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DES RAPPORTS DE TRAVAIL

V. LA PROTECTION GENERALE CONTRE LE LICENCIEMENT A RAISON DE L'EXERCICE DES

DROITS CONSTITUTIONNELS

C'est à propos de la liberté d'association et de la liberté économique, en liaison avec le droit des conflits collectifs, que la jurisprudence et la loi ont développé les règles les plus importantes touchant la protection de l'exer-cice des droits constitutionnels dans le cadre des rapports de travail.

Depuis la révision du droit du licenciement, en 1988, le code des obliga-tions prévoit une protection plus générale du travailleur: il déclare abusif le congé donné par l'employeur en raison de l'exercice, par le salarié, d'un droit constitutionnel, à moins que l'exercice de ce droit ne viole une obliga-tion résultant du contrat de travail ou ne porte sur un point essentiel un préjudice grave au travail dans l'entreprise (art. 336 al. llit. b CO).

Ainsi, de façon explicite, le législateur a mis en œuvre les droits fondamen-taux sur le plan horizontal, afin de protéger le travailleur en cas de licencie-ment; pour des motifs de principe, dont la pratique n'a pas démontré le besoin, il a étendu cette protection à l'employeur, qui peut lui aussi demander réparation ensuite d'une démission du travailleur fondée sur l'exercice, par son patron, d'un droit fondamental.

Les droits constitutionnels visés ici sont tous les droits, écrits ou non écrits, découlant de la constitution elle-même ou de textes de rang équivalent, par exemple la Convention européenne des droits de l'homme. Il serait vain de les énumérer32

Ce qu'il faut analyser ici, ce sont les limites de cette protection nouvelle.

En premier lieu, selon le texte même de la loi, la résiliation n'est pas abu-sive si l'exercice du droit constitutionnel viole une obligation découlant du contrat de travail. En d'autres termes, apparemment, bien qu'il attribue une place particulièrement importante à la protection des libertés fonda-mentales, le législateur retirerait d'une main ce qu'il a donné de l'autre:

lors de la conclusion du contrat, l'employeur pourrait exiger du travailleur qu'il assume des obligations restreignant l'exercice de ses droits

constitu-32 Cf. Christiane Brunner/Jean-Michel Bühler/Jean-Bernard Waeber, Commentaire du contrat de travail, Union syndicale suisse, Berne 1989, No 5 ad art. 336; Max Fritz, Les nouvelles dispositions sur le congé dans le droit du contrat de travail, Union centrale des associations patronales, Zurich 1988 No 4 ad art. 336.

tionnels. La protection légale serait ainsi vidée de sa substance, car la simple volonté des parties permettrait d'abolir l'effet horizontal des droits fondamentaux.

Une telle manière de voir doit être rejetée. L'exercice des droits fondamen-taux joue un rôle essentiel; le salarié ne peut pas y renoncer dans une mesure contraire aux mœurs (art. 27 al. 2 CC). On ne saurait donc admettre que, à teneur de son contrat de travail, il assume valablement des obligations comportant une limitation excessive de sa liberté. Cette obser-vation, classique, se trouve renforcée dans le cadre du droit du travail.

D'une part, l'employeur est impérativement tenu de protéger la personna-lité du salarié (art. 328 et 362 CO); cette obligation interdit d'exiger le res-pect de clauses contractuelles limitant de façon injustifiée la liberté du tra-vailleur. D'autre part, la protection contre le licenciement à raison de l'exercice d'un droit constitutionnel est elle aussi impérative (art. 336 al. 1 et 361 CO): à quoi servirait cette contrainte si les parties pouvaient libre-ment limiter l'exercice, par le salarié, de ses droits constitutionnels?

D'ailleurs, les travaux préparatoires et les remarques des commentateurs montrent bien que cette restriction à l'exercice des droits constitutionnels vise des situations spéciales. En particulier, le législateur a voulu tenir compte des besoins de certains employeurs, dont l'activité impose aux salariés une conduite déterminée non seulement durant le travail, mais aussi dans leur vie privée. Ce sont les entreprises dites «à tendance» (Ten-denzbetriebe), par exemple les partis politiques, les syndicats, les organisa-tions patronales ou économiques, les églises, les mouvements caritatifs, qui doivent donner d'eux-mêmes une image correspondant à leurs buts et qui ne peuvent tolérer, de la part de leurs employés, un comportement nui-sant à ces buts et consacrant, du coup, une violation de leur obligation de fidélité (art. 321 a al. 1 CO). Deux exemples touchant la liberté politique et la liberté d'expression illustreront ce propos: un syndicat peut certaine-ment se séparer licitecertaine-ment d'un secrétaire qui se porterait candidat au par-lement sous les couleurs d'une organisation raciste; un parti peut faire de même si son employé appelle publiquement à voter pour l'adversaire, etc. 33

33 FF 1984 II 622; Fritz (note 32) No 4 ad art. 336; Ronald Pedergnana, Überblick über die neuen Kündigungsbestimmungen im Arbeitsvertragsrecht, Recht 1989 38;

Kurt Meier/Petra Oehmke, Die neuen Bestimmungen des Arbeitsvertragsrechts zum Kündigungsschutz, Pladoyer 1988, No 5/6, 47.

