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§2.Les conflits familiaux face à la modernisation de la justice

La mise en place de ces réseaux privés virtuels présente certains avantages de rapidité et de gains de temps, par la réduction des déplacements aux audiences de mise en état par exemple, pour les avocats, ou de saisie des affaires pour les greffes. Le travail des professionnels du droit est donc facilité, et les parties bénéficient tout autant de ces atouts procéduraux.

Le développement de ces nouvelles technologies permet une économie de coût de personnel, une réduction du temps de traitement des procédures, et offre une certaines sécurisation de la justice, par la mise en place de ces divers réseaux. En effet, les documents informatisés sont beaucoup mieux conservés que des documents papier.

En matière de droit de la famille, ce système ne favorisera que l’avocat dans les divers actes de procédure qu’il aura à accomplir, comme les requêtes, les assignations en divorce, les conclusions, ou bien comme précité les audiences de mise en état qui n’auront lieu que dans l’hypothèse d’un incident de procédure, et le juge, tout les deux bénéficiant d’une certaine célérité et donc de gain de temps dans le traitement de leurs affaires.

Cependant, il est nécessaire de rappeler que le contentieux de la famille demande du contact, et par la même, nécessite de l’humain dans le droit, matière dans laquelle sentiments, échec, déception et conséquences financières et patrimoniales s’entremêlent. Les parties ont besoin d’exprimer leurs ressentis et, dans le cas d’un adultère et donc d’un divorce pour faute par exemple, que la justice le reconnaisse, pour permettre à l’époux victime de ce dernier de pouvoir faire le deuil de cet échec sentimental.

Le droit a d’ailleurs apporté une limite, puisque pour des raisons juridiques, l’autorisation de dématérialisation du Code civil voit une exception586. En effet, la validité d’un acte juridique peut être établi et conservé sous forme électronique587 sauf pour les actes sous seing privé relatifs au droit de la famille et des successions588. Le législateur marque ici, la subtilité du

586 T. PIETTE-COUDOL, « Le recours aux moyens électroniques dans la procédure civile, pénale et administrative », Communication Commerce électronique n°11, Novembre 2009, étude 24

587 Article 1108-1 C. civ

588 Article 1108-2 1° C. civ

334 domaine, qui dans le cadre des conventions établies lors d’un divorce, peut avoir des conséquences importantes.

Il est important que le juge aux affaires familiales communique avec ces parties, tel était l’objectif du législateur de 1975, dans la création du juge aux affaires matrimoniales, juge destiné à se rapprocher du justiciable. Sa mission était de personnaliser la procédure de divorce, en gérant du début à la fin ses dossiers, pour lui permettre de mieux connaitre ses parties. Le contentieux familial nécessite des contacts personnalisés entre le juge et les parties indispensables à la compréhension du conflit. Un juge unique pour un même dossier, cette idée était nouvelle pour l’époque.

Cette communication s’est renforcée par les divers textes promulgués jusqu’à aujourd’hui.

Ainsi, les audiences du juge aux affaires familiales se déroulent en chambre du conseil afin d’offrir aux parties en conflit un respect de l’intimité de leur vie privée, et de permettre aux langues de se délier. Cette proximité avec le juge, les nouvelles technologies ne peuvent la donner.

Il en va de même avec les différents acteurs qui peuvent être appelés à intervenir dans le conflit familial.

Le meilleur exemple est le médiateur familial, qui peut intervenir par proposition du juge aux affaires familiales acceptée par les parties, ou enjointe par ce dernier. Son rôle est de restaurer la communication entre les parties, de préserver, voire de reconstruire les liens entre les membres de la famille, dans le but de prévenir les conséquences d’une éventuelle dissociation du groupe familial, et de donner les moyens aux personnes de chercher par elles mêmes, dans le respect de leurs droits et obligations respectifs, des issues à leur situation.

Qu’en est-il des psychologues, psychiatres, assistantes sociales, qui peuvent eux aussi intervenir, afin d’éclairer le juge aux affaires familiales sur l’atmosphère qui perdure au sein d’une famille ? Ces derniers ne peuvent accomplir la mission que le juge leur confie qu’en utilisant du contact humain, et donc la parole. Les nouvelles technologies sont dépourvues de ce contact humain indispensable à la recherche de ces éléments nécessaires à la description d’une personnalité, ou de la situation d’une famille, essentiels à la prise de décision du juge.

Le notaire peut également être amené à discuter avec les parties lorsqu’elles ne s’entendent pas sur la liquidation de leur régime matrimonial, ou lorsque le projet d’état liquidatif de ce

335 dernier leur pose problème sur certains points. Dans cette hypothèse, une discussion est nécessaire entre les parties, leurs conseils et le notaire, afin de trouver une solution à cette mésentente, que les nouvelles technologies ne peuvent résoudre.

Ainsi, ce contentieux dévoile les limites de ces dernières qui se révèlent déshumanisantes et ne se prêtent pas à lui. Elles vont à l’encontre de la proximité du juge avec les parties, qui pourraient se voir éloigner du juge. La qualité de la justice dans l’accès du juge risque de ne pas répondre aux objectifs qu’on attend d’elle en la matière.

La dépersonnalisation des nouvelles technologies posera des difficultés qui iront à l’encontre de la personnalisation des procédures mise en place depuis les années 70. Cela ne veut pas dire qu’il existe aucune place pour les nouvelles technologies dans ce contentieux, mais cette évolution des années 70 ne doit pas être remise en cause par leur intégration en la matière.

