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Les protection des proches du défunt dans les États de « common law »

C. Le contrôle de l'objet de la décision : l'ordre public au fond

III. Le caractère irréductible de l’ordre public : la protection des proches du de

2. Les protection des proches du défunt dans les États de « common law »

275. Dans les systèmes juridiques d'origine anglo-saxonne, in primis l'Angleterre, la

réserve héréditaire, ainsi qu'elle a été conçue dans les pays de droit civil, n'est pas prévue dans le droit des successions. A contrario, ces États sont caractérisés par l'attribution d'une

432 Ainsi en Catalogne (artt. 451-5 et 451-II de la loi 10/2008) et en Galice (artt. 243 et 246, loi 2/2006) par exemple, la part de réserve destinée aux descendants est d’un quart des biens du disposant, à attribuer non pas en nature (comme c’est la règle pour le droit commun), mais en valeur. Encore, concernant les ascendants, ces derniers ne sont pas considérés réservataires par le droit de la Galice (art. 238), ni par la Catalogne en présence du conjoint survivant (art. 451-4). En général sur ces systèmes, v. P.DEL POZO CARRASCOSA-A.VAQUER ALOY-E.BOSCH CAPDEVILA, Derecho Civil de Cataluña, Derecho de Sucesiones, 2009, Barcelone, Marcial Pons ; M.CARBALLO FIDALGO, La legítima en la Ley del 14 de junio de 2006, de

Derecho civil de Galicia, in M.P.GARCÍA RUBIO (édité par), Estudios Jurídicos en memoria del Prof. J. M.

Lete del Río, 2009, Madrid, Civitas, pp. 139 et s.

433 La réserve est en effet admise dans les pays scandinaves comme la Norvège (§29, Loi sur les successions de 1972), en Autriche (§764, ABGB), en Suisse (art. 471, Code civil), au Pays-Bas (art. 4:80, NBW), en Hongrie (Section 661, Code civil) ou encore en Slovénie (art. 25, Loi slovène sur les successions). En général sur le régime de la réserve dans les pays européens, v. A.BONOMI, La vocation

successorale volontaire dans certains droits européens, in Le droit des successions en Europe, Actes du colloque du 21 février 2003, 2003, Genève, Droz, pp. 55 et s.

434 C'est le cas, comme l'on a vu supra n°232, des « derechos forales » de la Navarre ou du Fuero de Ayala dans les Pays-Basques.

liberté testamentaire quasi absolue, ce qui a traditionnellement posé un certain nombre de problèmes dans le règlement d'une succession international intéressant l'un de ces pays. Toutefois, depuis 1938, l'absence de la réserve a été comblée par la prévision de mécanismes allant limiter la liberté de disposer du de cujus, en garantissant ainsi une certaine protection de certains de ses proches. Ces instruments, principalement reconduits à l'institution des « Family Provisions »435, permettent en effet à certains proches du défunt (sont comprises non seulement ses enfants et le conjoint survivant, mais aussi le concubin ainsi que toutes les personnes qui dépendaient économiquement du de cujus avant le décès)436 d'intenter une action visant à obtenir une prestation patrimoniale à la charge de la succession ou des héritiers.

276. Ce mécanisme se distingue cependant de manière nette par rapport à la réserve de

droit civil ; d'abord, contrairement à cette dernière, la family provision constitue non pas un droit mais une demande judiciaire soumise à l'appréciation discrétionnaire des tribunaux, qui pourront ainsi l'accorder ou pas. De plus, même en cas d'octroi, le montant de la prestation patrimoniale perçue n'est pas prédéterminé par la loi, comme s'il s'agissait d'une part réservée, mais varie en fonction des cas, pouvant aller d'une somme fixe, à une rente, au transfert de la propriété d'un bien successoral, ou encore à la constitution d'un trust au bénéfice du demandeur437. En tout état de cause, le fondement de cette prestation repose sur la situation économique des demandeurs et des successibles, critère qui n'est en revanche pas pris en considération dans le fonctionnement de la réserve. En particulier, le requérant doit démontrer qu'en raison de ses conditions économiques, la part successorale reçue n'est pas une « reasonable financial provision »438, c'est-à-dire une prévision économique raisonnable ; si le demandeur est le conjoint survivant, il est en

435 L'on rappellera que cette institution est née Nouvelle-Zélande en 1900 et s'est rapidement répandue dans les autres pays de common law afin de corriger les excès de la liberté testamentaire. En général sur les origines de la family provision, v. R.D.OUGHTON (sous la direction de), Tyler's Family Provision, 1997, 3éd., London, Buttersworth ; PARRY&CLARKS, The Law of Succession, 2002, 11ème éd., Londres, pp. 153 et s. ; A.BONOMI, La vocation successorale volontaire dans certains droits européens, op. cit., p. 56. 436 En ce sens la Section 1(1) du Inheritance (Provision for Family and Dependants) Act de 1975 qui considère parmi les bénéficiaires de cet intrument « any person who has living in the same household ad

the deceased, during the whole of the period of two years ending immediately before the date when the deceased died ».

