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Propri´ et´ es de coh´ erence des ondes de mati` ere

La caract´erisation des propri´et´es statistiques du gaz dans son ensemble repose sur l’emploi de fonctions de corr´elations du champ de mati`ere, et sur l’identification des observables qui permettent de les mesurer. Dans cette section, nous introduisons les fonctions de corr´elation appropri´ees pour d´ecrire de mani`ere quantitative les propri´et´es de coh´erence en phase et en

11Sur cet exemple pr´ecis, on constate que la fr´equence propre d’un mode collectif ne d´epend que de la

fr´equence du pi`ege dans la limite de Thomas-Fermi [88, 89]. Ceci se comprend [93] par analogie avec le cas uniforme : l’´energie est en effet donn´ee par ~ω = cSk, mais le vecteur d’onde est maintenant discret `a cause

de la taille finie du syst`eme, k ∼ n/L. Comme L =p2µ/M ω2

x et cS=pµ/M , le rapport L/cSne d´epend

amplitude du champ bosonique. L’analogie avec l’optique se r´ev`ele fructueuse pour accomplir ce programme. Pour quantifier le degr´e de coh´erence d’un champ optique (classique ou quan- tique), on introduit les fonctions de corr´elation pour les composantes du champ ´electrique [96]. De la mˆeme mani`ere, pour une onde de mati`ere, on peut introduire les fonctions de cor- r´elation du champ ˆΨ. Nous allons nous restreindre dans ce m´emoire `a d´ecrire les fonctions de corr´elation dites d’ordre 1 et 2 (qui sont en fait d’ordre 2 et 4 en champ, respectivement), que nous discutons tour `a tour.

1.5.1

Coh´erence en phase

La fonction de corr´elation du premier ordre12 (au mˆeme temps) est d´efinie par

g(1)(r, r0) = h ˆΨ†(r) ˆΨ(r0)i. (1.57) Les crochets indiquent une moyenne statistique sur l’ensemble appropri´e, dans notre cas grand-canonique. Cette fonction est fondamentale pour discuter les exp´eriences d’interf´ero- m´etrie atomique, car comme dans le cas de l’optique, elle quantifie le contraste des franges d’interf´erences dans une exp´erience id´eale, apr`es moyenne statistique sur un grand nombre de r´ealisations. En d’autres termes, cette fonction permet de quantifier dans quelle mesure la phase relative entre les deux points r et r0 reste bien d´efinie quand la s´eparation r − r0 augmente. Pour un syst`eme homog`ene, g(1) ne d´epend que de la diff´erence r − r0, `a cause

de l’invariance par translation. Par contre, pour un syst`eme inhomog`ene, comme c’est le cas dans un pi`ege, g(1) d´epend de r et r0 s´epar´ement. Pour caract´eriser globalement la coh´erence du nuage, on introduit alors la fonction (r´eelle) dite de corr´elation spatiale

C(1)(s) =

Z

d3R g(1)(R + s/2, R − s/2). (1.58)

La mani`ere dont cette fonction tombe `a z´ero renseigne sur les propri´et´es de coh´erence du gaz. En particulier, nous introduisons la « longueur de coh´erence » LC comme la demi-largeur

`

a mi-hauteur de C(1). Pour quantifier le degr´e de coh´erence, on pourra comparer LC `a la

taille physique du syst`eme L. Si LC ∼ L, on parlera de coh´erence compl`ete (au premier

ordre), et la phase du champ devient une notion pertinente. Pour LC  L, le syst`eme

peut ˆetre qualifi´e de globalement incoh´erent, mˆeme si sur des distances de l’ordre de LC, les

ph´enom`enes d’interf´erence sont bien entendu observables.

