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Physiologie des transferts de l’iode chez Laminaria digitata

2.3.1 Mécanisme de captation de l’iode : historique

En 1929, Kylin proposa que la captation de l’iode par L. digitata reposait sur un mécanisme oxydatif mettant en jeu une iodure oxydase pariétale [20]. Cette hypothèse fut reconsidérée dans les années 1950 grâce à la généralisation de l’utilisation du radionucléide

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I-. Grâce à ce radionucléide, les premières études cinétiques de captation de l’iode chez diverses algues brunes furent réalisées [15, 21]. Baily et Kelly prouvèrent ainsi que l’iodure, et non l’iodate, était l’espèce captée chez Ascophyllum nodosum [22]. Par la suite, Shaw mit en évidence, entre autre, que des agents réducteurs tels que le métabisulfite et le thiocyanate ou facilement halogénables tels que la tyrosine inhibaient la captation des iodures chez L.

digitata. Il déduisit que les iodures devaient être oxydés pour être transportés. A partir du

modèle de Kylin [20], des études de Roche et Yagi [15] et de la spéciation de l’iode en solution, Shaw proposa un mécanisme selon lequel l’iodure serait oxydé par une iodure- oxydase apoplastique en acide hypoiodeux (IOH). IOH, étant une espèce lipophile, pourrait diffuser à travers les membranes. Pour conserver un gradient électrochimique favorable, IOH serait nécessairement réduit dans le compartiment intra-cellulaire pour être ensuite séquestré sous forme d’iodure [23]. Un tel mécanisme est désigné, par certains auteurs, sous le terme de transport par diffusion facilitée [12].

Ce modèle fut affiné par Tong et Chaikoff qui proposèrent que H2O2 et non O2 était

impliqué dans l’oxydation des iodures, suggérant ainsi l’intervention d’une iodure-péroxydase plutôt que celle d’une iodure-oxydase [16]. Cette hypothèse fut confortée par E’hOcha et Murphy qui montrèrent l’existence d’une activité iodopéroxydase dans des extraits non cellulaires de L. digitata [24].

Au cours des années 1980, des bromopéroxydases à vanadate (vBPO) furent découvertes et isolées chez différentes algues brunes [25] et en particulier chez les espèces du genre Laminaria [26, 27]. Comme nous le verrons dans le sous-chapitre 3, en présence de H2O2, ces enzymes oxydent spécifiquement les iodures et les bromures en une entité suggérée

être l’acide hypohalogéneux correspondant. Il a donc été proposé que cette classe d’enzymes serait impliquée dans la captation des iodures ainsi que dans la formation de composés volatils iodés chez les laminaires.

Plus récemment, Küpper et al. entreprirent une étude globale pour confirmer ces hypothèses et vérifier l’implication des vBPO dans le mécanisme de captation [12]. Il fut,

entre autre, montré que l’accumulation des iodures chez L. saccharina suivait la loi de Michaelis-Menten, qu’elle était inhibée par des piégeurs des espèces activées de l’oxygène (EAO) et qu’elle n’était pas directement ATP-dépendante. Des expériences menées sur des protoplastes3 de L. saccharina confirmèrent l’implication d’un mécanisme oxydatif lié à H2O2. Ces résultats suggèrent, de plus, que H2O2 serait généré par une oxydase apoplastique.

Küpper et al. réussirent aussi à augmenter la captation des iodures chez des gamétophytes de

L. digitata – qui présentent initialement de très faibles activités halopéroxydases et une très

faible teneur en iode – en les incubant avec le système vBPO/H2O2/I-. Un tel résultat montre

que les membranes sont plus perméables aux espèces oxydées (IOH ou I2) qu’à l’iodure

confortant l’idée de l’intervention d’une vBPO dans le mécanisme de captation [12].

Par la suite, Almeida et al. puis Colin et al. isolèrent des iodopéroxydases à vanadate (c'est-à-dire des vHPO oxydant sélectivement l’iodure) chez L. hyperborea, L. ochroleuca [28] et L. digitata [29, 30]. Ces auteurs montrèrent que les activités péroxydases les plus intenses sont localisées au niveau du tissu périphérique (méristoderme et cortex externe). De plus, les travaux de Colin concernant les protoplastes de L. digitata suggèrent très fortement que les vIPO sont apoplastiques [30].

