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La protection du propriétaire grevé

A. N OTIONS DE BASE

I. Définition, nature et conditions d’exercice du droit de

2. L’annotation au Registre foncier du droit de préemption

1.1 La protection du propriétaire grevé

Selon P. ENGEL, la forme authentique s’impose chaque fois que les conditions de la préemption, notamment le prix, sont déterminées dans le pacte de préemption47. Ch. BRÜCKNER, U. HESS, ainsi que P. SIMONIUS et Th. SUTTER48, sont plus nuancés dans la mesure où ils admettent que la forme authentique s’impose uniquement si la situation du propriétaire grevé est aggravée par les conditions fixées dans le pacte de préemption. Ces opinions ne sont pas partagées par B. FOËX,qui considère que « la forme authentique est nécessaire dès que le pacte règle à l’avance, en tout ou partie, le prix qui devra être versé par le préempteur »49 . Telle est l’opinion également de P.-H. STEINAUER, qui estime que la forme authentique est nécessaire si le pacte de préemption est limitatif, savoir si « le prix auquel le préempteur pourra acheter la chose est d’emblée fixé dans le pacte de préemption ».50 Ainsi, tant pour B. FOËX que pour P.-H. STEINAUER, la forme authentique s’impose uniquement si le droit est limitatif au sens strict.

Une disposition légale s’interprète au regard de sa lettre, mais également en vertu de son esprit (art. 1 al. 1 CC). Ce dernier peut se déterminer grâce à une interprétation historique de la norme, en recherchant la volonté du

47 ENGEL,Traité des obligations, p. 102. Voir également CAVIN, p. 151.

48 BRÜCKNER, Verwandte, p.521, BaK-HESS NO 9 ad art. 216d, SIMONIUS/SUTTER, p. 345 No 6.

49 CoRo-FOËX, No 29 ad. art. 216.

50 STEINAUER, La renonciation, No 7.

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législateur ; grâce à une interprétation systématique compte tenu du contexte législatif ; ou encore grâce à une interprétation téléologique qui tend à rechercher le but de la loi51.

En l’espèce, la lettre des art. 216 al. 2 et 3 CO n’est pas claire, selon nous. En effet, selon l’al. 2, la forme authentique s’impose notamment aux pactes de préemption portant sur un immeuble. En vertu de l’al. 3, la forme écrite suffit, si le pacte de préemption ne fixe pas d’avance le prix auquel le droit peut être exercé. Ainsi, est-ce que la forme authentique s’impose uniquement si le pacte de préemption fixe d’avance le prix ? Au contraire, doit-on comprendre qu’est soumis à la forme authentique tout pacte de préemption qui porte sur un immeuble, à l’exception de ceux qui ne fixent pas d’avance un prix ? Dans cette dernière hypothèse, peut-on admettre que la forme authentique est étendue à des pactes de préemption qui fixent d’autres conditions de la préemption qui restreignent ou étendent les droits du vendeur ou du préempteur ? Les textes allemand et italien ne semblent pas pouvoir mieux nous éclairer sur ce point. L’interprétation littérale des al. 2 et 3 de l’art. 216 CO ne permet donc pas, selon nous, de délimiter le champ d’application de ces normes. Qu’en est-il de l’esprit de ces dispositions ?

Concernant l’interprétation historique des art. 216 al. 2 et 3 CO, le Message52 précise que la forme authentique est nécessaire si le droit de préemption est limitatif, savoir si les parties au pacte de préemption fixent le prix que devra payer le préempteur pour exercer son droit, afin de « préserver celui qui est grevé du droit de préemption de devoir consentir une vente à vil prix de son immeuble ». Il rappelle par ailleurs que la forme authentique a pour but de protéger le propriétaire grevé qui accepterait d’avance une vente à vil prix de son immeuble. A priori, la forme authentique devrait s’imposer uniquement si le pacte de préemption fixe le prix auquel le droit doit s’exercer.

Néanmoins, le Message justifie la forme écrite du pacte par le fait qu’en pratique certains droits de préemption sont convenus dans des baux à loyer.

Doit-on conclure que le législateur a envisagé la forme écrite pour les pactes de préemption qui ne fixent pas le prix uniquement pour éviter de remettre en question la validité des pactes conclus sous l’ancien droit qui ne fixaient pas le prix et qui se trouvent souvent dans des baux à loyer, sous forme écrite ? Si tel est le cas, pourrait-on conclure que l’al. 3 de l’art. 216 CO doit être interprété restrictivement, en tant qu’une exception de l’al. 2 de cette même disposition qui reste la règle ? Une telle conclusion est hâtive, à nos yeux, et ne peut pas être déduite du Message, qui par ailleurs n’examine pas expressément, à notre grand regret, la situation où les parties déterminent d’autres conditions qui restreignent ou étendent les droits du vendeur ou du préempteur. Les travaux préparatoires sont également muets en la matière. Ainsi, l’interprétation

51 Notamment ATF 112 Ib 465. ATF 100 II 52 = JdT 1975 258.

52 Message, p. 1014.

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historique des al. 2 et 3 de l’art. 216 CO ne nous permet pas de délimiter le champ d’application de ces normes ; tout comme, selon nous, l’interprétation systématique. Reste à examiner l’interprétation téléologique, qui doit être analysée au regard du but poursuivi par la loi.

