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B. PREMIÈRE ÉTUDE: IMPLICATION DE LA PROTÉINE

I. Les canaux potassiques Kir

2. Propriétés électrophysiologiques et régulations des canaux Kir

a. Propriétés et régulations générales des canaux Kir

L'"activité" de transport ionique d'un canal dépend à la fois de son environnement (gradient électrochimique transmembranaire de l'ion transporté, différences de potentiel transmembranaire et transépithéliale) et de ses propriétés intrinsèques qui lui sont conférées par sa structure primaire et tri-dimensionnelle. Dans son ensemble, cette activité ou "conductance

globale" (G) dépend de trois paramètres, selon la formule G = g x Po x N. La probabilité d'ouverture du canal est appelée Po, le nombre de canaux actifs à la membrane est appelé N et

Les trois paramètres énoncés précédemment varient en fonction de l'expression membranaire de la protéine concernée et de ses propriétés électrophysiologiques. L’ensemble dépend de paramètres physiques, chimiques ou d’associations de la protéine avec d'autres molécules (on parle de "gating"). Dans les faits, l'activité de tous les canaux Kir est régulée par 4 grands paramètres.

Premièrement, toutes les propriétés d'un canal Kir dépendent de son identité, c'est à dire des sous-unités qui le composent. Or, il est généralement vrai que les sous-unités Kir d'une même sous-famille sont capables de s'associer en hétérotétramère (Preisig-Muller et al., 2002; Hibino et al., 2010). De fait, il a été montré que l'association des sous-unités Kir2.1 et Kir2.2, formant un canal appelé Kir2.1/Kir2.2, n'a pas les mêmes propriétés qu'un canal homotétramèrique Kir2.1. Deuxièmement, l'activité des canaux Kir nécessite la présence constante du phospholipide membranaire phosphatidyl-inositol 4,5, bisphosphate (PIP2), qui se lie à la partie C-terminale des sous-unités Kir (Hilgemann & Ball, 1996; Huang et al., 1998; Hibino et al., 2010; Whorton & MacKinnon, 2013). Troisièmement, la conductance globale des canaux Kir (excepté Kir7.1) est proportionnelle à la concentration extracellulaire en ions K+. Lorsque cette concentration augmente, les canaux Kir présentent une activité semblable à celle de canaux possédant plusieurs pores. Ce phénomène serait lié à la présence de plusieurs sites de fixation des ions K+ dans leur filtre de sélectivité (Makhina et al., 1994; Perier et al., 1994; Lopatin & Nichols, 1996; Doyle et al., 1998; Krapivinsky et al., 1998; Hibino et al., 2010). Quatrièmement, la sortie d'ions K+ par les canaux Kir est réduite par les ions Mg2+ et les polyamines intracellulaires. Lors de la sortie d'ions K+ par le canal et la dépolarisation cellulaire (lorsque le potentiel membranaire Vm est supérieur au potentiel d'équilibre de l'ion K+ "EK")

des ions Mg2+ entrent rapidement dans le pore puis y sont rejoints par des polyamines. L'inverse se produit durant l'entrée d'ions K+ par le canal, lors de l'hyperpolarisation ou la repolarisation cellulaire (Lopatin et al., 1994; Lopatin et al., 1995; Hibino et al., 2010; Hsieh et al., 2016).

L'ensemble donne aux canaux Kir une conductance sortante faible mais la possibilité d'avoir une conductance entrante élevée. Cette propriété qui leur est caractéristique est à l'origine de leur nom de "canaux potassiques à rectification entrante" ou "K+ inwardly rectifiying" (Kir) [Voir Figure 12]. Par ailleurs, les canaux Kir sont inhibés par la présence de

