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Protection et sécurité de la population : L’utilisation d’un modèle de gestion

CHAPITRE 3 L’ARÈNE POLITIQUE HISTOIRE, JOUEURS ET

4.4 La Loi de Megan comme solution à la construction dominante du problème

4.4.1 Protection et sécurité de la population : L’utilisation d’un modèle de gestion

Maintes et maintes fois, nous avons souligné à quel point la perception du risque ou de la menace importait sur la définition du problème social. Or, si le problème est lié de si près à la solution, il est évident que la perception du risque influait tout autant sur la solution qu’était la Loi de Megan. Lors de l’introduction, nous avons vu qu’un modèle de gestion du risque était en vogue depuis les années 70 et que le crime n’y échappait pas. Or, le modèle réhabilitatif qui était toujours présent, perdait lentement du terrain. On avait perdu espoir en ce modèle et le cas à l’étude l’illustre bien. Nous n’avons qu’à regarder la perception du délinquant sexuel comme étant irrécupérable. Si nous répétons que le problème perçu était intimement lié avec la solution conséquente, le cas qui nous concerne en est un exemple éloquent. La solution témoignait clairement d’une préférence pour le modèle de gestion du risque afin de protéger le public. À la limite, on peut parler de la concrétisation sur papier d’un certain passage d’un modèle réhabilitatif à un modèle de gestion du risque, comme le texte de loi lui-même semblait l’entendre : « Because sex offenders are likely to be unsusceptible to the “cures” offered by the prison system, the urges that cause them to commit offenses can never be eliminated but merely controlled » (A85: 2). Déjà, le simple fait de mettre le mot cures entre guillemets démontrait un certain cynisme, voire un mépris pour le modèle réhabilitatif,

que l’on allait clairement laisser de côté via l’adoption d’un répertoire public de délinquants sexuels. On ne pouvait que gérer le risque, d’abord en l’évaluant et ensuite en le contrôlant.

Évaluation du risque

En premier lieu, une échelle d’évaluation du risque, qui prit éventuellement le nom de Registrant Risk Assessment Scale (RRAS) était créée via la Loi de Megan. Comme nous l’avons vu, chaque délinquant sexuel était évalué par une échelle qui allait le classifier dans un tiers spécifique, selon son niveau de risque pour la communauté. Il entrait donc dans le répertoire selon une catégorie de risque. L’échelle avait été créée avec l’aide d’un comité formé de 12 experts de diverses disciplines. Parmi ceux-ci, certains provenaient du milieu de la psychologie et d’autres du milieu de la criminologie (S- 14/85: 1). Cet outil allait donc répondre d’une certaine façon à la perception de la menace en tentant de calculer le niveau de risque. L’outil était donc typique de ceux qui faisaient partie de la « justice actuarielle ». Le RRAS faisait donc partie d’une tendance récente d’utiliser le savoir des experts et académiciens dans l’évaluation du risque. Or, nous croyons qu’une telle réalité ne pouvait que se produire dans un contexte particulier, c’est-à-dire un contexte où la conscience du risque et plus particulièrement la perception du risque associé aux délinquants sexuels était élevée. Nous avons vu avec Beck comment ce contexte particulier s’installait dans le contexte social plus large qu’était la société du risque. Le RRAS permettait de répondre à certaines anxiétés causées par l’absence de certitudes, qui dans ce cas précis, se traduisait d’autant plus pour les délinquants sexuels.

-Contrôle du risque par la surveillance

L’évaluation du risque ne correspondait toutefois qu’à une partie de la gestion du risque, puisqu’un outil comme le RRAS ne faisait que classifier les délinquants sexuels selon leur niveau de risque. Nous avons dit que la gestion du risque dans la société moderne était également souvent composée d’un autre aspect lié au risque perçu que l’on nommait le « contrôle du risque ». Or, ce contrôle était exprimé dans ce cas par la surveillance.