Lien avec la distribution en impulsion : La fonction C(1) est reli´ee `a la distribution en

impulsion P par une transform´ee de Fourier :

P(p) = h ˜Ψ†(p) ˜Ψ(p)i = 1 (2π~)3

Z

d3s C(1)(s)e−ip·s~ , (1.59)

avec l’op´erateur champ atomique en repr´esentation impulsion, ˜

Ψ(p) = 1

(2π~)3

Z

d3r ˆΨ(r)e−ip·s~ . (1.60)

La largeur de la distribution en impulsion v´erifie donc une relation de conjugaison,

∆p ∼ ~ LC

. (1.61)

Intuitivement, on comprend ce r´esultat `a l’aide de la relation de de Broglie : une largeur en impulsion ∆p implique un distribution de longueur d’onde ∆λ ∼ ~/∆p qui d´etermine la longueur de coh´erence. On retrouve imm´ediatement avec ce r´esultat que pour un gaz thermique13, comme ∆p ∼M k

BT , la longueur de coh´erence est de l’ordre de la longueur

d’onde de de Broglie thermique λdB = p2π~2/M kBT . Pour un condensat, par contre, le

principe d’Heisenberg impose ∆p ∼ ~/L, ce qui implique que la longueur de coh´erence est de l’ordre de la taille du syst`eme : LC ≈ L.

Fonction de corr´elation dans le point de vue densi´e/phase : Dans le point de vue densit´e/phase introduit plus haut, on obtient la fonction de corr´elation `a l’ordre le plus bas en δˆn/n0 comme14 g(1)(r, r 0) =pn0(r)n0(r0) exp  −1 2∆φ 2(r, r0 ). (1.63)

La variance de la diff´erence de phase entre les points r et r 0 est donn´ee par

∆φ2(r, r0) = h[ ˆφ(r) − ˆφ(r0)]2i =X

ν

|φν(r) − φν(r0)| 2

(2Nν + 1) (1.64)

avec le nombre d’occupation Nν = NBE(~ων) = (exp (~ων/kBT ) − 1)−1.

Dans le cas simple du gaz homog`ene `a trois dimensions, les fluctuations quantiques sont n´egligeables sous la condition n0a3  1 (voir la section 1.4.2). Pour la partie thermique, on

trouve ∆φ2(s = r − r0) ∼ T µ p n0a3 ζ | s |, (1.65)

sur des distances s  ζ. Pour les distances s  ζ, le comportement de la fonction de corr´elation C(1) est d´etermin´e par celui de P pour p  ~/ζ−1 : dans cette r´egion de haute

´energie, les excitations se comportent comme des particules libre et la statistique de Bose tend vers celle de Boltzmann. On trouve donc une d´ependance gaussienne pour les tr`es courtes distances. Malgr´e la d´ependance en 1/s, le pr´efacteur est tr`es petit, et la contribution des excitations `a g(1) est n´egligeable au bout de quelques longueurs de relaxation.

Ce r´esultat reste qualitativement vrai pour un gaz pi´eg´e, si bien que la fonction de corr´elation

13Pour un gaz de Boltzmann, P ´etant gaussienne, c’est aussi le cas de sa tranform´ee de Fourier C(1). 14Montrons la relation hexp[−i ˆφ(r) + i ˆφ(r0)]i = exp(−1

2∆φ

2) utilis´ee pour obtenir (1.63). Ecrivons

hexp[−i ˆφ(r) + i ˆφ(r0)]i = +∞ X n=0 (−i)nhh ˆφ(r) − ˆφ(r0)i n i (1.62)

Comme l’hamiltonien est une forme quadratique, et la diff´erence de phase ˆφ(r) − ˆφ(r0) une forme lin´eaire, des ˆbν, ˆb†ν, seuls les termes avec n pair survivent `a la moyenne statistique h·i. De plus, on peut alors utiliser le

th´eor`eme de Wick [] pour montrer que h[ ˆφ(r) − ˆφ(r0)]2mi = h[ ˆφ(r) − ˆφ(r0)]2im, avec m un entier quelconque.

s’identifie pratiquement `a celle d’un champ classique de phase constante et de module bien d´efinie, et C(1) n’est limit´e que par le recouvrement des enveloppes de densit´e :

C(1)(s) = Z

d3Rpn0(R + s/2)n0(R − s/2) + · · · (1.66)

