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6. Conclusion générale et perspectives

1.3. La chromatographie d’affinité

1.3.1 Principe et illustration

La chromatographie d’affinité est utilisée en routine pour la purification de protéines en particulier recombinantes. Dans le cadre de la génétique chimique, elle est utilisée pour l’identification des protéines cibles de molécules organiques d’intérêt biologique. Dans ce cas, le ligand est immobilisé sur une phase solide (la résine). L’extrait cellulaire (lysats ou fractions) d’intérêt est passé sur cette colonne d’affinité. La protéine cible est retenue par complexation avec son ligand. Après lavage de la colonne pour éliminer les protéines en interaction non spécifique (du moins en partie), la protéine cible est éluée. L’extrait protéique obtenu est purifié et analysé par gel d’électrophorèse. L’identification de la protéine s’effectue grâce à son empreinte peptidique massique déterminée par spectrométrie de masse (Fig. 68).

Purification et analyse : Electrophorèse Identification : Spectrométrie de masse

Dépôt fraction ou lysat cellulaire Formation complexe Lavage Elution de la protéine cible : Ligand

Fig. 68 : Principe de la chromatographie d’affinité

Pour illustration, on peut citer les travaux concernant le trapoxin, un peptide bactérien bloquant le cycle cellulaire chez les cellules mammifères et inhibant in vivo la déacetylation des histones. Une des deux protéines cibles isolées par chromatographie d’affinité à partir

d’extraits de thymocytes présentait une forte homologie de séquence avec le régulateur de transcription Rpd3 de la levure, dont l’activité histone déacétylase (HDAC) n’était pas connue. Ce résultat a donc permis de révéler l’importance des HDACs dans la régulation de la transcription chez les eucaryotes [13].

1.3.2 Limitations

Une des difficultés de cette technique est de réussir à fixer le ligand sur la résine sans diminuer son affinité pour sa protéine cible, ce qui peut nécessiter la mise en place d’une voie de synthèse chimique non triviale.

Par ailleurs, la chromatographie d’affinité est souvent décrite pour l’identification des protéines cibles de produits naturels. Les études les plus citées de la littérature présentent soit des constantes d’association protéine-ligand de l’ordre du nanomolaire (par exemple dans le cas de l’immunosuppresseur FK506 avec sa protéine cible FKBP12 [14]), soit la formation d’une liaison covalente entre le ligand et sa protéine cible, qui ne peut être clivée qu’en conditions dénaturantes (par exemple dans le cas du Trapoxin [13]). En revanche, la chromatographie d’affinité semble avoir été moins utilisée, jusqu’à présent, pour des molécules issues de tests de criblage à haut-débit. L’affinité de ces molécules pour leur cible protéique est, en général, de l’ordre du micromolaire. Or, avec une telle constante d’affinité, les complexes ligand-protéine peuvent être dissociés au cours des lavages de la résine. La nécessité d’une forte constante d’association du complexe ligand-protéine cible est liée à l’existence d’interactions non spécifiques entre les autres protéines (contenues dans l’extrait cellulaire) et la matrice hydrophobe. Des stratégies permettant de distinguer ces protéines de la protéine cible ont été mises au point. Certaines d’autres elles consistent à comparer quantitativement les protéines retenues par une résine greffée avec le ligand et celles retenues par une résine greffées avec une molécule inactive qui lui est proche structuralement (pour revue : [15]). Cependant, malgré ces améliorations, la constante d’affinité demeure toujours un critère limitant.

Par ailleurs, il est évoqué que cette méthode peut souffrir d’un manque de sensibilité, en particulier, dans le cas de protéines cibles faiblement exprimées telles que les facteurs de transcription. De plus, dans le cadre de certaines études, la chromatographie d’affinité peut nécessiter la production coûteuse et délicate de grandes quantités d’extraits cellulaires [3, 15].

1.4.

Le photomarquage d’affinité

1.4.1 Principe et illustration

Le photomarquage d’affinité est basé sur l’utilisation d’un analogue photoactivable du ligand (ou sonde photoactivable). Sous irradiation lumineuse15, la sonde photo-activable génère un intermédiaire très réactif capable d’établir une liaison covalente avec un acide aminé d’une protéine [16]. Le photomarquage d’affinité est souvent utilisé pour l’identification des acides aminés d’intérêt du site de fixation des protéines. Il constitue alors une approche complémentaire à la mutagénèse dirigée et à la cristallographie aux rayons X [17]. En génétique chimique, il constitue une technique efficace pour l’identification des protéines cibles à partir de milieux complexes tels que des fractions cellulaires, des lysats cellulaires, des vésicules membranaires ou des cellules entières [18, 19]. Le principe de cette méthode est présenté dans le schéma ci-dessous (Fig. 69). La sonde photoactivable est incubée dans le milieu cellulaire et rentre en interaction réversible avec sa protéine cible. Consécutivement à l’irradiation lumineuse, le complexe protéine-sonde devient covalent. Ce complexe est ensuite isolé par des techniques chromatographiques et/ou d’électrophorèse, identifié grâce au marquage présent sur la sonde et finalement analysé par des techniques de spectrométrie de masse, pour déterminer la protéine cible [16].

En général, la sonde photoactivable est marquée par un isotope radioactif (3H, 125I). Mais d’autres types de marquage sont possibles comme, par exemple, le couplage de la sonde à une molécule de biotine. L’affinité du complexe biotine-avidine (ou biotine-streptavidine) est alors mis à profit soit dans l’étape de séparation des protéines par chromatographie d’affinité [19, 20], soit pour la révélation des gels d’électrophorèse par chimiluminescence en utilisant la HRP fusionnée à l’avidine [21].