La découverte d’une vIPO périphérique et potentiellement apoplastique chez L.

digitata conforte donc le modèle de Shaw et de Küpper et al. car elle permet d’expliquer à la

fois la formation apoplastique d’une espèce oxydée de l’iode ainsi que la très grande sélectivité du mécanisme de captation pour l’iodure alors que sa concentration dans l’eau de mer (0,3 µM) est beaucoup plus faible que celle du bromure (0,8 mM) et du chlorure (0,5 M).

A partir de l’ensemble de ces hypothèses et de ces données, le mécanisme de captation suivant peut être proposé (Fig. 6).

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Eau de mer vIPO H2O2 Oxydation Sélective Iox

I2ou IOH : espèces lipophiles I2or IOH I- Diffusion Réduction ? Cellule Apoplaste I-(0,3 µM) Br-(0,8 mM) Cl-(0,5 M) Oxydase apoplastique Compartimentation ? Pool I- (~ 10 mM)

Fig. 6 : Mécanisme de captation putatif de l’iodure chez l’algue brune L. digitata. Adapté de Shaw et de Küpper et al. [12, 23]

La captation de l’iodure est un mécanisme de diffusion facilitée. La vIPO oxyde spécifiquement I- en présence de H2O2 en une espèce Iox. Iox étant lipophile, diffuse à travers les membranes. Au sein du compartiment intra- cellulaire, Iox est réduit en iodure et séquestré sous cette forme. vIPO : iodopéroxydase à vanadate, Iox : espèce oxydée de l’iode

2.3.2 Commentaires sur le mécanisme de captation

Le mécanisme de captation des iodures proposé repose sur un certain nombre d’éléments qui n’ont pas été jusqu’à présent démontrés. Il suppose, en particulier, que l’iode soit stocké sous forme d’iodure. Or, à l’heure actuelle, aucune étude de spéciation ne le démontre de manière irréfutable (cf. paragraphe 2.2 p.35). De même, la localisation intra- cellulaire de l’iode chez L. digitata est un postulat et n’a fait l’objet d’aucune étude d’imagerie chimique, à l’exception de celle de Pedersen et al. invalidée par la méthode de préparation des échantillons (cf. paragraphe 2.1.2 p.31). Finalement, bien que l’intervention d’un mécanisme oxydatif ait été établie, l’implication d’une vHPO, certes fort probable, n’a pas été clairement démontrée. L’expérience effectuée par Küpper et al. sur les gamétophytes montre que la paroi est plus perméable à l’espèce oxydée Iox (I2 ou IOH) qu’à l’iodure.

Cependant, il faut souligner que le système gamétophyte/vBPO/H2O2/I- ne reproduit pas

fidèlement le comportement des tissus du sporophyte. En effet, on peut raisonnablement penser que l’organisation cellulaire du gamétophyte est différente de celle du sporophyte, ce qui pourrait expliquer sa faible capacité à accumuler l’iode. Par ailleurs, les influx déterminés

pour les gamétophytes sont plus faibles que ceux observés pour les tissus des sporophytes [12].

Nous pouvons remarquer que le stockage de l’iode, sous forme iodure, dans le compartiment intracellulaire, nécessiterait une quasi-imperméabilité des membranes. En effet, la concentration intra-cellulaire en iodure serait de l’ordre de 10 mM soit plus de 30 000 fois supérieure à celle de l’eau de mer et a priori à celle de l’apoplasme, à moins que ce dernier ne joue le rôle de zone tampon, en établissant un gradient de concentration entre le compartiment intra-cellulaire et le milieu extérieur. De plus, pour que le système soit équilibré, il est nécessaire que le processus de réduction intra-cellulaire de Iox soit très puissant pour maintenir le gradient électrochimique favorable à l’influx et empêcher l’accumulation de Iox, qui, par sa réactivité chimique, est cytotoxique. Ce processus de réduction intracellulaire est à l’heure actuelle, inconnu [31].

