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Les actes fondés sur le droit des sociétés

B. L ES CAS DE PRÉEMPTION

III. Les actes fondés sur le droit des sociétés

Est controversée en doctrine la question de savoir si l’apport d’un immeuble lors de la constitution362 d’une société est un cas de préemption. Ainsi, sans motiver réellement leur position, le Message du Conseil fédéral, CH. BRÜCKNER,H. GIGER,A. MEIER-HAYOZ, P.-H. STEINAUER, ainsi que H.PETER

l’admettent, contrairement à B.FOËX etU.HESS363.

Nous pensons qu’il y a lieu de se référer au critère de la restructuration du patrimoine de l’aliénateur364. En ce sens, nous rejoignons l’avis de U. HESS365

selon lequel ne constitue pas un cas de préemption l’apport à une société détenue par le propriétaire uniquement, ou qu’il contrôle majoritairement. En effet, dans une telle hypothèse, le propriétaire garde indirectement une maîtrise sur l’immeuble, de sorte qu’il conserve les mêmes droits de fait, bien que juridiquement la situation soit différente. Il s’agit donc d’une opération neutre qui doit être qualifiée de restructuration patrimoniale, et qui ne justifie pas l’exercice du droit de préemption. Tel n’est toutefois pas le cas, si le propriétaire n’est pas majoritaire au sein de la société. En effet, en lieu et place de la maîtrise sur l’immeuble, l’apporteur obtient une participation dans la société. Sa situation est différente juridiquement, mais surtout de fait. Il ne s’agit plus d’une simple restructuration patrimoniale, mais d’une aliénation, moyennant une contreprestation (la remise de participation). Dans ce cas d’espèce, le droit de préemption peut s’exercer.

Par ailleurs, nous ne partageons pas le point de vue de U. HESS qui assimile l’apport lors de la constitution de la société, à celui fait à titre de remboursement d’une dette de l’apporteur à l’encontre de la société. En effet, ces deux situations ne sont pas comparables. Dans la première hypothèse, l’apport permet au propriétaire de maintenir, voire d’augmenter sa participation, et modifie ainsi sa situation juridique au sein de la société, sans engendrer des changements de fait ; contrairement à la seconde, qui ne modifie pas la position de l’aliénateur au sein de la société, mais lui permet de diminuer ses dettes. Cette dernière situation peut être assimilée à une aliénation à titre onéreux, dont la contreprestation est effectuée par compensation de créance. Elle justifie donc un cas de préemption.

362 Voire l’augmentation du capital.

363 Message, p. 1017. BRÜCKNER, p. 533.BeK-GIGER,No 122, ad art. 216 CO. BeK-MEIER-HAYOZ, No 159, ad art. 681 CC. STEINAUER, Les droits réels II, p. 147, No 1731b. PETER, La cession, p. 368.Contra : CoRo-FOËX, No 10 ad art. 216c CO, No 12, Bak-HESS, No 9 ad art. 216c CO.

364 Message, p. 1017.

365 Bak-HESS, No 9 ad art. 216c CO.

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Le même raisonnement peut être tenu pour la reprise de bien, au terme de laquelle la société reprend un bien immobilier d’un de ses associés. Là aussi, l’opération ne permet pas à l’aliénateur d’augmenter sa participation, mais simplement de recevoir une contreprestation. Il s’agit donc d’une aliénation à titre onéreux qui justifie l’exercice du droit de préemption.

b) La fusion, la transformation et la scission d’une société

Selon la doctrine366, la cession qui intervient dans le cadre d’une fusion ne constitue pas un cas de préemption. Nous partageons ce point de vue dans la mesure où il s’agit d’une simple restructuration de société, sans que la cession soit suivie d’une contreprestation. Tel est le cas également, à notre avis, pour la transformation et la scission. Il est vrai que cette dernière hypothèse peut, dans certaines circonstances, justifier une contreprestation.

Prenons l’exemple d’une société, ayant une activité dans l’immobilier et dans l’informatique, et détenue par deux associés, A et B, à parts égales entre eux. Les associés décident de mettre fin à leur collaboration, et ainsi de scinder la société, chacun d’entre eux poursuivant une des activités de la société sous une nouvelle entité. Ainsi, A conservera l’activité immobilière, et B l’informatique. Toutefois, le parc immobilier de la société étant économiquement plus important que celui informatique, la nouvelle entité détenue par A devra désintéresser la société détenue par B, moyennant une contreprestation. Nous sommes d’avis que cette situation est similaire à un partage qui ne constitue pas un cas de préemption (art. 216c al. 2 CO par analogie).

c) Le transfert de patrimoine

Avec l’entrée en vigueur de la Lfus367 est apparu le transfert de patrimoine, institution nouvelle qui permet « à toutes sociétés et entreprises individuelles inscrites au Registre du commerce de transférer tout ou partie de leur patrimoine avec actifs et passifs à un autre sujet de droit privé » (art.69 al. 1 Lfus).

