1 GENERALITES SUR LES BENZODIAZEPINES 46
1.4 Propriétés pharmacocinétiques 54
L’utilisation des BZD en clinique impose une bonne connaissance de leurs propriétés pharmacocinétiques qui conditionnent le plus souvent le choix d’une molécule. En effet ces molécules possèdent des différences concernant leurs propriétés physico-‐chimiques ; leur solubilité lipidique influe sur leur taux d’absorption et de diffusion dans les tissus et leur puissance, à des doses équivalentes, peut varier jusqu’à 20 fois [70]. Chaque BZD possède un profil pharmacocinétique unique qui doit être pris en compte dans le choix de leur utilisation pour un patient et un état pathologique considéré, afin d’utiliser ces médicaments efficacement et en toute sécurité.
L’évolution du médicament dans l’organisme est la résultante globale des phénomènes d’absorption/résorption, distribution, métabolisme et élimination [64, 70, 87]. Mais il faut également prendre en considération la physiopathologie et l’âge du patient à traiter. En effet la pharmacocinétique chez les patients plus âgés est différente de celle de personnes plus jeunes, principalement en raison des changements physiologiques dus à l’âge et de la survenue de maladies concomitantes.
1.4.1 Absorption/Résorption
Par voie orale, l’absorption des BZD a lieu au niveau de la partie haute du tube digestif. Elle est en général très rapide et complète [64]. Leur biodisponibilité varie de 70 à 90% [65]. Chez l’adulte, les concentrations maximales plasmatiques sont obtenues en quelques minutes à quelques heures après l’administration. La vitesse de résorption des BZD administrées par voie orale est donc un élément essentiel dans le choix d’une molécule, elle conditionne sa rapidité d’action.
La résorption est ralentie par voie intramusculaire (IM) car le produit précipite et se lie aux protéines musculaires. Par voie rectale, la résorption est bonne. Cette voie d’administration est utilisée lorsque l’administration intraveineuse ou per os est impossible. C’est la voie intraveineuse (IV) qui reste la plus favorable au passage rapide et massif du produit dans le SNC [64].
1.4.2 Distribution
La distribution des BZD dans les tissus en général et dans le cerveau en particulier est très rapide. Ce sont des molécules qui se lient très fortement aux protéines plasmatiques et essentiellement à l’albumine. Elles traversent la barrière hémato-‐encéphalique (BHE) rapidement grâce à leur caractère lipophile. C’est le taux de diffusion à travers cette barrière, variant d’une BZD à une autre, qui détermine la rapidité et l’intensité des effets mais également la survenue d’effets indésirables [88].
1.4.3 Métabolisme
Les BZD vont subir dans l’organisme des modifications appelées métabolisations ou biotransformations, directement liées à la structure de la molécule, et destinées à les rendre plus facilement éliminables. Leur métabolisme est essentiellement hépatique. Les principales transformations résultent de réactions de déméthylation et/ou d’hydroxylation (oxydation microsomiale) au niveau du foie consistant principalement en des réactions de [71] :
- N-‐désalkylation de l’azote en position 1 ; - hydroxylation du carbone en position 3 ;
- réduction de groupements nitrés en groupements aminés suivie de leur acétylation ;
Ces voies de transformations peuvent donner naissance à des dérivés pharmacologiquement actifs (principalement en raison de la résistance de substituants en position 2 et 7 aux différentes voies de dégradation) [70]. La plupart de ces métabolites subissent ensuite des réactions de glucuroconjugaison aboutissant à des dérivés inactifs, éliminés dans les urines.
L’intensité et le délai d’action d’une BZD dépendent donc du fonctionnement hépatique et de la vitesse à laquelle se forment les métabolites actifs ou inactifs [64].
1.4.4 Elimination
Les BZD sont éliminées majoritairement par le rein, sous forme de métabolites hydroxylés et conjugués inactifs [64]. Seules des traces de BZD apparaissent inchangées dans l’urine. Une partie des métabolites est également éliminée par voie biliaire puisque qu’elles peuvent être retrouvées dans les selles.
La demi-‐vie d’élimination de chaque BZD est très utile pour les différencier et les classer selon leur durée d’action. Elle doit être connue car elle conditionne [64] :
- les risques d’accumulation : plus la demi-‐vie d’élimination est longue, plus le risque d’accumulation est grand ;
- le rythme des prises : chaque prise devrait être répétée toutes les demi-‐vies d’élimination ;
- le délai pour l’obtention des concentrations plasmatiques à l’équilibre : ce délai correspond à 5 fois la demi-‐vie d’élimination de la substance mère et du métabolite actif.
