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Fluctuations de phase et quasicondensat

4.5 Divergence du laser ` a atomes

5.1.3 Fluctuations de phase et quasicondensat

A temp´erature finie, la situation est plus complexe si on tient compte des interactions. Dans une large gamme de temp´erature, on a affaire `a un « quasi-condensat », interm´ediaire

entre un condensat et un gaz thermique. Contrairement `a un « vrai » condensat, la phase n’est bien d´efinie que sur une longueur de coh´erence plus faible que l’extension physique du syst`eme, et qui d´epend de la temp´erature. Par contre, comme dans un condensat, `a cause de leur coˆut en ´energie d’interaction, les fluctuations locales de densit´e sont fortement supprim´ees, et le profil statique s’obtient toujours `a l’approximation de Thomas-Fermi. Nous allons faire un d´etour par le cas du gaz homog`ene pour mieux le comprendre.

L’ordre `a longue port´ee ne survit pas `a la limite thermodynamique `a une dimen- sion : A la limite thermodymamique, nous avons vu qu’il n’y avait pas de condensation pour un gaz id´eal pi´eg´e. Ceci reste vrai dans le cas uniforme 1D, mˆeme en pr´esence d’inter- actions [196, 197, 198], et on peut le voir comme le r´esultat d’un principe g´en´eral qui interdit l’´etablissement d’un ordre `a longue port´ee dans les syst`emes de basse dimension1 [74]. Citons les exemples (classiques) suivants :

– Solide : l’ordre solide ne peut pas s’´etablir `a une dimension. Les fluctuations de position des atomes interdisent la localisation.

– Chaˆıne de spins : de la mˆeme mani`ere, les fluctuations thermiques et quantiques per- mettent de vaincre l’alignement des spins `a longue port´ee. L’ordre ferromagn´etique (ou anti-ferromagn´etique) est donc d´etruit ´egalement.

– Superfluides et superconducteurs : dans les superfluides (respectivement les supercon- ducteurs), l’ordre `a longue port´ee est caract´eris´e par un param`etre d’ordre complexe, la fonction d’onde du condensat (respectivement la fonction de corr´elation des paires de Cooper) dont la phase est une quantit´e bien d´efinie. Pour un syst`eme de basse dimen- sion, cette phase fluctue si bien que les corr´elations ne s’´etendent plus sur la totalit´e du syst`eme.

D’une mani`ere g´en´erale, ces fluctuations proviennent de la pr´esence d’une population impor- tante dans les ´etats de basse ´energie du syst`eme2. A trois dimensions, pour un gaz de Bose uni-

forme, la densit´e d’´etats ρ3D(E) varie comme V E2/(~cS)3 (V est le volume du syst`eme et cS

la vitesse du son). A basse ´energie, le facteur de Bose-Einstein se r´eduit `a NBE(E) ≈ kBT /E,

et le nombre de particules d’´energie comprise entre E et E + dE, ρ3D(E)NBE(E) ∝ E, tend

vers z´ero quand l’´energie des excitations tend vers z´ero : leur population est susceptible de saturer et de provoquer `a la condensation de Bose-Einstein. Au contraire, `a une dimension, la densit´e d’´etats reste constante `a basse ´energie ρ1D(E) ∼ L/~cS. A cause du facteur de

Bose-Einstein, la populationR ρ1D(E)NBE(E)dE diverge logarithmiquement `a la limite ther-

modynamique. L’hypoth`ese d’un spectre de phonons `a une dimension est donc incompatible avec l’existence d’un condensat3, et cela signifie que les ´etats de faible ´energie ne saturent

jamais et que l’on ne forme pas le condensat. Par contre, ces ´etats de basse ´energie (ou grande longueur d’onde), de population ´elev´ee, dictent la physique du syst`eme `a l’´echelle macroscopique.

1Dans ce m´emoire, on ne discute que le cas 1D. A deux dimensions, la situation est en g´en´eral diff´erente.