Le transfert de patrimoine s’effectue sur la base d’un contrat passé en la forme écrite, sous réserve du transfert de biens immobiliers qui doit être couvert par la forme authentique (art. 70 al. 1 Lfus). Par ailleurs, il peut avoir

366 CoRo-FOËX, No 12 ad art. 216c CO. Bak-HESS, No 12 ad art. 216c CO. PETER, La cession, p.368. Bak-REY, No 6 ad art. 681 CC.

367 La Loi fédérale du 3 octobre 2003 sur la fusion, la scission, la transformation et le transfert de patrimoine, entrée en vigueur le 01.07.2004.

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lieu à titre gratuit, ou bien moyennant une contreprestation. Il peut concerner plusieurs biens, comme s’étendre à un seul.

Si le transfert de patrimoine a lieu à titre gratuit, il s’agit d’une donation qui ne constitue pas un cas de préemption, sous réserve du cas de la donation mixte368. Demeurent par ailleurs réservées les questions de la reprise du droit, de la stipulation pour autrui369, ainsi que de l’annotation du droit au Registre foncier370.

Si le transfert de patrimoine a lieu moyennant une contreprestation, il y a lieu d’examiner cette dernière pour savoir si le transfert constitue un cas de préemption. Tel sera le cas si l’opération a lieu à titre onéreux. Toutefois, le transfert de patrimoine peut également être effectué moyennant l’acquisition par le transférant des droits de sociétariat dans la société reprenante. Dans une telle hypothèse, il y a lieu d’examiner si l’opération représente de fait un apport en nature371, voire une fusion372. En cas d’apport en nature, l’opération constitue un cas de préemption si la transférante n’est pas majoritaire dans la société reprenante373. En cas de fusion le droit de préemption ne pourra pas être exercé374. Si en revanche, le transfert de patrimoine permet aux associés de la société transférante d’acquérir des droits de sociétariat dans la société reprenante, l’opération est régie par les règles sur la scission375, ce qui ne constitue pas un cas de préemption.

Finalement, si le transfert de patrimoine porte sur plusieurs biens, dont un seul est grevé d’un droit de préemption, la question se pose si le droit pourra s’exercer uniquement sur le bien grevé, ou sur l’ensemble du patrimoine transféré.

Dans la mesure où le bien grevé est transféré, même collectivement avec d’autres immeubles, le droit de préemption peut s’exercer376. Quant à

368 Voir supra Nos 260 ss.

369 Voir supra Nos 132 ss.

370 L’annotation du droit de préemption confère non seulement la priorité sur les droits postérieurement acquis sur l’immeuble (effet typique de l’annotation), mais également le rend propter rem, et le rattache ainsi à la propriété de l’immeuble. art. 959 al. 2 CC. Voir également STEINAUER,Les droits réels I, p. 222, Nos 799 ss.

371 Voire une reprise de biens.

372 R.BAHAR admet que le transfert de patrimoine peut conduire de fait à un apport en nature (reprise de biens), ou à une fusion, ce qu’il déplore mais admet toutefois conforme à la volonté du législateur (CoLfus-BAHAR NO 20 ad art. 69 Lfus). temps l’exercice du droit de préemption si l’objet grevé est vendu avec d’autres objets. Toutefois, cet auteur exclut l’exercice du droit en cas de vente d’un immeuble soumis au régime de la propriété par étages, dont seul un lot fait l’objet d’un droit de préemption. Nous ne comprenons pas

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l’étendue du droit, nous sommes d’avis qu’il y a lieu de se référer à l’intention des parties à l’acte de transfert. En effet, si les transferts de chaque parcelle sont indissociablement liés dans l’esprit des parties, elles constituent une condition principale au transfert, et le préempteur y est tenu. Dans le cas contraire, elles ne sont qu’une condition accessoire, qui permet d’exercer le droit uniquement sur l’immeuble grevé377.

d) La liquidation d’une société

La réalisation d’un bien immobilier qui intervient en faveur d’un tiers dans le cadre de la liquidation d’une société constitue un cas de préemption. En revanche, selon le Tribunal fédéral378, la cession à un associé intervenant dans le cadre d’une liquidation de société ne constitue pas un cas de préemption.

