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Propriétés physiques et mesure

Dans le document Physique quantique (Page 131-137)

Postulats de la physique quantique

4.1 Vecteurs d’état et propriétés physiques

4.1.2 Propriétés physiques et mesure

Au chapitre 3 nous avons montré qu’à la propriété physique « composante du spin suivant un axenˆ» on pouvait faire correspondre un opérateur hermi-tienS·nˆagissant dans l’espace des états. Le postulatIIIgénéralise ce résultat à toute propriété physique.

Postulat III : propriétés physiques et opérateurs

À toute propriété physique A (énergie, position, impulsion, moment angulaire. . .) est associé un opérateur hermitien Aagissant dans l’espace des étatsH:Afixe la représentation mathématique deA.

Afin de simplifier dans un premier temps la discussion qui va suivre, exami-nons le cas d’une propriété physiqueAreprésentée par un opérateur hermitien A dont les valeurs propres an sont non dégénérées : A|n =an|n . On peut alors écrire la décomposition spectrale

A=

n

|n ann|

Si le sytème quantique est dans un état |ϕ ≡ |n , la valeur de l’opérateur A dans cet état est an : la propriété physique A prend la valeur numérique exactean. Si n’est pas état (ou vecteur) propre deA, on sait d’aprèsIIque la probabilitépn p(an)de trouver dans|n , et donc de mesurer la valeur an deA, estpn=|n|ϕ |2. Pour déterminer si le système quantique est dans l’état |n ,n= 1, . . . , N, on peut imaginer une généralisation de l’expérience de Stern-Gerlach avecNvoies de sortie au lieu des deux voies|+ et|− et un détecteur associé à chaque voie. Effectuons une série de tests sur des systèmes

4. Il est généralement admis que l’on ne peut pas superposer un état de spin 1/2|χ1/2et un état de spin 1|ϕ1: cette impossibilité est un exemple de règle de supersélection. Comme nous l’avons vu au chapitre 3 (et cette observation sera généralisée au chapitre 10), le vecteur d’état d’une particule de spin 1/2 est multiplié par1dans une rotation de2π, tandis que celui d’une particule de spin 1 est multiplié par +1. Dans une rotation dequi ramène le système à sa situation initiale, si le vecteur d’état est de la forme|ψ=λ|ϕ1+μ|χ1/2, ce vecteur d’état est transformé dans une rotation deen|ψ=λ|ϕ1μ|χ1/2=|ψ. Le fait que|χ1/2soit transformé en−|χ1/2 ne pose aucun problème, car les deux vecteurs ne diffèrent que par un facteur de phase. Un autre exemple est la règle de supersélection sur la masse, dans le cas de l’invariance galiléenne. Pour un point de vue critique sur les règles de supersélection, voir Weinberg [1995], chapitre 2.

quantiques qui se trouvent tous dans l’état . On dit que ces sytèmes ont été préparés dans l’état|ϕ : nous avons déjà rencontré la notion de préparation d’un système quantique dans le cas de la polarisation des photons, et nous y reviendrons ultérieurement. Si le nombre de testsN est très grand, on peut en déduire expérimentalement la valeur moyenne de la propriété physique A dans l’état|ϕ , notéeA ϕ toujours égal à l’une des valeurs propresan. Cette valeur moyenne est donnée en fonction de Aet par

Nous avons déjà rencontré un cas particulier de cette relation dans (3.38). Il n’est pas difficile de généraliser au cas des valeurs propres dégénérées. Si le système est dans un étatquelconque, nous pouvons décomposersur la base des vecteurs propres de Aen utilisant la relation de fermeture (2.30)

=

n,r

|n, r n, r|ϕ =

n,r

cnr|n, r

Pour trouver la probabilitép(an)d’observer la valeur proprean, il faut main-tenant sommer sur l’indice r à n fixé toutes les probabilités de trouver dans l’un quelconque des états |n, r

p(an) =

Pn est le projecteur sur le sous-espace de la valeur propre an(cf.(2.29)) Pn =

r

|n, r n, r| (4.5)

Comme ci-dessus, la répétition d’un grand nombre de mesures sur des sys-tèmes quantiques préparés dans des conditions identiques permet d’obtenir la valeur moyenneA ϕ deAdans l’état

ce qui généralise le résultat précédent. Les opérateurs représentant des pro-priétés physiques sont souvent appelés « observables » dans la littérature. Nous éviterons cette terminologie qui n’a pas de véritable intérêt5.

