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Pour en revenir à ce qui nous intéresse plus particulièrement, soit la passation de Loi de Megan au New Jersey en 1994, bon nombre de chercheurs ont effleuré la question afin de nourrir le fil conducteur de leurs travaux, mais peu s’y sont réellement attardé de façon approfondie. Parmi ceux qui l’ont fait, on retrouve surtout des études quantitatives et qualitatives évaluant les effets de la mesure sur divers aspects22 (Duwe et Donnay, 2008 ; Shram et Milloy, 1995 ; Petrosino et Petrosino, 1999 ; Welchans, 2005 ; Levenson et Cotter, 2005 ; Tewksbury, 2002 ; Selvog, 2001). Par exemple, certains s’intéressent plus spécifiquement aux effets collatéraux de la mesure sur le délinquant

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Ces études ne portent pas que sur le New Jersey mais étudient les effets de la mesure dans dʼautres États également.

sexuel et ses proches (Petrosino et Petrosino, 1999 ; Levenson et Cotter, 2005). D’autres visent plutôt à connaître l’effet des répertoires publics de délinquants sexuels sur la récidive sexuelle (Duxe et Donnay, 2008 ; Shram et Milloy, 1995 ; Welchans, 2005 ; Tewksbury, 2002). En somme, ces auteurs ont en commun l’objectif de vérifier l’utilité ou la validité de la solution (répertoires publics de délinquants sexuels) apportée au problème perçu qu’est la délinquance sexuelle et le risque qu’elle représente pour la société.

Ainsi, peu d’auteurs se sont penchés sur les mécanismes de la perception du problème, ou sur le lien entre cette perception et la solution qui lui est apportée. En d’autres mots, peu se questionnent sur la caractérisation même de la délinquance sexuelle comme problème social et l’impact que cette caractérisation puisse avoir sur l’arrivée subséquente d’une solution comme celle de la Loi de Megan. Pour leur part, les chercheurs constructivistes ont peu touché à la Loi de Megan en particulier ou au processus local de construction, préférant faire l’analyse globale des lois adoptées en réponse au problème social de la délinquance sexuelle. À ce sujet, Jenkins (1998) est un auteur de marque, puisqu’il a su déconstruire les notions d’abus sexuel et de pédophilie au travers diverses époques, incluant celle qui nous concerne pour notre étude. Comme nous l’avons vu, Jenkins a utilisé le cadre théorique de la panique morale afin de lier la construction du problème à sa solution. Zgoba (2004) a fait de même via son étude..

Plus spécifiquement au niveau de la Loi de Megan maintenant, rares sont les textes constructivistes qui s’y attardent en entier. La thèse de doctorat de Suzette Cote (1998) concernait en partie cette loi, en tentant de démontrer que la Loi de Megan, comme d’autres lois similaires, reflètent la tendance moderne à vouloir gérer le risque via la classification, mais aussi à répondre à une certaine perception (construction) de la menace par plusieurs acteurs de la société. L’auteure s’attardait entre autres à l’influence accrue qu’avaient la population et certains entrepreneurs moraux sur la promulgation de nouvelles lois au niveau politique.

Si notre étude tend à aller dans la même direction que celle de Cote, nous souhaitons davantage nous concentrer sur l’arène politique. Ainsi, comment le délinquant sexuel est-il construit comme problème social par divers acteurs sur la scène politique ? Quels groupes d’intérêts ont été victorieux dans l’arène politique et par rapport à qui ? Comment la construction dominante est-elle liée avec la solution qu’est l’adoption de répertoires publics de délinquants sexuels ? La solution a-t-elle, comme le supposent Spector et Kitsuse (1977), identifié et cadré la délinquance sexuelle comme étant un problème social majeur ou est-ce plutôt le contraire ? Nous croyons que ces questions, parmi d’autres, ne peuvent trouver réponse que via le cadre théorique de la construction des problèmes sociaux, avec une importance particulière apportée au contexte social.

Plus spécifiquement, notre recherche, cherche à faire comprendre comment une construction particulière du problème social de la délinquance sexuelle et du risque qu’elle représente pour la sécurité mène à l’élaboration d’une solution conséquente. Nous plaçons ces deux étapes de construction et de solution dans cet ordre uniquement pour simplifier notre analyse, qui ne suppose pas à l’avance qu’il s’agit de deux étapes successives, ou même distinctes, du processus de réflexion des acteurs.

Le problème social que nous avons choisi est la délinquance sexuelle et l’instauration de la Loi de Megan dans l’État du New Jersey. Pour arriver à en comprendre le fonctionnement, nous devrons :

• Inventorier les principaux arguments et discours soulevés par les différents

acteurs au sujet de la délinquance sexuelle.

Quels étaient les discours dominants en ce qui a trait à la délinquance sexuelle en particulier ? Par quels thèmes majeurs ces discours publics se caractérisaient-ils ? Nous chercherons ici à déconstruire l’argumentaire et les discours majeurs en ce qui regarde la délinquance sexuelle.

• Inventorier les principaux arguments et discours soulevés par les différents

acteurs au sujet de la publication d’informations sur les délinquants sexuels.

Ce deuxième objectif spécifique réfère davantage à la solution adoptée en réponse au premier objectif spécifique. Ainsi, comment les différents acteurs dans le monde politique justifient-ils leur support à un répertoire public de

délinquants sexuels ? Quels étaient les arguments de ceux qui s’opposaient à la mesure ? Lors de débats ou de rapports rendus aux décideurs (législatif), quels discours semblaient ressortir ?

• Analyser la logique présentée pour soutenir l’adoption de registres publics

de délinquants sexuels.

Si le premier objectif spécifique tente de cerner l’ampleur du problème perçu (de la construction sociale de la délinquance sexuelle), le deuxième objectif lui, tente de comprendre les justifications quant à la solution à apporter. Ici, il s’agit de réunir les deux premiers objectifs spécifiques en tentant de voir comment l’un influence l’autre. Il s’agit de faire le pont entre la construction du problème social et la solution à ce problème.

CHAPITRE 2

MÉTHODOLOGIE

Afin de bien comprendre l’objectif de la recherche, ll est important de préciser qu’il s’agit ici d’une étude de cas unique, soit celui du débat menant à l’instauration de répertoires publics de délinquants sexuels dans l’État du New Jersey en 1994. Comme stratégie de recherche, l’étude de cas « […] se centre sur la compréhension des dynamiques présentes dans des situations uniques [single setting] » (Eisenhardt, 1989 : 534). L’étude de cas peut être utilisée afin d’accomplir différentes visées (Eisenhardt, 1989 : 535). Nous en faisons utilisation afin de vérifier (tester) une théorie (Anderson, 1983, dans Eisenhardt, 1989 : 535), soit celle de la construction des problèmes sociaux, mais aussi dans le but d’alimenter la théorie où ceci est possible. Bien sûr, la théorie nous aidera aussi à bien comprendre l’histoire de la Loi de Megan. Plus simplement, notre cas sera utilisé comme laboratoire au cadre théorique de la construction d’un problème social (le cas échéant, la délinquance sexuelle et tout ce qui l’entoure) et son lien avec la solution envisagée et instaurée. Cette stratégie de recherche suggère une analyse fine et approfondie (Deslauriers et Kérisit, 1997 : 87, 97), afin que des liens forts puissent être établis entre le cas et la théorie.