15

Analogue photoactivable et marqué du ligand Fixation Réversible hυυυυ Fixation covalente Séparation Empreinte peptidique massique Chromatographie et/ou Electrophorèse Identification Protéine-cible

+

+

CLHP/SM/SM Bases de données

Fig. 69 : Principe du photomarquage d’affinité pour l’identification des protéines cibles

L’analogue photoactivable du ligand établit une liaison covalente avec la protéine cible qui est repéré grâce au marquage (biotine ou radioisotope). L’identification de la protéine cible s’effectue grâce à son

empreinte peptidique massique par comparaison avec des bases de données telles que MASCOT.

Ils existent différents types de groupements photoactivables (ou photophores). Ils sont classés selon l’espèce réactive qu’ils génèrent : nitrène, carbène, carbocation arylique ou radical. Les photophores les plus utilisés en photomarquage d’affinité sont les azotures d’aryle, les trifluorométhyldiazirines, les sels d’aryldiazonium et les dérivés de la benzophénone (Fig. 70). Le rapport de Fleming dans la revue Tetrahedron décrit de manière très exhaustive ces différents photophores [22]. Pour des informations complémentaires, nous renvoyons le lecteur à cet article ainsi qu’à celui de Goeldner et coll. [17].

Ar N3 Ar N Nitrène X H Insertion Ar H N X Ar CF3 N N CF3 X H Insertion CF3 X Ar Ar Ar Ar O Ar Ar O X H Ar Ar OH X X Ar OH Ar Ar N2+ X H Ar X hυ hυ hυ hυ - N2 - N2 Azoture d'aryle Aryl-trifluoromethyl- diazirine Carbène Insertion Aryldiazonium Carbocation Radical Benzophénone - N2 Ar+

X H Chaîne latérale d'un acide aminé du site actif de la protéine-cible

Fig. 70 : Photophores et principales espèces réactives générées sous irradiation. La photochimie est très simplifiée.

Pour illustrer l’apport du photomarquage d’affinité dans l’identification des protéines cibles, nous pouvons citer les travaux effectués par Jessen et al.. A la suite d’un test de criblage à haut-débit, ils ont identifié un composé particulièrement intéressant, appartenant à la famille des 3,5-diaryl-oxadiazoles, qui induit l’apoptose et bloque sélectivement la croissance tumorale. L’identification de son mécanisme d’action a combiné différentes approches. Le photomarquage d’affinité, à partir de lysats cellulaires, a mis en évidence que sa protéine cible est TIP47 (tail-interacting protein 47), une protéine se liant à IGF-II (Insulin- like growth factor-II). Ce résultat a été ensuite validé grâce à une expérience d’extinction de l’expression de TIP47 par interférence à ARN. De même, nous pouvons citer les travaux de Cola et al., qui, à partir de bactéries vivantes de Staphyloccocus aureus, ont mis en évidence, grâce au photomarquage d’affinité, que l’antibiotique linezolide se lie à la sous-unité 23S ribosomale, très probablement à proximité du centre actif peptidyl-transférase [23].

La possibilité d’effectuer le photomarquage d’affinité sur des systèmes cellulaires est un avantage majeur. Une telle démarche permet le ciblage de protéines membranaires et assure le bon repliement des protéines et la présence des différents partenaires protéiques, ce

qui n’est pas nécessairement respecté par les autres méthodes d’affinité. A titre indicatif, le photomarquage d’affinité a été très récemment appliqué à l’étude des interactions protéine- protéine in vivo (pour revue : [19]).

1.4.2 Limitations

La difficulté majeure du photomarquage d’affinité est la synthèse d’un analogue photoactivable du ligand présentant une affinité élevée pour la protéine-cible. Grâce au développement de la chimie combinatoire et à l’émergence de photophores plus stables (diazirine, benzophénone), certains auteurs proposent de faciliter cette étape par la construction de chimiothèques photoactivables, à partir du squelette du ligand [20, 24].

Le photomarquage d’affinité peut être confronté à un manque de spécificité dû à une affinité trop faible de la sonde photoactivable et à la photochimie ou à un manque de stabilité du photophore [22]. Cependant, ce problème peut être résolu par modification chimique de la sonde et par modulation des conditions expérimentales.

1.5.

Conclusion

L’essor de la génétique chimique a motivé le développement des méthodes d’identification des protéines cibles de molécules bioactives identifiées lors des tests de criblage à haut-débit. Nous avons ainsi à disposition un panel de techniques protéomiques, génomiques et biochimiques. On distingue, en particulier, le photomarquage d’affinité et la chromatographie d’affinité. Ces approches nécessitent une modification chimique du ligand. Cependant, elles sont plus simples à mettre en œuvre pour des non-biochimistes que les approches génomiques. La chromatographie d’affinité nécessite des constantes d’affinité du ligand pour sa protéine cible de l’ordre du nanomolaire et souffre d’un manque de sélectivité lié aux interactions hydrophobes des protéines avec la résine. A l’inverse, le photomarquage d’affinité peut être utilisé pour des affinités plus faibles et présente l’avantage de pouvoir être effectué sur cellules entières, ce qui est particulièrement intéressant pour le ciblage de protéines cibles membranaires.