Cela accentue le divorce de masse, qui engendre des conventions de divorce stéréotypées, et les nouvelles technologies ne vont qu’aggraver cette standardisation. En effet, les avocats possèdent déjà des conventions type pour tous les cas de divorce, et changent parfois quelques clauses. Une modification de ces conventions n’est pas souhaitée par les avocats, ces derniers manquant de temps. La dématérialisation des procédures ne pourra que conduire à l’effacement des parties, l’avocat devenant le seul interlocuteur du juge. Celles-ci ne comparaissant plus physiquement devant lui, le conflit ne se traitera qu’entre professionnels.

L’avocat devient alors un maillon obligatoire, même dans les procédures pour lesquelles sa présence est actuellement facultative, engendrant un cout que les parties seront contraintes d’assumer. Qu’en sera-t-il pour les personnes ayant des capacités financières restreintes ou inexistantes ? Elles seront obligées d’avoir recours à l’aide juridictionnelle, d’où une charge financière plus lourde pour l’Etat. Ce problème va-t-il dans le sens de l’évolution actuelle ?

Ainsi par exemple en Angleterre, une proposition de loi soumise au Parlement en juin 2011 prévoit la suppression de l’aide juridictionnelle pour le droit de la famille, ne la maintenant que pour les cas de violences conjugales et la médiation familiale589. Le système anglais se destine à produire une justice de classe, puisque seules les personnes aisées pourront accéder au juge, et contraint les autres à trouver des accords par la médiation familiale.

589 M. HARAVON, « La fin de la justice civile ? Réflexion sur l’éviction du juge », Recueil Dalloz, 13 octobre 2011, n°35, 2427 ; F. G’SELL, « Un recul net de l’accès au droit en Angleterre », Entretien, Recueil Dalloz 13 octobre 2011, n°35, 2456

336 Cela ne va-t-il pas à l’encontre de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui prévoit dans son article 6§1 le droit à un procès équitable et à un accès au juge pour chaque justiciable ?

Que faut-il faire ? Le système anglais ne laisse pas le choix au justiciable et ne lui offre que le conventionnel, en réduisant le coût pour l’appareil judiciaire et pas pour les parties. Dans cette hypothèse, on ne peut plus parler de modes alternatifs des conflits, puisque la justice ne propose à ses usagers qu’une seule voie.

Si on va jusque là, une procédure sans contact humain, sauf pour les cas de violences conjugales et de contestation, est-ce encore de la justice ? Faut-il maintenir un système judiciaire s’il doit fonctionner de cette manière ?

Les nouvelles technologies ne semblent pas appropriées à la résolution des conflits familiaux pour lesquels les contacts directs entre le juge et les parties s’avèrent indispensables, puisque seul le dialogue permet de les responsabiliser et de les amener à régler leur différend.

Notre justice se dirige vers la dépossession des parties de ce contentieux, pour le confier à des machines. Une réappropriation du conflit par les justiciables est nécessaire, réappropriation qui, pour le moment, a été prise par le système judiciaire. Ce n’est pas un hasard si la médiation familiale fonctionne, car ce processus a su préserver ce contact humain qui a tendance à disparaître avec l’apparition des nouvelles technologies. Son avantage est qu’elle permet la recherche d’une solution par le dialogue, communication pendant laquelle les parties auront pu s’exprimer.

337 Les procédures de traitement des affaires familiales semblent se recentrer autour d’un même magistrat, le juge aux affaires familiales, qui détient la faculté de pouvoir insérer dans la procédure divers acteurs, afin de l’aider dans la résolution des conflits qu’il a à traiter.

Professionnels du droit ou non, tous interviennent dans un seul but apaiser le litige et tenter de lui trouver la solution la plus adéquate possible. Les auxiliaires de justice interviennent dans cet objectif tout au long de la procédure, même si certains avocats restent des procéduriers et ne souhaitent qu’envenimer le conflit. L’enfant, lui, reste un acteur à part entière, ce dernier n’étant ni tiers, ni partie à l’affaire opposant ses parents. Il peut toutefois solliciter du juge aux affaires familiales une audition afin qu’il puisse s’exprimer sur son intérêt, uniquement s’il détient un discernement suffisant et que la procédure le concerne. Le recueil de sa parole va tout autant dans le sens d’aider le juge à prendre une décision répondant au mieux à la protection de son intérêt. Cependant, s’il ne répond pas à ces conditions, sa demande d’audition peut être rejetée par le juge. Quant aux non professionnels, leur mission est déterminée par ce magistrat afin de lui apporter les informations nécessaires dans des domaines qui sortent de sa compétence, et ce, toujours dans la finalité de donner une solution la plus juste à l’affaire.

Ce juge aux affaires familiales voit ses spécificités procédurales augmenter comme le démontrent les réformes issues de la loi du 12 mai 2009 relative à la simplification et à la clarification du droit et à l’allègement des procédures lui attribuant la tutelle des mineurs ainsi que la liquidation du régime matrimonial des époux, et la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Ces nouvelles attributions le confortent dans sa place de juge de la famille, cœur du Réseau famille issu du rapport de la Commission Guinchard, en cours de création. Pouvant également endosser le rôle de juge de la mise en état, il est également chargé de la bonne utilisation des modes de preuves, afin de préserver l’équilibre entre le respect de la vie privée, la liberté de parole, le principe du contradictoire et la recherche de la vérité.