En prenant pour n0 le profil de Thomas-Fermi, la fonction de corr´elation est alors pratique-

ment gaussienne15 avec une longueur de coh´erence L

C ´egale `a 0.77 fois la taille du condensat

dans la direction de s [97]. Ce comportement a ´et´e mesur´e exp´erimentalement `a une bonne approximation dans les exp´eriences du NIST [98] et du MIT [99]. Les points dans l’´equa- tion pr´ec´edente indiquent qu’en g´en´eral, on doit inclure des termes d´ecrivant la contribution des excitations, en particulier `a temp´erature finie. Les termes omis tombent `a z´ero sur une ´

echelle spatiale beaucoup plus courte (de l’ordre de ζ). L’exp´erience d’interf´erom´etrie entre deux lasers `a atomes men´ee `a bien `a M¨unich a permis de mettre clairement en ´evidence ces deux ´echelles de longueurs tr`es diff´erentes dans la fonction de corr´elation [9].

1.5.2

Fonction de corr´elation de paires

Un autre fonction importante est la fonction de corr´elation du second ordre16, qui donne

la probabilit´e conditionnelle de trouver un boson en r, sachant qu’on en a d´etect´e un premier en r0. Elle est d´efinie math´ematiquement par

g(2)(r, r0) = h ˆΨ†(r) ˆΨ(r) ˆΨ†(r0) ˆΨ(r0)i = hˆn(r)ˆn(r0)i. (1.67) Pour des photons, la fonction g(2) d´ecrit les fluctuations d’intensit´e du champ lumineux [86]. Dans le cas d’une source thermique, constitu´ee d’un ensemble d’´emetteurs ´el´ementaires mutuellement incoh´erents (en champ lointain), la statistique du rayonnement qu’elle ´emet est gaussienne d’apr`es le th´eor`eme central limite. Apr`es moyenne statistique, la fonction de corr´elation est alors g(2)(| t − t0 |→ 0) ≈ 2 : il y a deux fois plus de chances de d´etecter

(quasi)simultan´ement deux photons qu’apr`es un laps de temps important, o`u g(2)(| t − t0 |→

∞) = 1 (temps d’arriv´ee d´ecorr´el´es). C’est le fameux effet Hanbury-Brown et Twiss, qui a largement contribu´e `a l’essor de l’optique quantique dans les ann´ees 1950-1960. Pour un laser, par contre, les sources ´el´ementaires ´emettent en phase. Le flux lumineux est r´egulier, et on a alors g(2) ≈ 1 quelque soit | t − t0 |, correspondant `a une statistique de Poisson. On interpr`ete parfois cet effet comme une cons´equence de la nature bosonique du rayonnement : une source thermique constitue un m´elange statistique d’´etats `a deux photons du point de vue de l’exp´erience de corr´elation d’intensit´e, et le facteur 2 qui intervient aux temps courts r´esulte dans ce point de vue du principe de sym´etrisation. Dans le cas du laser, les photons occupent tous un seul mode du champ ´electromagn´etique, et il n’y a pas lieu de symm´etriser : c’est pourquoi le facteur 2 est absent.

Influence des collisions ´elastiques : Dans le cas d’un gaz atomique, la situation se complique `a cause des collisions ´elastiques, qui affectent les corr´elations `a courte s´eparation

15Cette forme gaussienne de la fonction de corr´elation est naturelle. En effet, pour des fonctions r´eelles `a

support born´e, comme Φ0dans le r´egime de Thomas-Fermi, la forme gaussienne est un point stable pour le

produit de convolution, et la convergence est atteinte tr`es rapidement.