437 En ce sens A.BONOMI, La vocation successorale volontaire dans certains droits européens, op. cit., p. 57 ; A.BONOMI-P.WAUTELET, Le droit européen des successions, op. cit., p. 569.

outre prévu que le caractère raisonnable de cette prévision se détermine sur la base d'un critère d'égalité entre le mari et la femme et non pas en fonction des seuls besoins439. Il est enfin possible que le défunt, avant le décès, ait disposé en faveur d'un tiers, par le biais d'une donation, dans la seule intention d'éluder les family provisions. Or, dans ces hypothèses, la loi anglaise prévoit, depuis 1975, que le bénéficiaire d'une telle donation puisse être obligé, lorsque l'intention frauduleuse du défunt est effectivement démontrée, de soutenir économiquement le demandeur440.

277. Cette institution n'est toutefois pas le seul mécanisme de protection prévu dans les

pays anglo-saxons. Ainsi, certains États comme le Québec prévoient des obligations alimentaires post mortem en faveur de certains proches du défunt441 ; dans certains États des États-Unis en revanche, le conjoint survivant et les enfants se voient reconnaître le droit d'obtenir des prestations patrimoniales dont la valeur est directement fixée par la loi. Celles-ci se distinguent donc d'une institution comme la réserve, ne se basant pas en général sur une part de la succession, mais sur un montant déterminé préalablement par le législateur. Un mécanisme similaire à la réserve est en revanche « l'elective share », prévue dans de nombreux pays de common law, notamment certains États nord- américains, et qui consiste en une véritable part réservée en faveur du conjoint survivant, calculée sur la base d'un patrimoine successoral augmenté et comprenant, outre que les biens de la succession, également certaines libéralités inter vivos. La valeur de cette part n'est pas identique dans tous les systèmes, parfois étant fixe, parfois dépendant de la durée du mariage. En tout état de cause, contrairement à la réserve, le bénéficiaire ne reçoit pas sa part de manière automatique, mais, comme l'indique son nom, il doit choisir de la demander en substitution des gratifications obtenues en vertu du testament442.

278. Cette brève analyse des mécanismes prévus dans les droits de common law montre

439 La Section 1(2) de la Loi de 1975, supra citée, ajoute en effet, à l'égard du conjoint survivant, que l'expression « reasonable financial provision » signifie « such financial provision as it would be reasonable

in all circumstances of the case for a husband or a wife to receive, whether or not that provision is required for his or her maintenance ».

440 Section 10-13, Loi de 1975 supra citée. 441 Articles 684 et s., Code civil.

donc que, en dépit des divergences certes existantes, la seule absence de l’institution de la réserve héréditaire n’implique pas, en elle-seule, une mise en péril certaine et automatique des proches du défunt. Comme l’on a pu voir en effet, ces pays disposent d’une série d’instruments qui, bien que dans des modalités et des conditions différentes, visent à garantir une forme de protection à certaines personnes proches du de cujus ou qui en dépendaient économiquement. Dès lors, si on considère, comme l’ont fait certains auteurs, que ces mécanismes sont des équivalents fonctionnels443 à la réserve de civil law, il n’y aurait pas raison d’invoquer l’intervention de l’ordre public au seul motif que la loi successorale compétente ne prévoit pas cette institution. Cela équivaudrait en effet à remettre en cause la notion même d’ordre public international, en retournant à l’application d’un ordre public national ou « territorial » justifié sur la seule base d’une divergence normative entre la lex fori et la loi étrangère. Cependant, la perspective change si la réserve héréditaire accède au rang des principes « de justice universelle » ; dans cette hypothèse en effet, il est clair que sa violation pourrait être interprétée comme une atteinte à un droit fondamental humain et donc justifier la mise en jeu nécessaire de l’ordre public. Mais peut-on en arriver à ces conclusions ? A cet égard, jusqu’à présent les opinions ont été divergentes, ce qui n’a fait qu’accentuer les incertitudes en matière. Le Règlement de 2012 pourrait néanmoins favoriser une solution commune aux États membres, en parvenant ainsi, même sur un point aussi débattu, à une possible harmonisation des systèmes.