2.3.3 Mécanisme d’efflux et rôle physiologique de l’iode chez L. digitata

En condition basale, on observe un efflux constant d’iodures de telle sorte que le bilan net des échanges soit favorable pour le compartiment algue (Fievet et al., résultat non publié). Cet efflux pourrait être dû à de la simple diffusion. Par traçage par 131I-, cet efflux ne peut pas être quantifié car le facteur de dilution isotopique dans le compartiment intra-cellulaire n’est pas précisément connu [31].

Dans certaines conditions de stress, on observe une remobilisation de l’iode stocké dans les tissus de L. digitata par des mécanismes biochimiques qui sont, à l’heure actuelle, inconnus. Il a été montré que de fortes concentrations exogènes de H2O2 augmentent l’efflux

de radioactivité chez des plantules de L. digitata préalablement incubés avec 131I- [12]. L’élicitation par des oligoguluronates – qui mime l’altération des parois par des micro- organismes – provoquent un burst oxydant accompagné d’un efflux net d’iodure (et d’iodate) correspondant à une perte d’environ 1 % du stock total [32]. Ce phénomène est transitoire. De plus, Fievet et al. ont observé un phénomène de désensibilisation, lors d’expositions répétées du sporophyte aux oligoguluronates (Fievet et al., résultat non publié). En supposant que l’iode soit effectivement stocké sous forme d’iodure dans le compartiment intra-cellulaire, ces données suggèrent la présence d’un transporteur membranaire, en particulier d’un canal anionique, qui assurerait les efflux transitoires observés.

Par ailleurs, ces conditions de stress c’est-à-dire l’exposition aux oligoguluronates (E. Tessier et al., résultats non publiés) ainsi qu’aux UV et à l’ozone [33, 34], provoquent aussi

chez les sporophytes de L. digitata une émission accrue de composés volatils iodés (CVI) et d’iode moléculaire.

L’ensemble de ces données suggère donc que l’iode accumulé par L. digitata pourrait participer à des mécanismes de défense ainsi qu’à la régulation du stress oxydant. La libération d’iodures dans le compartiment apoplastique pourrait permettre la production par les vHPO, de CVI et d’iode moléculaire connus pour être biocides et/ou répulsifs [31, 35]. Les iodures apoplastiques pourraient, de plus, participer à la détoxication des espèces activées de l’oxygène et en particulier H2O2, par une action directe ou avec l’appui des vHPO.

En tenant compte des mécanismes de captation et séquestration précédents (Fig. 6) nous pouvons proposer le schéma ci-dessous pour rendre compte des différents mécanismes d’efflux de l’iode (Fig. 7).

Eau de mer H2O2 Cellule Apoplaste Pool I-endogène (~ 10 mM) I- Stress oxydant I- efflux vHPO ? Iox I2 RH CVI Enzyme ? EAO, H2O2 CVI I2 iodovolatilisation Canal ? I- Diffusion ? Detoxication H2O2 Défense contre les pathogènes IO3- + RH

Fig. 7 : Mécanismes d’efflux de l’iode compte tenu du mécanisme de captation de l’iodure proposé par Küpper et al. (Fig. 6)

Certaines conditions de stress engendrent un efflux net d’iodure ainsi qu’une augmentation de l’émission de CVI et I2. La biosynthèse de ces espèces aurait lieu dans le compartiment apoplastique et pourrait impliquer les vHPO apoplastiques. CVI : composé volatil iodé, EAO : espèce activée de l’oxygène, RH : précurseur de CVI

Comme présenté précédemment, les mécanismes régissant les transferts de l’iode chez

L. digitata ne sont pas entièrement élucidés. Cependant, les différentes études menées jusqu’à

présent suggèrent très fortement que les vHPO, et plus précisément les vIPO, jouent un rôle clé dans ces mécanismes en facilitant la captation de l’iodure et en participant à la re- mobilisation de l’iode stocké par l’algue à travers la production des CVI et de l’iode moléculaire. Dans la suite de ce chapitre, nous allons donc présenter, un peu plus en détail, cette classe d’enzymes présente chez un grand nombre de macro-algues.