Bien que nous rejoignions cette opinion, nous pensons qu’il y a lieu d’y apporter certaines nuances.

Ainsi, si le bien immobilier est cédé par la société à un des associés à titre de dividende de liquidation, le droit de préemption ne pourra s’exercer conformément à la jurisprudence, dans la mesure où la personne de l’associé joue un rôle de premier plan dans la transaction379. En revanche, tel ne sera pas le cas si la cession est faite pour partie à titre de dividende de liquidation, et pour partie moyennant le paiement d’un prix. Comme pour le cas de la donation mixte380, nous sommes d’avis qu’il y a lieu d’analyser l’intention des parties pour savoir si l’élément « prix de vente » prédomine celui de

« dividende de liquidation », ou inversement. Dans la première hypothèse, le droit de préemption pourra s’exercer, ce qui n’est pas le cas pour la seconde.

Prenons comme exemple le cas d’une société immobilière, propriétaire d’un seul immeuble, estimé à une valeur vénale de Fr. 1’000'000, et dont les participations sont détenues par deux associés, A et B, à parts égales entre eux.

La société est dissoute et après avoir désintéressé tous les créanciers, le bien immobilier est cédé à A, pour partie à titre de dividende de liquidation, et pour partie moyennant le paiement d’un prix de Fr. 500’000. Si la société a été dissoute dans le but de transférer le bien immobilier à A sans léser B, l’élément de « dividende de liquidation » prédomine et l’opération ne constitue pas un cas de préemption. Si en revanche, le bien est mis en vente lors de la phase de liquidation, et que parmi les offres les plus intéressantes figure celle de A, il y a

cette distinction. Nous sommes d’avis que les deux situations sont similaires et doivent être traitées de la même façon, de sorte que le droit de préemption pourra être exercé dans les deux cas.

377 Quant à la différence entre condition principale et accessoire, voir notamment ATF 89 II 446 = JdT 1964 I 350.

378 ATF 126 III 187 = JdT 2000 I 577.

379 Message, p. 1017.

380 Voir supra Nos 260 ss.

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lieu de considérer que la personne de A ne joue qu’un rôle accessoire, l’élément vente étant prédominant. Dès lors, le droit de préemption peut s’exercer.

e) La vente des droits sur une société immobilière

Le Tribunal fédéral, dans un arrêt antérieur à 1994381, a rappelé que la société anonyme et son actionnaire sont deux sujets de droits avec des droits et obligations propres, de sorte que les actes de l’un n’ont en principe aucune conséquence pour l’autre. Ainsi, « la vente de la quasi-totalité des actions par l’actionnaire majoritaire ne permet pas, à moins de circonstances particulières, l’exercice du droit de préemption constitué sur les immeubles appartenant à la société anonyme »382. Notre Haute Cour a néanmoins réservé les règles de la bonne foi dans les relations avec les tiers au sens de l’art. 2 al. 2 CC.

L’application de cette jurisprudence au nouveau droit est controversée en doctrine. Ainsi, H. GIGER et M. MÜLLER383 ne l’admettent pas, contrairement à Ch. BRÜCKNER, B. FOËX, U. HESS, R. MEIER, H. REY, V. ROBERTO et P.-H.

STEINAUER384. P. SIMONIUS etTH.SUTTER ne l’admettent pas tout en réservant le cas de l’abus de droit385.

Quant à H. PETER, il estime que « l’objectif de la réforme de 1994 n’était pas de renoncer au principe clairement exprimé par le Tribunal fédéral dans son arrêt de 1994. La cession du contrôle d’une société qui possède un immeuble grevé d’un droit de préemption ne constitue donc pas, ipso facto, un « cas de préemption » au sens de l’article 216c al. 1 CO. […] On peut à ce propos considérer que la jurisprudence de 1966, « codifiée » en 1994, n’est autre qu’une (banale) mise en œuvre du principe dit de la transparence, plus connu en Suisse sous le nom de « Durchgriff ». Ce principe consiste à faire prévaloir la réalité économique sur le formalisme juridique. […] En conséquence, la cession du contrôle d’une société (Promettante) détentrice d’un bien grevé d’un droit de préemption ne permet pas ipso facto au Préempteur d’exercer son droit et d’acquérir le bien concerné. Il en faut plus. Une condition subjective doit également être réalisée : celui qui cède le contrôle du Promettant doit avoir l’intention de contourner le droit de préemption et cette intention doit être manifestement abusive compte tenu des circonstances » 386.