Ainsi, dans la mesure où elle restreint l'exercice d'un droit constitutionnel par le salarié, l'obligation assumée par ce dernier n'est valable que si les circonstances la justifient objectivement. Le juge ne pourra pas se dis-penser d'examiner dans chaque cas cette justification, à la lumière, en par-ticulier, de l'obligation de fidélité découlant de l'art. 321 a C034

La seconde limite de la protection contre le congé donné en raison de l'exercice d'un droit constitutionnel touche les effets de cet exercice sur le fonctionnement de l'entreprise. Il peut arriver que l'expression de cer-taines idées politiques, par le salarié, choque gravement ses collègues de travail. Le respect de la liberté d'opinion, par l'employeur, risque alors de susciter des difficultés avec d'autres travailleurs qui, grève à l'appui, exige-raient son licenciement. Dans ce cas de figure, la résiliation se trouverait dictée non pas par la volonté de l'employeur, mais par celle des travailleurs eux-mêmes, qui feraient subir un préjudice grave à l'entreprise, sur un point essentiel de son activité. En pareille hypothèse, l'employeur ne doit pas être tenu pour responsable de la résiliation qu'il se trouvera contraint de notifier au perturbateur; il sera en conséquence exonéré de toute obliga-tion de lui payer une pénalité. La victime du congé ne reste cependant pas démunie. Elle pourra agir, le cas échéant, contre les travailleurs qui la boy-cottent, en application des principes rappelés plus haut (art. 28 et 28a CC;

art. 41 CO).

La situation décrite ci-dessus (touchant la liberté d'opinion) relève de la règle générale de l'art. 336 al. 1lit. b, qui soumet à des limites déterminées la protection de l'exercice des droits constitutionnels. Elle survient rare-ment dans la pratique.

Un cas plus fréquent, tout au moins dans le passé, intéresse la liberté d'association. Il s'agit du refus, opposé par des travailleurs, de collaborer avec un autre travailleur appartenant à un syndicat rival; pour appuyer la demande de licenciement du dissident, ses collègues menacent de faire grève ou suspendent purement et simplement le travail. Ici s'applique la règle spéciale de l'art. 336 al. 2lit. a, qui protège, sans restriction explicite, la liberté d'association positive et négative des salariés. L'employeur com-mettrait un abus s'il licenciait le travailleur indésirable, quand bien même l'exercice, par ce dernier, de sa liberté d'association nuirait gravement à la bonne marche de l'entreprise.

34 Cf. sur ce point, Hans Emanuel Raaflaub, Die Treuepflicht des Arbeitnehmers beim Dienstvertrag, Winterthur 1959 92.

VI. CONCLUSION

Au cours des décennies écoulées, les tribunaux et le législateur ont cons-truit, peu à peu, un réseau protecteur de l'exercice des droits constitution-nels par les salariés.

Dans le domaine de la responsabilité délictuelle, ce système s'articule, pour l'essentiel, autour de la liberté d'association et de la liberté économique.

Le revirement de l'arrêt Giesbrecht marque l'étape la plus importante, puisqu'il pose la présomption de l'illicéité du boycottage et, par consé-quent, de la grève. A notre avis, les conditions dans lesquelles cette pré-somption d'illicéité peut être levée sont les mêmes qu'il s'agisse de celle-ci ou de celui-là; on les trouve dans la jurisprudence récente du Tribunal fédéral sur la grève.

Dans le domaine contractuel, l'évolution la plus remarquable découle du nouveau droit du licenciement. Aujourd'hui, la loi déclare abusif le congé-diement d'un salarié en raison de sa participation à une grève légitime. Elle offre en outre aux travailleurs une protection plus étendue, puisque, en principe, toute résiliation du contrat de travail fondée sur l'exercice d'un droit constitutionnel revêt un caractère abusif. L'exception la plus impor-tante à cette règle (le respect des obligations découlant du contrat de tra-vail) doit s'interpréter à la lumière des dispositions impératives; sauf cir-constances objectivement justifiées, le salarié ne saurait renoncer valable-ment à l'exercice de ses droits constitutionnels.