, dont l’adultère, qui l’emporte sur le droit au respect de la vie privée. De ce fait, le constat d’adultère portant atteinte non seulement à la vie privée du conjoint infidèle, mais aussi du tiers, reste largement autorisé par la jurisprudence, lorsque ce mode de preuve reste l’unique moyen de démontrer l’adultère de l’un des conjoints553.

La solution peut être différente en matière de rapports effectués par un détective privé, les juges étant ici tenus de vérifier si les conditions dans lesquelles ils ont été établis ne portent pas illicitement atteinte à l’intimité de la vie privée notamment par une violation de domicile.

L’admission de cette preuve relève également de l’appréciation souveraine des juges du fond554, qui se contente rarement de ce seul élément, certains juges restant très réservés sur ce genre de pièce. La Cour de cassation précise que l’admission d’une telle preuve est subordonnée à la condition que cette immixtion dans la vie privée ne soit pas disproportionnée par rapport au but poursuivi555. En outre, l’article 259-1 du Code civil s’appliquant à tous les éléments de preuve versés aux débats en matière de divorce, le rapport produit sera examiné par le juge afin de savoir s’il n’a pas été obtenu par fraude ou par violence.

552 Cass, Civ 2ème, 5 juin 1985, n°83-14.268 ; Cass, Civ 1ère, 18 novembre 1992, n° 90-19.368, Bull. civ. I, n°285 ; Defrénois 1993. 712, obs. MASSIP

553 E. BAZIN, « L’huissier de justice au service de la preuve en matière de divorce », Procédures n°10, Novembre 2010, p.286

554 Cass, Civ 2ème, 11 janvier 1978, D. 1979. IR. 168 ; Cass, Civ 1ère, 18 mai 2005, AJF 2005, p. 403, obs.

DAVID

555 Cass, Civ 2ème, 3 juin 2004, Bull. civ. II, n°273 ; D. 2004. Jur. 2069, note RAVANAS ; RTD civ. 2004. 736, obs. MESTRE et FAGES

313 3.La prohibition des enquêtes sociales comme élément de preuve en matière de divorce

L’enquête sociale est prohibée dans le débat sur la cause du divorce, comme le prévoit l’article 373-2-12 du Code civil. Ce texte s’explique afin d’éviter un usage abusif des investigations réalisées dans l’intérêt des enfants, même si certains étonnements peuvent survenir lorsque le juge aux affaires familiales rejette la demande en divorce, faute de preuve suffisante, alors qu’il est clairement établi par l’enquête sociale que l’époux incriminé a une relation avec une tierce personne.

Même si les enquêteurs sociaux doivent suivre certaines consignes, il est délicat pour eux de ne pas faire état de faits ayant des répercussions directes sur la vie des enfants et sur les perspectives relatives aux modalités d’exercice de l’autorité parentale. Il est étonnant de remarquer que cette interdiction n’a pas été étendue aux autres mesures d’investigation pouvant être ordonnées par le juge, et notamment aux expertises psychologiques ou psychiatriques, durant lesquelles les parents peuvent aussi être amenés à donner des éléments d’information intéressant la cause du divorce, autant que leurs enfants.

4.Le cas des attestations irrégulières et des témoignages des descendants sur les accusations invoquées par les époux :

Les attestations, prévues aux articles 200 et suivants du Code de procédure civile, sont les premières pièces qui peuvent être produites au débat, et font partie des modes de preuves privilégiés surtout lors d’un divorce pour faute. Elles sont souvent écrites par des proches ou des membres de la famille des époux, et le juge aux affaires familiales doit rester vigilant et les analyser avec prudence.

Certaines sont automatiquement déclarées irrecevables quand leur auteur n’a pas la capacité de la délivrer, comme une attestation rédigée en violation du secret professionnel, ou une attestation écrite par des personnes qui ne remplissent pas les conditions requises pour être entendues comme témoins.

314 D’autres vont poser quelques problèmes quant à la forme, qui ne sont pas prescrites à peine de nullité ou d’irrecevabilité. Il peut s’agir d’une absence de date sur ladite attestation, ou une absence de mention du lien de parenté ou de lien de subordination éventuel avec l’une des parties, ou encore, une absence de mention précisant qu’elle est rédigée en vue de sa production en justice et qu’elle expose l’auteur à des sanctions pénales en cas de fausse attestation, de rédaction non dactylographiée et non manuscrite ou d’absence d’un document d’identité. Il revient au juge aux affaires familiales d’apprécier si l’attestation contient des garanties suffisantes pour emporter sa conviction ou l’évincer. C’est la même chose en cas d’attestation dont l’auteur n’a pas personnellement constaté les faits reprochés.

Mais surtout quant aux descendants, l’article 259 du Code civil prévoit qu’ils ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux. La jurisprudence étend cette prohibition à toute forme de relation de la parole ou des sentiments exprimés par des descendants en ligne directe ou par leur conjoints relativement aux griefs soulevés par les époux lors de la procédure de divorce, qu’il s’agisse d’attestation ou de production de documents comme des courriers, des courriels, des SMS ou bien encore des témoignages de tiers. Il est en effet choquant que les enfants puissent intervenir pour s’expliquer sur le comportement de leurs parents dans le cadre de leur conflit, même si c’est la seule façon de prouver la réalité de la dégradation de leur couple : ici, la relation familiale l’emporte, qui justifie que ces moyens de preuve rencontrent le respect que les enfants doivent à leurs parents. Cette interdiction faite aux descendants d’être entendus sur les griefs invoqués par les époux dans le cadre de leur procédure de divorce a récemment fait l’objet d’une confirmation par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 2011556. Essayer d’utiliser la parole de l’enfant pour incriminer l’un des époux dans la procédure les concernant ne trouve pas grâce aux yeux de la Cour, et la protection de l’intérêt de l’enfant mineur ou majeur des conflits qui concernent ses parents reste primordiale

Toutefois, cette interdiction n’est pas générale et absolue, puisqu’elle ne s’applique que dans le cadre des procédures de divorce et non à toutes les procédures familiales, et ne prohibe pas l’expression directe ou indirecte des descendants sur d’autres points du conflit, comme la pension alimentaire ou la prestation compensatoire, ou bien encore dans le cadre de l’audition

556 Cass, Civ 1ère, 4 mai 2011, n°10-30706, « Chronique de jurisprudence : droit de la famille », E. MULON, J.

CASEY, Gaz.Pal vendredi 12, samedi 13 aout 2011, p.18

315 de l’enfant, puisque ce dernier peut demander à être entendu, afin d’exposer son avis quant à sa résidence.