Figure 12: Schéma de l'allure des courants rectifiants entrants des canaux Kir en fonction du potentiel membranaire et leurs régulateurs principaux (d'après Hibino et al., 2010)

b. Règles particulières d'assemblage en tétramère des sous-unités Kir

In vitro, les sous-unités d'une sous-famille Kir peuvent former des hétérotétramères

fonctionnels. Toutefois, Kir2.5 dispose d'un acide aminé inhabituel dans son filtre de sélectivité, qui le rend imperméable aux ions K+. En conséquence, son homotétramère et l'hétérotétramère Kir2.5/Kir2.2 ne sont pas fonctionnels (Namba et al., 1996; Ryan et al., 2010). De la même façon, Kir5.1 n'est pas capable de former seule un canal Kir fonctionnel. Elle pourrait y parvenir en s'associant à une protéine appelée PSD-95 (Pessia et al., 1996; Pearson et al., 1999; Tanemoto et al., 2002). Bien que des doutes persistent, les sous-unités Kir3.1 et Kir6.1 ne seraient fonctionnelles qu'en hétérotétramères avec les autres sous-unités de leur sous-familles respectives (Krapivinsky et al., 1995; Seharaseyon et al., 2000; Pountney et al., 2001; Hibino

et al., 2010). Les hétérotétramères de Kir6.x ne sont, de plus, fonctionnels que couplés à 4

protéines régulatrices (ou sous-unités) appelées SUR (Inagaki et al., 1995; Inagaki et al., 1996). Peu après son clonage, Kir4.2 semblait également n'être pas ou peu actif en homotétramère ou en hétérotétramère avec Kir4.1 (Shuck et al., 1997; Derst et al., 1998), mais les études ultérieures ont permis de montrer que ses courants étaient faibles mais significatifs en homotétramère et conséquents en hétérotétramère Kir4.2/Kir5.1 (Pearson et al., 1999; Pessia et

al., 2001; Lam et al., 2006; Edvinsson et al., 2011). Ce dernier fait souligne que certains canaux

Kir sont formés par association de sous-unités Kir de sous-familles différentes. Ainsi, Kir5.1 entre dans la composition d'hétérotétramères fonctionnels avec Kir4.1 ou Kir4.2 (Pearson et al., 1999; Tucker et al., 2000; Pessia et al., 2001; Lam et al., 2006) et s'assemble in vitro à Kir2.1 (Derst et al., 2001b). Des canaux formés in vitro par concaténation de Kir1.1 avec Kir4.1, Kir4.2 ou Kir2.1 seraient également fonctionnels (Fakler et al., 1996; Derst et al., 1998).

c. Régulation de l'expression membranaire des canaux Kir

L'expression membranaire d'une protéine résulte à la fois de son adressage selon l'axe réticulum endoplasmique (RE)/appareil de Golgi/vésicules de sécrétion et de son endocytose vers la voie lysosomale. Ces 2 étapes sont pré-déterminées par l'existence sur la protéine de signaux peptidiques d'adressage et régulées par des modifications post-traductionnelles (clivage de peptide signal, N-glycosylation, phosphorylation, ubiquitinylation). Les déterminants de l'expression membranaire des canaux Kir ont été très étudiés durant les années 2000.

Les sous-unités Kir possèdent généralement un signal peptidique de sortie du RE vers l'appareil de Golgi, localisé dans l'extrémité C-terminale (Kir2.x, Kir1.1) ou N-terminale de la protéine (Kir3.x, sauf Kir3.3) et parfois d'un signal de sortie de l'appareil de Golgi à l'extrémité N-terminale (Kir2.x) (Ma et al., 2001; Stockklausner et al., 2001; Stockklausner & Klocker, 2003; Hofherr et al., 2005). Les sous-unités Kir2.x et Kir3.x possèdent aussi un signal C- terminal d'adressage vers la membrane plasmique depuis les endosomes précoces (Ma et al., 2002). À l'inverse, un signal de rétention dans le RE est situé à l'extrémité C-terminale des sous- unités Kir6.x, SUR, Kir4.2, Kir5.1 et Kir1.1 et à l'extrémité N-terminale de Kir7.1 (Tucker et

al., 1997; Zerangue et al., 1999; Tanemoto et al., 2002; O'Connell et al., 2005; Pearson et al.,

2006; Kumar & Pattnaik, 2014). Certaines sous-unités ont enfin des motifs d'internalisation par endocytose (Kir1.1, Kir4.2, Kir7.1 et Kir3.2) ou d'adressage aux lysosomes (Kir3.3) (Ma et al., 2002; Pearson et al., 2006; Kumar & Pattnaik, 2014; Welling, 2016).