[100]. Si la plus petite des longueurs caract´eristiques du syst`eme `a N particules17 est grande

devant a, alors pour | r − r0 |. a, on doit retrouver la fonction d’onde `a deux corps qui d´ecrit la diffusion ´elastique. D’apr`es les r´esultats de la section 1.2.2, on a alors

g(2)(r, r0) ≈ ˜g(2)(r, r0)1 − a | r − r0 |

2

(1.68)

La nouvelle fonction ˜g(2)est une fonction de corr´elation « fictive », qui ne tient pas compte des

corr´elations `a deux corps dˆues au d´etail des collisions, pour se concentrer sur les corr´elations `

a N corps. En cons´equence, on pourra calculer ˜g(2) sans ´etats d’ˆames en utilisant le pseudo- potentiel (1.16). On peut ´egalement relier ˜g(2) aux fluctuations de densit´e par la formule

[87, 85] :

˜

g(2)(r, r0) = n0(r)n0(r0) + hδˆn(r)δˆn(r0)i (1.69)

Lien avec l’´energie d’interaction : Pour caract´eriser globalement la coh´erence du second ordre d’un ´echantillon inhomog`ene, on peut introduire la quantit´e sans dimensions

C(2) = R d

3r ˜g(2)(r, r)

R d3r n(r)2 (1.70)

Pour un condensat totalement pur, ˆΨ ≈ Ψ0, et on trouve que C(2) ≈ 1 : les fluctuations de

densit´e sont n´egligeables. Par contre, pour un nuage thermique sans interactions, l’´energie d´epend quadratiquement du champ ˆΨ (voir l’´equation (1.17) en omettant le terme d’interac- tion). La statistique de ˆΨ est donc gaussienne, et, comme pour le rayonnement thermique, on trouve que C(2) = 2, une valeur qui refl`ete l’existence de fluctuations de densit´e importantes

dans l’´echantillon (phδˆn2i ∼ hˆni). Nous concluons que C(2) joue un rˆole analogue pour le

nuage de bosons pi´eg´es `a celui du terme g(2)(0) en optique quantique : il caract´erise glo- balement l’importance des fluctuations de l’amplitude du champ (atomique ou photonique). L’exp´erience de Masuda et Shimizu a permis de mesurer directement les corr´elations `a deux corps dans un jet d’atomes de N´eon refroidi par laser [101], en confirmant la valeur C(2) = 2. Cette mesure directe n’est possible qu’avec des atomes dans un ´etat m´etastable : l’´energie interne ´elev´ee rend alors possible une d´etection `a l’´echelle d’un seul atome. Ce type de tech- niques pourrait ˆetre appliqu´es dans un futur proche `a un condensat d’h´elium m´etastable [102], et permettre l’´etude directe des corr´elations `a deux corps dans un nuage thermique et dans un nuage condens´e. Pour les atomes alcalins dans l’´etat fondamental ´electronique, une telle mesure est impossible. Heureusement, pour un ´echantillon o`u les interactions sont fortes, on peut remonter `a C(2) par une mesure de l’´energie d’interaction E

int (1.13) [103, 104] : Eint = U 2 Z d3r ˜g(2)(r, r) = U C (2) 2 Z d3r n(r)2 (1.71)

Par de simples mesures de temps de vol, on peut d´eterminer Eint et le profil de densit´e

[103, 104], et donc remonter `a C(2). De telles exp´eriences donnent effectivement C(2) ≈ 1 pour

un condensat `a tr`es basse temp´erature [103].

17Pour un condensat, c’est en g´en´eral la longueur de relaxation qui compte, et on retrouve la condition

Notons pour terminer que l’on peut ´egalement introduire une fonction de corr´elation du troisi`eme ordre, donnant la probabilit´e de d´etecter un atome conditionnellement `a la d´etection de deux autres. Lorsque les positions des trois atomes sont « identiques »18, cette fonction d´etermine le taux de formation de mol´ecules par recombinaison `a trois corps. Pour un condensat, Yu. Kagan, B. Svistunov et G. Shlyapnikov ont pr´edit une r´eduction (d’un facteur 3 !=6, et non plus d’un facteur 2) qui refl`ete l’absence de fluctuations de densit´e [105]. Les exp´eriences de Burt et al. [70] ont permis de le mettre en ´evidence sans ambiguit¨e (voir aussi la th`ese d’O. Sirjean pour une discussion d´etaill´ee de ce sujet [102]).