Pour le cas du gaz de Bose, on pourra se reporter `a la r´ef´erence [199] pour une introduction th´eorique et [200, 201] pour une r´ealisation exp´erimentale dans un gaz d’hydrog`ene adsorb´e sur un film d’h´elium.

2Pour le solide et le fluide, il s’agit des phonons, qui sont des ondes sonores quantifi´ees ; pour le ferroma-

gn´etique on parle de magnons, qui sont des ondes de spin quantifi´ees. Dans tous les cas, il s’agit d’excitations de grande longueur d’onde (faible ´energie) du param`etre d’ordre.

3Ce r´esultat a ´et´e obtenu par P. C. Hohenberg, N. Mermin et C. Wagner, et il est souvent mentionn´e

- L

L

x

n(x)

φ(x)

L

φ

n

0m

π

Fig. 5.2 – Quasi-condensat dans un pi`ege anisotrope. On a trac´e le profil de densit´e et de phase pour T = 5 Tφ, µ/h = 2 kHz et ωx/2π = 5 Hz, calcul´es `a partir des ´equations

(5.26,5.27), en repr´esentant les amplitudes ˆbj par des variables al´eatoires gaussiennes avec la

variance apropri´ee [42]. Le profil de densit´e est pratiquement identique `a celui d’un condensat, et on ne distingue pas les fluctuations de densit´e `a l’´echelle de la figure. Par contre, le profil de phase fluctue dans l’espace, et aussi d’une r´ealisation sur l’autre : on a trac´e deux r´ealisations diff´erentes pour les mˆemes param`etres (et indiqu´e le profil de phase plat, attendu pour un vrai condensat).

Fluctuations de phase pour un syst`eme de taille finie : Approche qualitative Nous avons discut´e jusqu’ici le comportement d’un syst`eme `a la limite thermodynamique, o`u la notion de transition de phase est bien d´efinie. Dans ce cas, le spectre des excitations est continu de 0 `a +∞. Dans le cas d’un syst`eme de taille finie L, le spectre d’excitation est born´e par l’´energie du premier ´etat excit´e, ~2/2M L2. A suffisamment basse temp´erature,

le facteur de Bose est donc inefficace puisqu’il n’y a aucun ´etat accessible `a peupler, et la saturation des ´etats excit´es (donc la condensation de Bose-Einstein) devient possible.

Pour rendre ce point plus quantitatif, nous allons obtenir simplement l’expression de la longueur de coh´erence de l’ensemble atomique 1D, en identifiant deux images physiques compl´ementaires. D’une part, comme nous l’avons d´ej`a indiqu´e, on peut d´ecrire un quasi- condensat comme un champ classique dont la phase fluctue, bien que son amplitude reste bien d´efinie. Ceci conduit `a l’image d´ej`a introduite de « domaines », `a l’int´erieur desquels la phase reste assez bien d´efinie. Par contre, les phases relatives de deux domaines disjoints sont d´ecorr´el´ees. Cette image est ´equivalente `a celle qui consid`ere le quasi-condensat comme un ensemble thermique 1D de quasi-particules, i.e. d’excitations ´el´ementaires du syst`eme de Bose en interactions. Nous rendrons cette affirmation plus rigoureuse plus loin, dans le cadre de la th´eorie de Bogoliubov, et nous contenterons ici d’arguments d’ordre de grandeur.

Revenons au point de vue densit´e-phase introduit au chapitre I, en introduisant la forme suivante de l’op´erateur champ 1D : ˆΨ(x) = √n1+ δˆn1 exp (i ˆφ), avec n1 le profil de densit´e

`

a l’´equilibre (suppos´e uniforme et ´egale `a n1 = N0/2L dans ce paragraphe), δˆn1 et ˆφ les

comparaison des ´echelles d’´energie est instructive. A l’´equilibre, on associe une ´energie d’in- teraction (totale) Eint ∼ U1Dn21L, et une ´energie cin´etique reli´ee `a la taille du syst`eme par