L'impact de ces signaux d'adressage varie d'un canal Kir à l'autre (Ma et al., 2002; Tanemoto et al., 2002; Hofherr et al., 2005; Hibino et al., 2010). Ainsi l'assemblage en octamère des sous-unités Kir6.x et SUR masque leurs 8 peptides de rétention dans le RE et permet leur adressage (Tucker et al., 1997; Zerangue et al., 1999). A l'inverse, les sous-unités Kir3.1 et Kir3.3 étant, seules, exprimées dans le RE, une fois co-exprimées avec Kir3.2 ou Kir3.4 elles forment des hétérotétramères moins membranaires et moins actifs que les homotétramères Kir3.2 ou Kir3.4 (Kofuji et al., 1995; Ma et al., 2002). De manière intéressante, les courants modestes générés par l'homotétramère Kir4.2 sont attribués à sa faible insertion membranaire, qui serait indépendante de la présence de ses signaux d'adressage (Derst et al., 1998; Pearson

et al., 2006). Une fois associée avec Kir5.1 dont l'homotétramère est pourtant retenu dans le

RE, Kir4.2 forme un hétérotétramère plus actif (voir Section Introduction B.I.2.d) (Pessia et al., 2001; Tanemoto et al., 2002; Lam et al., 2006; Edvinsson et al., 2011). Tous ces éléments tendent à montrer que la tétramérisation des sous-unités Kir a lieu dans le RE.

Généralement, le processus d'adressage des protéines membranaires comprend une étape post-traductionnelle de N-glycosylation. Cette maturation se fait en deux temps: dans le RE, des oligosaccharides riches en mannoses sont ajoutés sur certains résidus, ce qui permet aux protéines chaperonnes du RE comme la calnexine de donner une conformation adéquate à la protéine. À l'arrivée de la protéine dans l'appareil de Golgi, les mannoses de cette "core-

glycosylation" sont remplacés par une "glycosylation complexe" constituée de galactose, d'acide

N-acetylneuraminique et de fucose, nécessaire à l'adressage ou la fonction protéique [voir Figure 19] (Ellgaard & Helenius, 2003; Nettleship et al., 2012). C'est pourquoi la plupart des canaux Kir, notamment Kir1.1, Kir2.1, Kir3.1 et les sous-unités régulatrices SUR, présentent des degrés de N-glycosylation reflétant leur degré d'adressage à la membrane plasmique (Pabon

et al., 2000; Conti et al., 2002; Fang et al., 2010; Ma et al., 2011; Wade et al., 2011). Les sous-

unités Kir4.1 et Kir4.2 sont également N-glycosylées, mais pas la sous-unité Kir5.1 avec laquelle elles s'associent (Hibino et al., 2004a; Hibino et al., 2004b; Lachheb et al., 2008).

L'expression membranaire de certains canaux Kir est également régulée par phosphorylation de leurs résidus par des kinases. Ainsi, l'expression membranaire des canaux Kir3.x et Kir2.x est partiellement assurée par la présence et la phosphorylation de domaines cibles de la PKA, d'OSR1 ou de SPAK (Zhu et al., 1999; Dart & Leyland, 2001; Zitron et al., 2004; Chung et al., 2009; Fezai et al., 2015). Inversement, le canal Kir4.2 est plus présent à la membrane lorsque lui est enlevé un site de phosphorylation putatif de la kinase c-src (à l'extrémité C-terminale) et ses courants sont inhibés par la PKC (Pearson et al., 1999; Pearson

et al., 2006). De même, la sortie de Kir4.1 du RE, qui permet son adressage à la membrane