Dans un premier temps, le répertoire de délinquants sexuels (loi c133) permettait aux autorités de garder l’œil sur le risque ou la menace. Pour chaque nouveau crime sexuel commis, la liste pouvait être consultée afin que les autorités identifient plus rapidement le contrevenant. En ce sens, même si l’on ne considérait pas le caractère public du répertoire, il contenait tout de même de l’information privée sur les délinquants sexuels, disponible à la consultation des autorités. De plus, leurs mouvements étaient par moments contrôlés. Par exemple, tout changement d’adresse devait être signalé aux autorités. Bref le répertoire, nonobstant son caractère public, constituait déjà un certain outil de contrôle par la surveillance.

Ensuite, si l’on considère la loi qui rendait le répertoire en partie accessible au public (loi c128), on peut constater un élargissement, une décentralisation du contrôle par la surveillance citoyenne. D’une part, cet élargissement du contrôle était fortement calculé, puisqu’il se basait d’abord et avant tout sur une évaluation du risque via le RRAS. Nous savons que seule l’information sur certains délinquants sexuels à risque modéré ainsi que tous les individus à risque élevé était divulguée. Ceux qui correspondaient à ces catégories feraient donc l’objet d’une surveillance accrue, puisque certains membres du public avaient maintenant la capacité d’identifier ces individus.

Or, ceci répondait naturellement à une partie du problème social qu’était l’absence d’information concernant les délinquants sexuels. Les êtres invisibles devenaient maintenant visibles via la Loi de Megan. Les yeux étaient maintenant partout. On peut croire que la loi répondait du même coup à un certain niveau d’anxiété causé par une perception spécifique du risque. Avec la Loi de Megan, on allait contrôler en partie la source de l’insécurité et de l’anxiété du public. La loi s’adressait donc en partie au sentiment d’insécurité alors présent dans le public, puisqu’on allait lui donner un nouvel outil, celui de l’information.

La solution qui allait être administrée avait tout de même un objectif principal, voire ultime plus concret témoignant encore une fois d’un certain contrôle du risque par la

surveillance, soit celui de la sécurité du public. La conjonction de la surveillance des autorités et de celle du public allait répondre à la menace perçue de deux façons principales. D’une part, on procurait le public avec les outils nécessaires à éviter certains endroits ou individus. D’autre part, on aidait les autorités à résoudre des crimes sexuels plus rapidement, leur donnant la chance de sauver les victimes potentielles avant que le pire n’arrive. En ce sens, le contrôle du risque par une double surveillance allait concrètement empêcher des crimes comme celui sur Megan de se perpétuer. Certains acteurs, comme Furlong, ont tout de même tenté de défier cette perception qui semblait inhérente à la loi, soulignant entre autres que les délinquants sexuels récidivistes, plus particulièrement les psychopathes motivés, obtiendraient ce qu’ils voudraient peu importe le fait qu’une loi existe ou non. Il semble que ce type de discours était plus ou moins ignoré dans l’arène politique. Pour la grande majorité des acteurs, le lien entre la Loi de Megan et la sécurité du public était trop fort et étant donné la force du nombre, il semble qu’un discours comme celui de Furlong se perdait dans l’immensité des discours lui faisant opposition.

En somme, si l’on se fit à la perception dominante, la Loi de Megan, via un contrôle par la surveillance, allait non seulement restaurer sinon augmenter le sentiment de sécurité de la population, elle arriverait plus concrètement à procurer à la population un niveau accru de sécurité.

-Solution au problème social

Pour conclure sur cette section, cette gestion du risque présente dans la Loi de Megan répondait donc au problème social perçu de diverses façons. En premier lieu, on tentait d’évaluer le risque encouru, ce qui constituait une première réponse au problème perçu du délinquant sexuel comme menace inacceptable à la société. On allait maintenant avoir une certaine idée du niveau de risque des délinquants sexuels. Ensuite, le contrôle du risque par la surveillance allait répondre à trois autres aspects du problème social. Dans un premier temps, on répondait au problème de l’absence de l’information en fournissant justement de l’information sur certains délinquants sexuels vivant dans la communauté. Avec cette divulgation de l’information, on répondait une fois de plus au

problème de la menace perçue, soit en répondant à la construction dominante du délinquant sexuel. Ensuite, la surveillance du délinquant sexuel allait contenir le danger perçu et allait par le fait même l’empêcher de récidiver. Au travers la solution qu’était la Loi de Megan, on s’adressait donc directement à une perception particulière du problème social dans le but ultime d’augmenter la sécurité de la population.