L’opérateur hermitien le plus simple est le projecteur sur un vecteur deH, et faire passer un testà un système quantique est équivalent à mesurer le projecteurPχ =|χ χ| : Pχ prend la valeur un si le sytème passe le test et zéro s’il échoue. Compte tenu de la décomposition spectrale d’un opérateur hermitien comme somme de projecteurs, on voit que les notions de test et de mesure d’une propriété physique sont étroitement liées. On mettra plutôt l’accent sur l’aspect « mesure » si l’on est intéressé par la valeur propre6 de A, et plutôt sur l’aspect « test » si l’on est intéressé par la probabilité de trouver le système dans un état propre de A. Illustrons-le sur l’expérience de Stern-Gerlach du § 3.2.2. Dans l’interpétation « mesure du spin », l’appa-reil de Stern-Gerlach mesure la composante z du spin en déviant les atomes d’argent vers le haut ou vers le bas, et la détection de l’atome sur un écran à la sortie de l’appareil permet de distinguer entre les valeurs+/2et−/2de la propriété physiqueSz, composante du spin suivant l’axe Oz. On peut, de façon équivalente, dire que l’on fait passer aux atomes les tests|+ et|− . La probabilité de déviation vers le haut (resp. bas) est|+|ϕ |2 (resp.|−|ϕ |2).

Cependant les mesures, ou les tests, décrits au § 3.2.2 présentent un in-convénient : la mesure n’est achevée que lorsque les atomes sont absorbés sur l’écran et ils ne sont plus disponibles pour des expériences ultérieures. Dans une mesure idéale (ou test idéal), on suppose que le système physique n’est pas détruit par la mesure7, et de plus que, si avant la mesure deAle vecteur d’état était =

ncn|n , le systèmeaprès une mesure donnant le résultat an doit être dans l’étatn . On pourrait imaginer une mesure idéale8 (tout à fait théorique !) du spin grâce à un filtre de Stern-Gerlach modifié s’inspi-rant du dispositif décrit au § 1.4.4. Prenant comme base de départ le filtre de la figure 3.9, on illumine l’atome entrant dans le filtre par un faisceau laser convenablement accordé qui induit une transition dans un niveau excité de l’atome. Lorsqu’elles ont leur séparation maximale à l’intérieur du filtre, les deux trajectoires passent dans deux cavités résonantes distinctes où l’atome

5. Cette terminologie remonte à l’article fondateur de Heisenberg, dont est extraite la citation suivante :« Cet article a pour objet d’établir que la théorie quantique est fondée exclusivement sur des relations entre quantités qui sont en principe observables ». Se res-treindre à une telle approche est une vision étroite de la physique, que Heisenberg lui-même n’a pas respectée dans sa pratique !

6. On peut donner une formulation « mesure » au test de polarisation d’un photon, par exemple dans la base{|x,|y}, en introduisant la propriété physiqueAx représentée par l’opérateur

Ax=|x x| − |y y|

qui prend la valeur +1 si le photon est polarisé suivantOxet1s’il est polarisé suivant Oy.

7. Si l’on peut répéter plusieurs fois une même mesure idéale, on a alors une « mesure quantique sans démolition » ou mesure QND (Quantum Non Demolition). Voir par exemple Caveset al.[1980] ou Braginskyet al.[1980].

8. Une autre expérience théorique a été proposée par Scullyet al.[1989].

laser N

S

S

N

N

S z

|+

|−

C1

C2

Fig. 4.1 –Mesure idéale du spin.

revient dans son état fondamental en émettant un photon avec une probabi-lité voisine de 100 % (figure 4.1). Ce photon est détecté dans l’une des deux cavités, et il est ainsi possible d’étiqueter la trajectoire à l’intérieur du filtre, sans perturber en quoi que ce soit l’état de spin. Cette mesure entraîne une profonde modification dans la description de l’état de spin. Si par exemple l’état du spin à l’entrée du filtre est l’état propre |+,x ˆ de Sx, en l’absence de mesure, les deux trajectoires conservent la propriété de cohérence. Elles peuvent être recombinées à la sortie du filtre pour reconstruire l’état |+,x ˆ : le filtre contient une superpositioncohérented’états propres deSz,|+ et|− , avec une amplitude 1/

2

|+,x ˆ = 1

2

|+ +|−

Au contraire, lorsqu’une mesure est effectuée, le spin est projeté sur l’un des états|+ ou|− avec une probabilité de 50 %, et il est impossible de revenir en arrière et de reconstruire l’état |+,x . Si l’on n’observe pas le résultat deˆ la mesure, on peut interpréter celle-ci comme transformant la superposition cohérente|+,xˆ en un ensemble statistique classiquede 50 % de spins up et 50 % de spins down.

