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Propositions de nouveaux mécanismes d’accumulation de l’iode ?

5. Discussion

5.3. Distributions tissulaire et sub-cellulaire de l’iode total

5.3.3 Propositions de nouveaux mécanismes d’accumulation de l’iode ?

Dans le Chapitre 1, nous avons présenté le mécanisme de captation et d’accumulation des iodures chez L. digitata, actuellement admis. Pour rappel, ce mécanisme propose que l’iodure serait oxydé par une vHPO apoplastique en une espèce Iox (I2, IOH voire I3-) qui,

étant plus lipophile, pourrait traverser les membranes pour être accumulée dans le compartiment intra-cellulaire après réduction. Un tel mécanisme n’est donc pas cohérent avec la localisation apoplastique de l’iode que nous avons observée.

Compte tenu des données de la littérature et de nos résultats d’imagerie, nous pouvons proposer des mécanismes de captation de l’iodure compatibles avec cette localisation sub- cellulaire. Si l’on reprend les données de la littérature, nous pouvons considérer que certains points ont été démontrés ou sont très fortement suggérés :

 La forme d’iode captée à partir de l’eau de mer est très probablement l’iodure d’après les travaux de Kelly et Baily sur A. nodosum [35]. (Ce résultat a été confirmé chez L. digitata (Fievet et al., résultat non publié)).

 Les différentes études de spéciation ont démontré que l’iode est principalement stocké sous une forme inorganique labile chez les espèces appartenant au genre

Laminaria [18-20]. Cependant, la forme exacte séquestrée n’a pas été démontrée

bien que la plupart des auteurs s’accordent à dire qu’il s’agirait de l’iodure

 L’intervention d’un mécanisme oxydatif dans le mécanisme de captation de l’iode chez L. digitata a été confortée par plusieurs études [17, 31]. Comme présenté dans le chapitre 3, nous avons observé que des molécules réagissant avec Iox bloquent l’influx d’iodure chez L. digitata.

De plus, nos données d’imagerie mettent en évidence clairement une corrélation entre les signaux I, CN et S (Fig. 61.B). Or, CN et S font référence à des macromolécules telles que des protéines et/ou des polysaccharides sulfatés. Puisque l’iode est très majoritairement sous une forme inorganique labile, nous pouvons suggérer que son accumulation au sein de l’apoplaste repose sur la complexation de l’espèce inorganique par un édifice macromoléculaire composé de protéines et/ou de polysaccharides.

A partir de ces observations, du mécanisme précédemment défini par Shaw et Kupper

et al. et en admettant que la forme stockée soit l’iodure, nous pouvons proposer le mécanisme

suivant (mécanisme 1, Fig. 65) : L’iodure serait sélectivement oxydé par une vIPO apoplastique en une entité Iox qui diffuserait dans l’apoplaste. Cette espèce serait ensuite réduite et complexée au sein d’un édifice macromoléculaire. Durant ce mécanisme, une faible proportion de Iox est susceptible de réagir avec les substrats organiques environnants, en particulier, avec les résidus aromatiques des protéines. L’intervention d’une vHPO et plus précisément d’une vIPO, permet d’expliquer la sélectivité pour l’iodure alors que les concentrations en chlorure et en bromure, dans l’eau de mer, sont bien plus élevées.

Eau de mer vIPO H2O2 Oxydation sélective Iox (I2, IOH ou I3-) Diffusion Apoplaste I-(0.3 µM) Br-(0.8 mM) Cl-(0.5 M) Oxydase apoplastique Complexation Macromolécule-I- Cellule Micro-environnement Iox I- Réduction

Fig. 65 : Mécanisme 1, affinement du mécanisme proposé par Küpper et al. et Shaw

Cependant un tel mécanisme est problématique d’un point de vue physiologique. En effet, est-il possible d’avoir dans le même compartiment une réaction de réduction et d’oxydation ? Peut-on envisager que l’apoplaste puisse être organisé en micro- environnements possédant des potentiels redox et des pH spécifiques ? Ce mécanisme n’est-il pas trop coûteux d’un point de vue énergétique ?

Compte tenu de ces interrogations et des doutes concernant la réelle spéciation de l’iode dans les tissus de L. digitata, nous pouvons proposer un second mécanisme (mécanisme 2, Fig. 66) basé sur l’oxydation sélective des iodures par une vHPO apoplastique suivie de la séquestration de l’espèce Iox générée au sein d’un complexe macromoléculaire. Un tel mécanisme apparaît plus simple et moins coûteux énergétiquement. Il est conforté par le fait que la complexation de polyiodure (I3- et autres formes I5-…) par des entités

polysaccharidiques ou polyamidiques telles que l’amidon ou le polyvinyl-pyrrolidones sont décrites dans la littérature [36, 37]. En particulier, grâce à leur stabilité, les complexes polyiodures – polyvinyl-pyrrolidone sont utilisés en formulation, à la place de la traditionnelle solution de lugol, pour permettre une libération contrôlée des espèces oxydées de l’iode.

Eau de mer vIPO H2O2 Oxydation sélective Iox (I2, IOH ou I3-) Diffusion Apoplaste I-(0.3 µM) Br-(0.8 mM) Cl-(0.5 M) Oxydase apoplastique Complexation Macromolécule-Iox Cellule Eau de mer vIPO H2O2 Oxydation sélective Iox (I2, IOH ou I3-) Diffusion Apoplaste I-(0.3 µM) Br-(0.8 mM) Cl-(0.5 M) Oxydase apoplastique Complexation Macromolécule-Iox Cellule

Fig. 66 : Mécanisme 2, mécanisme proposant que I- n’est pas la forme stockée dans les tissus

Le mécanisme 2 est donc plus satisfaisant « conceptuellement » que le mécanisme 1. Il permettrait à L. digitata d’avoir un stock de biocides prêt à l’emploi. De plus, l’accumulation d’une forme oxydée telles que IOH, I2 ou, plus vraisemblablement, I3- n’est pas totalement

incohérente avec une régulation du stress oxydant puisque par exemple, ces espèces sont capables d’assister la dismutation de H2O2. Cependant, d’un point de vue physiologique, il est

légitime de se demander si l’accumulation de l’iode sous une forme réactive telle que I2, IOH

ou I3- est compatible avec la viabilité des cellules environnantes.

En considérant les données de la littérature et le modèle de Shaw et Küpper et al., nous avons donc proposé deux mécanismes de captation de l’iodure chez L. digitata compatibles avec une localisation apoplastique de l’iode. Ces mécanismes reposent sur l’intervention d’une vHPO (pour la sélection de I-) et sur la complexation de l’iode inorganique par un complexe macromoléculaire. Ce complexe pourrait faire intervenir une entité cationique (qui pourraît être Ca2+ compte tenu des résultats de sonde nucléaire) puisque les polysaccharides

apoplastiques sont essentiellement anioniques. Cependant, nous ne sommes pas en mesure de choisir entre le mécanisme 1 et 2 à cause des doutes existant sur la spéciation de l’iode in

vivo.

Ces mécanismes ne sont que des propositions pour orienter les recherches à venir sur trois axes qui nous semblent principaux :

 La confirmation de l’implication d’une vHPO

 L’identification de la structure complexante

En effet, il se pourrait que le mécanisme réel soit plus compliqué avec peut être, l’intervention des cellules méristodermiques.