Ces différences pharmacocinétiques influent sur l’effet de chaque molécule et aboutissent à des indications différentes. Ainsi des paramètres tels que la puissance d’action, la demi-‐vie, la métabolisation et la liposolubilité vont orienter la molécule vers une indication précise en tant qu’hypnotique, anxiolytique, myorelaxant ou antiépileptique.
1.5 Indications
Il existe une vingtaine de BZD et apparentées actuellement commercialisées en France. Même si elles partagent la même activité pharmacodynamique, elles ne possèdent pas toutes les mêmes indications et relèvent donc de plusieurs classes pharmaco-‐thérapeutiques [89, 90].
Ainsi, les BZD sont indiquées, selon leur propriété principale, dans le traitement de l’anxiété, des troubles sévères du sommeil, de l’épilepsie ou des contractures musculaires douloureuses (seul le tétrazépam était prescrit dans cette indication mais il a été retiré du marché au niveau européen en juillet 2013 suite à un signal de pharmacovigilance donné par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ANSM) [89].
1.5.1 Troubles anxieux
Les BZD sont classiquement utilisées dans le traitement de l’anxiété et des troubles psychosomatiques qui l’accompagnent et notamment dans :
- L’anxiété généralisée,
- L’anxiété réactionnelle, associée à une affection somatique sévère ou douloureuse, - Les crises d’angoisse,
- Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), trouble panique ou phobiques, - Les états de stress post-‐traumatiques,
- Le traitement d’appoint de l’anxiété au cours des névroses.
La thérapeutique actuelle des troubles anxieux passe le plus souvent par l’utilisation de médicaments agissant au niveau des systèmes noradrénergiques et sérotoninergiques. L’administration de BZD en début de traitement reste néanmoins une pratique courante qui permet de bénéficier d’une action anxiolytique rapide, mais cet avantage disparaît rapidement et l’intérêt des prescriptions prolongées est fortement discuté [64].
1.5.2 Epilepsie
Les BZD restent très utilisées dans l’épilepsie puisqu’elles ont un effet immédiat et important sur presque tous les types de crises [7]. Depuis l’apparition d’autres molécules, elles sont délaissées dans le traitement chronique de l’épilepsie mais restent des molécules de choix dans le traitement d’urgence, en particulier l’EME, grâce à leur rapidité d’action.
1.5.3 Insomnies
Les BZD ont supplanté l’usage des barbituriques dans le traitement des troubles du sommeil principalement grâce à leur sécurité d’emploi. L’action sédative est souvent un effet secondaire des BZD utilisées comme anxiolytique. L’action hypnotique découle de l’anxiolyse et de l’effet sédatif [64].
Elles sont classées en fonction de leur demi-‐vie et vont correspondre à différents types d’insomnie :
- les BZD à demi-‐vie courte et ayant un pic de concentration précoce seront
spécifiquement données dans les cas d’insomnies d’endormissement, leur action et élimination rapides minimisent le risque de somnolence diurne,
- les BZD à demi-‐vie intermédiaire sont utilisées dans les cas de réveil précoce avec un bon
endormissement,
- enfin les BZD à demi-‐vie longue seront prescrites dans les insomnies du maintien de l’état de sommeil.
Le traitement doit être aussi bref que possible : de quelques jours à deux semaines, y compris la période de réduction de la dose [64].
1.5.4 Contractures musculaires
Les BZD possèdent également une activité myorelaxante : leur action consiste en une diminution des réflexes spinaux au niveau du cervelet, et on observe alors une diminution du tonus musculaire et de la coordination [91].
Seul le tétrazépam, commercialisé depuis 1969, était utilisé en rhumatologie dans le traitement d’appoint des contractures musculaires douloureuses, sciatiques, lombalgies et contractures traumatiques [92]. Il a été retiré du marché européen en juillet 2013 après la mise en évidence d’une fréquence élevée d’effets indésirables cutanés parmi lesquels des effets rares mais graves, voire mortels tels que des syndromes de Stevens-‐Johnson, des syndromes de Lyell et des syndromes d’hypersensibilité médicamenteuse (Drug Reaction
with Eosinophilia and Systemic Symptoms ou DRESS). [93]
Dans les cas de tétanos, des doses élevées de Diazépam utilisé par voie injectable sont préconisées [91].