Si la mesure deSz a donné le résultat+/2et si on répète cette mesure, on constate que le résultat est toujours +/2 : immédiatement après une mesure deSz qui a donné le résultat +/2, le spin est dans l’état|+ . Cette observation pose la question de deux mesures idéales consécutives. L’analyse de cette situation requiert un formalisme qui sera établi au chapitre 6, et elle sera effectuée au § 6.4.5. Le résultat de cette analyse est le suivant : tout se passe comme si à l’issue d’une première mesure, lorsqu’un système initialement dans l’état a passé avec succès le test |χ , le système était projeté après

le test dans l’état

|ϕ → Pχ

||Pχ|ϕ ||

où le dénominateur sert à normaliser l’état. Ce résultat est présenté dans la plupart des manuels comme un postulat supplémentaire de la mécanique quantique, le « postulat de réduction du paquet d’ondes » (RPO), énoncé sous la forme

Postulat RPO. Si le système était initialement dans l’état |ϕ , et si le résultat de la mesure de A est an, alors immédiatement après la mesure le système se trouve dans l’état projeté sur le sous-espace de la valeur proprean

|ϕ → |ψ = Pn

(ϕ|Pn)1/2 (4.7) Le vecteur dans (4.7) est bien normalisé à l’unité car

||Pn|ϕ ||2=ϕ|PnPn =ϕ|Pn

compte tenu des propriétés des projecteurs. L’énoncé de ce pseudo-postulat appelle quelques remarques. Il ne faut surtout pas imaginer que la transfor-mation (4.7) correspond à un processus physique réel. Elle n’a de sens que si l’on s’intéresse à une évolution effective, qui fait abstraction de l’appareil de mesure pour se focaliser uniquement sur le système. En fait, c’est une simple commodité d’écriture dans l’espace de Hilbert des états du système, qui isole artificiellement le système de l’appareil de mesure et de son environnement.

De plus (cf.§ 6.4.5), elle n’est valable que pour une mesure idéale9.

Nous avons donné ci-dessus un exemple de mesure idéale pour le spin d’un atome d’argent (figure 4.1). À la sortie du filtre, on sait dans quel état de spin se trouve l’atome qui est maintenant disponible pour des tests ultérieurs.

Une répétition de la mesure de Sz redonnera+/2 pour les atomes qui ont émis un photon dansC1 et−/2pour ceux qui ont émis un photon dansC2. Il faut remarquer que la mesure idéale se présente rarement en pratique. En général la détection détruit le système observé : un exemple déjà mentionné de mesure destructrice10est la détection d’un photon par un photomultiplicateur Dx ou Dy dans la figure 3.2. Un autre exemple de mesure non idéale est la détermination de l’impulsion d’une particule par collision élastique avec une

9. Il aurait peut-être été préférable de passer purement et simplement sous silence ce

« postulat RPO ». Nous l’avons énoncé afin que le lecteur puisse faire le lien avec les ex-posés traditionnels. En fait, ce postulat est indissociable du statut ontologique du vecteur d’état. Par exemple, dans l’interprétation statistique de Ballentine [1998], chapitre 9, le formalisme de la mécanique quantique ne s’applique qu’à des ensembles de systèmes pré-parés de façon identique, et non à des systèmes individuels, contrairement à ce que nous avons admis (voir la note 2). Il est clair que ce postulat n’a simplement aucun sens dans l’interpétation statistique. Pour une analyse critique de la « réduction du paquet d’ondes », voir Ballentine [1990] ou Cohen-Tannoudji [1990].

10. On sait maintenant effectuer des mesures non destructrices sur un photon : voir Noguesal.[1999].

seconde particule d’impulsion connue, en utilisant la conservation de l’énergie-impulsion. Après la collision, la première particule n’est pas détruite, mais elle ne se trouve plus dans l’état d’impulsion que l’on a mesurée. Le concept de mesure idéale est utile pour la discussion de la mesure en physique quantique, mais en pratique la mesure idéale est l’exception, et non la règle !