Ecin ∼ N0~2/2M L2. On supposera ´egalement que Ecin  Eint, c’est-`a-dire un syst`eme dans

le r´egime de Thomas-Fermi. Appelons Lφ la distance moyenne sur laquelle la phase varie de

2π le long de l’´echantillon4. Dans la suite, nous appellerons L

φ « la longueur de corr´elation

de la phase ». Des fluctuations de phase autour de l’´equilibre sur une ´echelle typique Lφ

coˆutent en moyenne une ´energie cin´etique

Eφ = Z dx n1~ 2h| ∂ xφ |ˆ 2i 2M ∼ n1L ~2 M L2 φ . (5.6)

D’apr`es l’autre image, celle de l’ensemble 1D, cette ´energie est fournie par les excitations de basse ´energie [87]. Comme ces derni`eres sont peupl´ees de mani`ere quasi-classique (Nk  1),

l’´energie cin´etique par mode est kBT /2 (´equipartition de l’´energie). L’´energie cin´etique totale

Eφest donc d’ordre kBT multipli´e par le nombre de modes qui contribuent significativement

aux fluctuations de la phase. Dans l’espace des impulsions 1D, ces modes occupent un volume 1/Lφ, et l’´ecart entre deux modes adjacents est ∼ 1/L `a cause de la taille finie du syst`eme.

On trouve donc approximativement L/Lφ ´etats pour une longueur de corr´elation de phase

Lφ. En ´egalant les deux expressions pour Eφ, nous trouvons [196]

Lφ= ~2n1/M kBT. (5.7)

Nous avons anticip´e sur la section 5.1.4 en utilisant le signe =, o`u nous utilisons la th´eorie hydrodynamique [202] pour le d´emontrer.

A partir de la d´efinition

Lφ= L

T , (5.8)

on peut introduire la temp´erature caract´eristique Tφqui d´elimite la fronti`ere entre condensat

coh´erent en phase et quasi-condensat [40, 41]. Pour T  Tφ, le profil de phase est pratique-

ment plat (Lφ  L). Par contre, si T  Tφ, il fluctue sauvagement `a l’´echelle du syst`eme

(Lφ  L), comme nous l’avons illustr´e sur la Figure 5.2. Pourtant, `a cause de l’´energie

de champ moyen, les fluctuations de densit´e sont r´eduites, mˆeme lorsque la phase fluctue [40, 196, 41]. On peut comprendre ce point en notant que l’´energie d’interaction associ´ee aux excitations ´el´ementaires qui provoquent les fluctuations de phase est

Eδn=

Z

dx U1Dhδˆn2i ∼ U1Dδn2L et Eδn = Eφ. (5.9)

L’´egalit´e est vraie, car l’hamiltonien des fluctuations est celui d’un oscillateur harmonique, avec les variables conjugu´ees ˆφ et δˆn (voir la section 1.4) pour les excitations de basse ´energie qui dominent les fluctuations de phase. On peut donc ´ecrire que

hδˆn n0 2 i ≈ Eδn Eint = Eφ Eint = ζ1 Lφ  1. (5.10)

Nous concluons donc que les fluctuations de densit´e sont supprim´ees, `a condition que la longueur de relaxation ζ1 =

p

~2/2M U1Dn1 soit petite devant la longueur de corr´elation de 4La distance L

la phase. Les in´egalit´es suivantes entre Lφ et les deux longueurs caract´eristiques λT et ζ1 r´esument la situation : Lφ λT pourvu que n1λT  1, Lφ ζ1 pourvu que U1Dn1  ~ 2 2M L2φ. (5.11)

La premi`ere condition indique qu’on est dans le r´egime de d´eg´en´erescence quantique `a une dimension, atteint pour une temp´erature Td ≈ ~2n21/2M . Si T  Tδn = ~2n1/2M ζ1, la

seconde condition est viol´ee, et on entre dans un r´egime o`u les fluctuations de densit´e sont importantes. Le rapport Tδn/Td ∼ 1/ζ1n1 est petit dans le r´egime du gaz dilu´e (qui corres-

pond `a n1ζ1  1, un point discut´e plus en d´etails dans la section 5.1.5), si bien qu’il existe

une plage de temp´erature comprise entre Td et Tδn dans laquelle les fluctuations de densit´e

sont notables, bien qu’on se trouve dans le r´egime de d´eg´erescence quantique. Ce domaine (dit « d´ecoh´erent » ) a ´et´e ´etudi´e dans [203].