1.5.5 Autres
Le midazolam et le diazépam injectables permettent l’induction ou la potentialisation d’une anesthésie générale grâce à leurs effets anxiolytiques et amnésiants [64]. Certaines autres BZD sont également données dans la prévention et le traitement du delirium tremens et des autres manifestations du sevrage alcoolique [92].
Tableau 5 : BZD et apparentées commercialisées en France en 2012 [89].
* La classification utilisée est la classification ATC (anatomique, thérapeutique, chimique) établie par l’OMS, clobazam et diazépam y sont classés en tant qu’anxiolytiques, mais sont également utilisés comme antiépileptiques ; le tétrazépam n’est plus commercialisé en France depuis juillet 2013.
1.6 Consommation des BZD
1.6.1 Consommation en France et dans le monde
Le rapport de l’ANSM sur l’état des lieux de la consommation des BZD en France, montre que celle-‐ci a globalement diminué depuis l’année 2000. Toutefois, depuis 2008 cette tendance à la baisse paraît interrompue et l’on observe en 2010, comme en 2012, une reprise de la consommation, (Figure 13) et ceci malgré la baisse importante de la consommation de tétrazépam et de clonazépam qui ont toutes deux fait l’objet de mesures particulières. La première a subi un déremboursement en 2011 suite à la réévaluation de son rapport bénéfice/risque (et a été retirée du marché européen en Juillet 2013) ; la deuxième fait l’objet de mesures réglementaires encadrant son accès en raison principalement de sa prescription en dehors des indications de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) et de son usage détourné en particulier par les toxicomanes [89].
Figure 13 : Consommation des BZD et apparentées de 2000 à 2012 (DDJ/1000hab/j) – DDJ= doses
définies journalières [89].
Par contre si l’on raisonne en nombre de consommateurs, celui-‐ci est stable depuis 2007. En 2012, 11,5 millions de français ont consommé au moins une fois une BZD et 131 millions de boîtes ont été vendues sur le territoire national, soit 4% de la consommation totale de médicaments. Les consommateurs de BZD sont âgés en moyenne de 56 ans et 64,2 % sont des femmes [93].
Ainsi ce rapport confirme la consommation élevée de BZD par la population française avec un Français sur 5 qui consomme chaque année une BZD ou une molécule apparentée, prescrite le plus souvent par un médecin généraliste. Ce rapport indique également la trop longue durée d’exposition d’un nombre élevé de patients avec la moitié des sujets traités qui le sont plus de 2 ans avec ou sans interruption de traitement [89, 93].
Au niveau européen et mondial, peu de données sont aisément accessibles et lorsqu’elles le sont, ces données peuvent différer d’une source à l’autre et conduire à une sous-‐estimation de la consommation réelle. En Europe, les BZD sont de 2,5 à 3 fois plus consommées qu’aux Etats-‐Unis. Leur consommation a considérablement augmenté au cours des 20 dernières années en Europe alors qu’elle est restée stable aux Etats-‐Unis. La France se place, de peu, en tête des pays européens consommateurs de BZD, toutes indications confondues [89].
1.6.2 Consommation selon les indications
La consommation des vingt-‐deux BZD actuellement commercialisées en France se répartit de façon inégale au sein des quatre classes pharmaco-‐thérapeutiques où elles sont principalement utilisées (Figure 14). Les anxiolytiques représentaient en 2012 plus de la moitié des boîtes de BZD vendues (53,2%), suivis par les hypnotiques (40,5%).Les parts respectives des myorelaxants et des antiépileptiques sont faibles mais dans les deux cas, une seule BZD est disponible dans chacune de ces deux classes.
Figure 14 : Répartition des indications des BZD en France en 2012 [93].
En effet, même si plusieurs BZD sont utilisées dans l’épilepsie, seule la consommation du clonazépam est comptabilisée dans celle des antiépileptiques, celles du clobazam et du diazépam est comptabilisée dans les anxiolytiques et le midazolam parmi les hypnotiques car il n’était pas encore commercialisé dans cette indication. La consommation réelle des médicaments antiépileptiques est donc faussée dans ce rapport.