basolatérale des cellules, semble permise par l’association d’un domaine PDZ de son extrémité C-terminale avec la protéine MAGI-1a. Cette interaction est inhibée par la phosphorylation, via la PKA, de la sérine 377 de Kir4.1. Kir4.2 possède également un tel site PDZ à son extrémité C-terminale, mais son rôle est inconnu (Tanemoto et al., 2005; Tanemoto et al., 2008; Hibino

et al., 2010). L'exemple le plus étudié de régulation d'un canal Kir par la phosphorylation

concerne Kir1.1: sa phosphorylation en position S44 par la PKA ou la SGK-1 masque son signal de rétention dans le RE et augmente son expression membranaire (Yoo et al., 2003; O'Connell

et al., 2005). Au contraire, la phosphorylation de Kir1.1 par la PKC réduit l'expression

membranaire de Kir1.1 (Wang & Giebisch, 1991). Enfin, l’expression membranaire de Kir1.1 est moins élevée en présence des kinases WNK1, WNK3 et WNK4: la première phosphoryle Kir1.1 tandis que les deux autres favorisent son internalisation par interaction avec ses motifs C-terminaux d'endocytose (Kahle et al., 2003; Wade et al., 2006; Welling, 2016).

d. Régulations des propriétés électrophysiologiques des canaux Kir

La Po est un paramètre variable, qui dépend chez les canaux Kir de la mobilité du domaine TM2 capable de se plier au niveau de "résidus charnières". Certains canaux Kir constitutivement actifs ont une Po élevée (Kir2.x, Kir6.x, Kir1.1, Kir4.1/Kir5.1 et Kir4.2) tandis que les canaux Kir3.x sont constitutivement inactifs. Ces derniers sont dits "activés par les

protéines G" car leur ouverture est conditionnée par la fixation de protéines Gβγ, libérée des récepteurs auxquelles elles sont couplées lors de l'activation de ceux-ci. A l'inverse, les canaux Kir6.x sont dits "sensibles à l'ATP" car une augmentation de la quantité d'ATP intracellulaire diminue leur Po (Hibino et al., 2010; Luscher & Slesinger, 2010; Shi et al., 2012). Il est également notable que la PKA augmente la Po de Kir1.1 en le phosphorylant (MacGregor et al., 1998) et que l'association de Kir4.2 ou Kir4.1 avec Kir5.1 modifie leurs Po et leurs conductances unitaires (g) respectives [Voir Figure 13] (Pessia et al., 2001; Paulais et al., 2011).

Certains canaux Kir sont également sensible au pH, du fait entre autres, de l'existence de liaisons hydrogènes entre leurs domaines TM1 et TM2 (Rapedius et al., 2007). Ainsi, les canaux Kir2.1, Kir2.3, Kir2.4, Kir7.1, Kir1.1, Kir4.x et Kir4.x/Kir5.1 sont inhibés par les ions H+ intracellulaires (pHi) [Voir Figure 14] et les canaux Kir2.3, Kir2.4 et Kir7.1 sont inhibés par les ions H+ extracellulaires (Coulter et al., 1995; Krapivinsky et al., 1998; McNicholas et al., 1998; Hughes et al., 2000; Pessia et al., 2001). Enfin, les canaux Kir peuvent être fortement (Kir2.x et Kir3.x), moyennement (Kir4.x) ou peu rectifiants (Kir1.1 et Kir6.x) selon le degré d'affinité de leur pores et domaines TM2 pour les ions Mg2+. L'association de Kir4.2 ou Kir4.1 avec Kir5.1 augmente leur sensibilité aux ions Mg2+ et aux protons (Hibino et al., 2010).

Figure 13: Courbes d'inhibition par le pHi (gauche, depuis Pessia et al., 2001) et propriétés des canaux Kir4.x et Kir4.x/Kir5.1 (droite, d'après Pessia et al., 2001; Paulais et al., 2011)

g (pS) Po pKH Kir5.1 Intracellulaire Kir4.1 25 0.3 6.0 Kir4.1/5.1 45 0.7 7.1 Kir4.2 25 0.9 7.5 Kir4.2/5.1 55 0.3 7.6

II. Rôles physiologiques et physiopathologiques des canaux Kir