381 ATF 92 II 160 = JdT 1967 I p. 186 ss.

382 JdT 1967 I p. 187.

383 BeK-GIGER ad art. 216c No 18.MÜLLER,Die Regelung, p. 224.

384 BRÜCKNER, Verwandte, p.532. CoRo-FOËX ad art. 216c No 11. BaK-HESS ad art. 216c No 2. MEIER,PJA 1994, p. 144. REY, Neuregelung, p. 49. ROBERTO, Teilrevision, p.173. STEINAUER, Le droit de préemption, p.2.

385 SIMONIUS/SUTTER I, p. 373, No 66.

386 PETER, La cession, p. 374 ss.

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Nous partageons ce point de vue, ainsi que la jurisprudence précitée. Nous regrettons néanmoins que le critère pris en compte par cet auteur, ainsi que par le Tribunal fédéral soit le principe de la transparence, respectivement les règles de la bonne foi dans les relations avec les tiers au sens de l’art. 2 al. 1 CC. Ce critère est, à nos yeux, source d’insécurité juridique, tant il est vrai qu’en pratique il sera très difficile pour le préempteur d’apporter la preuve de l’intention du vendeur de contourner le droit de préemption de façon abusive.

Nous serions d’avis qu’il y aurait lieu d’appliquer le critère du contrôle majoritaire.

En particulier, la question se pose de savoir si constitue un cas de préemption la vente de tous les droits, en particulier des actions, d’une société détenant un bien immobilier grevé d’un droit de préemption.

U. HESS387 l’admet, contrairement à B. FOËX388 qui souligne que cette situation présente certaines difficultés. Tout d’abord comment exercer le droit de préemption, et quelle serait l’étendue de ce droit, si la société détenait plusieurs immeubles ? Par ailleurs, selon cet auteur, doit être exclu l’exercice du droit s’il a été conféré par la société et non pas par l’associé, considérant que le droit du vendeur ne s’étend que sur l’immeuble, à l’exclusion de tout autre objet, en particulier la participation détenue par l’associé, qui n’appartient pas à la société. Demeure réservé l’abus de droit (art. 2 al. 2 CC).

Nous approuvons les considérations de B. FOËX. Toutefois, en pratique, elles rendent impossible l’exercice du droit de préemption, en particulier si la société ne détient qu’un seul immeuble. En effet, la plupart du temps ne seront aliénés que les droits sur la société, jamais l’immeuble lui-même. Il est donc important, du moins concernant le droit conventionnel, qu’il soit conféré expressément sur les droits de l’associé et sur l’immeuble.

Quant au droit légal, serait-il impossible à exercer si l’immeuble est détenu par une société ? Pour l’éviter, et ne pas faire de distinction entre le droit légal et le droit conventionnel, nous sommes d’avis qu’il y a lieu, comme lors de l’apport de l’immeuble à la société, d’examiner, tant pour le droit légal que conventionnel389, si la société est majoritairement en mains de l’aliénateur des droits sur la société. Si tel est le cas, l’exercice du droit doit être admis ; dans le cas contraire, l’aliénation ne constitue pas un cas de préemption.

Finalement, si la société détient plusieurs immeubles, dont un seul, voire certains, fait (font) l’objet du droit de préemption, nous sommes d’avis qu’il y

387 BaK-HESS, No 5 ad art. 216c CO. Il est à souligner que la position de cet auteur est contradictoire.

Dans un premier temps, il admet l’application de la jurisprudence du Tribunal fédéral, pour ensuite néanmoins admettre que l’aliénation de toutes les actions d’une société immobilière détenant un immeuble grevé d’un droit de préemption constitue un droit de préemption.

388 CoRo-FOËX, No 11 ad art. 216c CO.

389 Dans l’hypothèse où il n’a pas été constitué expressément sur les droits de l’associé et sur l’immeuble.

a lieu d’examiner la place que tien(nen)t l’(les) objet(s) dans l’actif de la société.

Si elle est prépondérante, l’exercice du droit de préemption doit être admis ; dans le cas contraire, l’aliénation des droits de l’associé sur la société ne constitue pas un cas de préemption.

Tant la notion de « maîtrise majoritaire » que de « place prépondérante » sont des notions abstraites, de sorte qu’elles doivent être examinées de cas en cas. Demeure par ailleurs réservé l’abus de droit.

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