L’existence d’un tel domaine est une particularit´e du cas homog`ene, dans lequel on travaille toujours `a « volume » fix´e (et donc `a densit´e constante si N est constant). Pour un gaz pi´eg´e, le volume va d´ependre au contraire de la temp´erature et/ou des interactions. La temp´erature de d´eg´enerescence sur l’axe s’obtient en prenant la densit´e appropri´ee pour un gaz thermique 1D, n1 ∼ Npmωx2/kBT . On obtient alors Td ∼ N ~ωx. Dans le r´egime de Thomas-Fermi, la

condition pour la suppression des fluctuations de densit´e s’obtient par contre en choisissant la densit´e n1 ∼ N0pMωx2/2U1Dn1, et on trouve Tδn ∼ (N0/N )Td ∼ Td. Pour un gaz pi´eg´e

1D, le domaine d´ecoh´erent est donc quasiment absent 5, et on pourra consid´erer que les fluctuations de densit´e sont toujours faibles dans le r´egime de d´eg´enerescence quantique.

De ce point de vue, il est int´eressant de comparer le quasi-condensat au gaz thermique 1D sans interactions, discut´e dans la premi`ere section et ´etudi´e en d´etails par Y. Castin et al. [204] avec les conclusions suivantes. La longueur de corr´elation de la phase est la mˆeme que pour le syst`eme en interaction `a la mˆeme temp´erature et avec la mˆeme densit´e6, soit

Lφ = ~2n1/kBT . Par contre, les fluctuations de densit´e sont importantes `a toutes les tem-

p´eatures, puisque ζ1 → ∞ dans la limite du gaz id´eal, et on a hδn2i ∼ n20. Nous concluons

donc que l’effet essentiel des interactions est de r´eduire les fluctuations de densit´e, qui de- viennent ´energ´etiquement coˆuteuses. Les fluctuations de phase restent importantes, car leur contribution se compare `a l’´energie cin´etique `a l’´equilibre Ecin, bien plus faible que l’´ener-

gie d’interaction Eint. Pour r´esumer, on peut ´ecrire la hi´erarchie suivante pour les ´echelles

d’´energie discut´ees dans ce paragraphe :

Eint  Ecin  Eφ, Eδn si T  Tφ (5.12)

Eint  Eφ, Eδn Ecin si T  Tφ. (5.13)

Ce calcul d’ordre de grandeur est confirm´e par une th´eorie plus rigoureuse, que nous pr´e- sentons plus loin. Une autre cons´equence de la pr´esence du champ moyen est la disparition

5En anticipant quelque peu sur la suite, il est important de noter que dans le cas d’un quasi-condensat 3D,

il s’agit de comparer ces temp´eratures `a la temp´erature de transition pour estimer si on peut les atteindre exp´erimentalement. On v´erifie sans peine que Td/TC0 ∼ (N λ)2/3  1 hors du r´egime 1D. En effet, la

condition N λ ∼ 1 ´equivaut `a kBTC0 ∼ ~ω⊥. Pour T < TC0, on aura donc toujours T  Tδn pour un

quasi-condensat 3D.

6La longueur de coh´erence globale se trouve ˆetre L

φ/2. Ce facteur 2 est significatif, car il refl`ete la

de la transition abrupte vers un condensat qu’on observe dans le cas du gaz id´eal, due `a la structure discr`ete des niveaux du pi`ege [192, 193]. Les interactions lissent cette struc- ture, et le quasi-condensat se transforme continˆument en un condensat quand on diminue la temp´erature [40, 41].