Lorsque l’on cherche à déterminer complètement le vecteur d’état d’un système physique, il peut arriver que la mesure idéale d’une propriété physique A donne le résultat a, la valeur propre a de A étant non dégénérée. Immé-diatement après la mesure, le vecteur d’état est alors le vecteur propre |a deA. Si la valeur propre est dégénérée, il faut trouver une seconde propriété physiqueBcompatible avecA:[A, B] = 0. Dans ce cas il est possible que la donnée des valeurs propresaet bspécifie entièrement le vecteur d’état. Si ce n’est pas encore le cas, il faudra trouver une troisième propriété physique C compatible avecAetBetc. Lorsque la donnée des valeurs propres{a, b, c . . .}

des opérateurs compatibles{A, B, C . . .}spécifie entièrement le vecteur d’état on dira, en suivant la terminologie introduite au § 2.3.3, que ces opérateurs (ou les propriétés physiques qu’ils représentent) forment unsystème complet d’opérateurs (ou de propriétés physiques) compatibles. La mesure simultanée d’un système complet de propriétés physiques compatibles{A,B,C. . .} consti-tue un test maximaldu vecteur d’état. Si l’espace des états est de dimension N, un test maximal doit avoirN résultats différents possibles. Lorsque l’on a réalisé un test maximal sur un système quantique, on connaît exactement son vecteur d’état, et on a donc préparé le système quantique dans un état déterminé : on a effectué l’étape de préparation du système. Cependant, la préparation n’implique pas nécessairement une mesure : par exemple le filtre de gauche de la figure 3.10 prépare le spin 1/2 dans l’état|+ en éliminant tous les spins qui se trouvent dans |− , sans qu’une mesure du spin ne soit effectuée.

Pour fixer les idées, supposons que la donnée de deux valeurs propres ar

et bs de deux opérateurs compatiblesAet B spécifie entièrement un vecteur

|r, s deH

A|r, s =ar|r, s B|r, s =bs|r, s

La mesure simultanée des propriétés physiquesAetBest alors un test maxi-mal et lesN résultats possibles sont étiquetés par le couple(r, s). Un exemple d’appareil effectuant un test maximal est l’appareil de Stern-Gerlach de la figure 3.8 : cet appareil sépare les états de spin |+ et |− , qui donnent deux taches différentes sur l’écran, l’espace des états étant de dimension 2 :N= 2.

La mesure de A et B permet de préparer le système dans l’état |r, s , en sélectionnant les systèmes qui ont donné le résultat (ar, bs). Si les systèmes quantiques sélectionnés dans l’état|r, s sont à nouveau soumis à une mesure simultanée de Aet B, le résultat de cette nouvelle mesure sera (ar, bs) avec une probabilité de 100 %. Lorsqu’un système physique est décrit par un vec-teur d’état, il doit exister, au moins en principe, un test maximal dont un des résultats possibles a une probabilité de 100 % : pour un spin 1/2 dans l’état

|+ , un tel test maximal est celui effectué avec un appareil de Stern-Gerlach dont le champ magnétique est parallèle à Oz.

Il est aussi instructif d’examiner le cas d’une propriété physiqueA compa-tible avec Bet C :[A, B] = [A, C] = 0, alors queB et Csont incompatibles : [B, C]= 0. Dans ce cas le résultat de la mesure deA dépend de ce qu’on la mesure simultanément àB ou àC. Cette propriété est appeléecontextualité, et un exemple en sera donné au § 6.3.3.

Le lecteur se sera rendu compte que la mesure en physique quantique est fondamentalement différente de la mesure en physique classique. En physique classique, la mesure révèle une propriété préexistante du système physique testé. Si une voiture roule à 180 km/h sur l’autoroute, la mesure de sa vi-tesse par un radar détermine une propriété préexistante à la mesure, ce qui donne au gendarme la légitimité pour verbaliser. Au contraire la mesure de la composante Sx d’un spin 1/2 dans l’état |+ ne révèle pas une valeur de Sx préexistante. Si l’on reprend l’analogie de la voiture, on pourrait imaginer que celle-ci soit dans un état de superposition linéaire de deux vitesses11, par exemple

|v =

!1

3|120 km/h +

!2

3|180 km/h

Le gendarme mesurera une vitesse de 120 km/h avec une probabilité de 1/3 et une vitesse de 180 km/h avec une probabilité de 2/3, mais il serait erroné de penser que la voiture roulait à l’une des deux vitesses avant la mesure. La dispersion des résultats de la mesure d’une propriété physique quantique est parfois attribuée la « perturbation incontrôlable due à la mesure », mais la valeur de cette propriété ne préexiste pas à la mesure, et ce qui n’existe pas ne peut pas être perturbé.

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