« La notion de l’acte authentique appartient au droit fédéral »53. Par ailleurs, selon le Tribunal fédéral, « les règles de forme […] s’interprètent restrictivement, in favorem negotii […]. Pour la sécurité du droit, on se gardera d’étendre inopportunément le champ d’application des formes légales »54. Finalement, selon notre Haute Cour, le droit fédéral soumet le commerce immobilier à la forme authentique « notamment parce qu’il entend préserver les parties de décisions irréfléchies, leur faire prendre conscience de la portée de leurs engagements et assurer une expression claire et complète de leur volonté dans l’acte »55.

Or, nous sommes d’avis que le propriétaire grevé mériterait une protection particulière tant s’il fixe dans le pacte de préemption le prix auquel le droit pourra être exercé, que s’il accepte de soumettre l’exercice du droit de préemption à une condition qui aggrave sa situation. Tel serait le cas, par exemple, des héritiers, propriétaires d’un immeuble en hoirie, qui grèveraient leur bien d’un droit de préemption conventionnel, en stipulant expressément dans le pacte de préemption que le partage successoral constituerait un cas de préemption56. Ainsi, dans une telle hypothèse, nous pensons que les héritiers devraient être informés que le partage n’est pas un cas de préemption, au regard de l’art. 216c al. 2 CC, et qu’en acceptant une telle condition, ils aggravent leur situation. Une telle protection n’est assurée que par la forme authentique. En effet, l’officier public, chargé d’instrumenter l’acte, est tenu d’informer les parties « des engagements qu’elles entendent assumer »57. De ce fait, il les préserve de décisions irréfléchies et leur fait prendre conscience de la portée de leurs engagements.

Nous ne pouvons pas légitimement admettre que le législateur ait voulu protéger le propriétaire grevé qui convient de fixer à l’avance dans le pacte le prix auquel le droit sera exercé, et non pas celui qui stipule dans le pacte une condition d’exercice du droit qui aggraverait sa situation. D’ailleurs, le Message58 justifie la forme écrite du pacte uniquement par le fait qu’en pratique certains droits de préemption sont convenus dans des baux à loyer.

Dès lors, à l’instar de Ch. BRÜCKNER, de U. HESS, ainsi que de P. SIMONIUS et

53 CoRo-GUGGENHEIM No 7ad art. 11 CO.

54 ATF 113 II 402 ss = JdT 1988 I 67 ss.

55 ATF 99 II 159 ss = JdT 1974 I 66 ss ; ATF 90 II 274 ss = JdT 1974 I 66 ss.

56 Voir supra No 11.

57 MOOSER, Le droit notarial, p. 103 No 233.

58 Message, p. 1014.

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Th. SUTTER59,nous pensons que la forme authentique devrait s’imposer chaque fois que la situation du propriétaire grevé est aggravée par des conditions fixées dans le pacte de préemption.

Ainsi, nous sommes d’avis que la forme authentique devrait s’étendre, en vertu de l’art. 216 al. 2 et 3 CO, non seulement à tout droit de préemption limitatif au sens strict, savoir lorsque le prix de vente est déterminé d’avance, mais également, à tout droit limitatif au sens large, savoir lorsque les conditions d’exercice du droit de préemption convenues dans le pacte aggravent la situation du propriétaire grevé.

Nous comprenons le souci de B. FOËX, selon lequel une telle extension de la forme authentique est « un facteur d’insécurité juridique non négligeable »60. En effet, en pratique, il est difficile de savoir si une condition convenue dans le pacte aggrave, ou pas, la situation du propriétaire grevé. Néanmoins, cette difficulté existe également avec le prix. En effet, il est souvent difficile, en pratique, de savoir si, dans un pacte de préemption, le prix est déterminé d’avance, ou simplement déterminable. Ainsi, l’insécurité juridique provient, selon nous, de la distinction faite entre le droit limitatif et celui illimité. Cette dernière a été voulue expressément par le législateur, qui l’a justifiée par le fait qu’en pratique le droit de préemption est convenu dans un bail à loyer61. Nous acceptons donc cette distinction sans toutefois l’approuver.

En effet, la forme authentique permet de protéger les parties contre des décisions irréfléchies au travers notamment du devoir de conseil et d’information imposé à l’officier public62. Or, le droit de préemption est, selon nous, une restriction importante du droit de propriété de l’aliénateur. Nous pensons donc que le législateur aurait dû prévoir la forme authentique pour toute constitution d’un pacte de préemption. Malheureusement, tel n’est pas le cas en vertu de l’art. 216 al. 3 CO. Néanmoins, en cas de doute quant au caractère limitatif d’un droit de préemption, nous sommes d’avis que la forme authentique devrait s’imposer dans l’intérêt du propriétaire grevé.