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La pédagogie hybride proposée intègre dans l’expérience d’apprentissage, les principes de la pédagogie autochtone que nous simplifions par cette formule : Une pédagogie qui contribue à la mise en place d’activités d’apprentissage qui favorisent une lecture du monde à travers les trois dimensions du monde physique et matériel, les quatre éléments et plus3 et les cinq sens et plus4, pour la lecture d’un lieu. Les trois dimensions comportent les trois dimensions physiques dans un espace donné. Les quatre éléments sont composés de l’eau, l’air, la terre et le feu en y ajoutant dans certaines cosmologies autochtones : L’Esprit. Les cinq sens sont ceux reconnus par le monde occidental pour identifier les perceptions sensorielles auxquels s’ajoute un sens métaphysique, en quelque sorte un sixième sens qui comprend le lien avec le monde des esprits ou un sens relié à l’intuition. Cette pédagogie hybride s’appuie également sur les dimensions culturelles autochtones et les savoirs d’une communauté spécifique dans une vision de la culture laquelle n’est pas considérée comme un artéfact, statique ou stéréotypé, mais comme une culture qui se veut actuelle et en mouvement.

Le lieu est un élément important de notre proposition et se définit comme étant le produit de la relation et de la connexion à la terre (le territoire) (Michell et al., 2008) et comme lieu source de savoirs (Battiste et Youngblood Henderson, 2000). Un espace qui

3 4+ éléments : Les Premières Nations adhèrent à ces quatre éléments en y ajoutant « l’Esprit qui circule dans toute vie ». (Michell et al, 2008, p. 84, trad. libre)

4 5 + sens : « Peut comprendre les rêves, les visions et l’intuition. » (Michell et al, 2008, p. 120, trad. libre)

n’est pas neutre, mais socialement construit et qui doit se lire au-delà de ses caractéristiques écologiques (Casey, 1997). En ce sens, le lieu pourrait aussi bien se trouver en milieu urbain. Le lieu dans la proposition qui est faite doit être considéré comme lieu de vie.

Cinq dimensions du lieu sont retenues, inspirées des travaux de Michell et al. (2008). Ces dimensions caractérisent le lieu :

1. Comme étant multidimensionnel (un lieu physique chargé de sens);

2. Comme étant relationnel (un concept interrelationnel avec le lieu qui inclut la spiritualité);

3. Comme étant expérientiel (une expérience du lieu dans sa réalité);

4. Comme étant local (le lieu où l’on vit dans une lecture personnelle de ce lieu); 5. Comme étant territoire (le lieu vu comme source de vie tant biologique que

spirituelle et source des savoirs).

La proposition vise également la recherche d’une interface culturelle qui se manifeste dans un espace-temps et lieu et dans lequel l’enseignant, a un rôle majeur, celui d’assurer une médiation culturelle. Un rôle qui demande d’intégrer la dimension culturelle autochtone dans les activités d’enseignement-apprentissage. Ce rôle, selon plusieurs auteurs, dont Kanu (2005) et Tharp (2006), ne peut se jouer sans le support d’une formation en ce sens. La nature de la recherche qui se veut inclusive des acteurs et le cadre conceptuel proposé influencent la conduite de la recherche. Nous présentons dans

le chapitre suivant les éléments de méthodologie qui permettent de respecter les obligations liées à toute conduite de recherche, mais qui se veulent être en cohérence également avec la problématique et le cadre conceptuel retenus.

LA MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE Après avoir construit le cadre de référence qui structure notre recherche, ce chapitre présente et justifie les choix méthodologiques. Dans la première section, nous abordons la posture qui guide les choix méthodologiques. Il s’agit de la posture autochtone de la recherche. Dans la seconde section, nous présentons la méthodologie de la recherche-action qui constitue le choix retenu au regard de la posture et des différentes composantes de notre recherche. En troisième lieu, nous explicitons les méthodes préconisées et leur instrumentation par le biais de la description du milieu et des participants. En quatrième lieu, les étapes de la recherche sont présentées en lien avec les objectifs. En cinquième lieu, les outils de collecte de données et d’analyse sont explicités. Ce chapitre de la méthodologie se conclut avec la déontologie de la recherche.

POSTURE AUTOCHTONE DE LA RECHERCHE : UN PROCESSUS DE DÉCOLONISATION

Nous présentons dans cette section la posture autochtone de la recherche. C’est la posture adoptée tout au long de la recherche, et ce, en raison d’une part du respect qui est dû à l’ontologie, à l’épistémologie et aux principes axiologiques qui sont ceux des membres de la Nation Anishinabe-Algonquine collaborateurs de la recherche (membres de la communauté, enseignantes et enseignants). Cela, nous oblige à respecter une posture qui leur est signifiante. Ce choix s’inscrit d’autre part dans un processus récent au Québec de décolonisation de la recherche en milieu autochtone particulièrement dans le domaine de l’anthropologie entre autres avec Poirier (2014).

Cette auteure considère que ce processus de décolonisation inspiré des travaux de Smith (1999) implique entre autres :

Que les épistémologies autochtones soient considérées sur un pied d’égalité avec l’épistémologie occidentale (et scientifique) et que les autochtones soient partie prenante dans tout le processus de la recherche depuis l’élaboration des objectifs et de la problématique, la documentation, l’analyse et la diffusion. Une perspective de décolonisation suppose que les chercheurs soient sensibles au rythme et aux façons de faire des autochtones; elle nécessite cette relation d’égalité et de respect entre les chercheurs et les experts locaux (Poirier, 2014, p. 74).

Nous présentons dans cette section un historique de cette posture et de son lien avec le processus de décolonisation en abordant les assises épistémologiques propres à cette posture de recherche. Ces éléments sont suivis des caractéristiques puis des outils méthodologiques de même que des éléments éthiques qui sont distinctifs au regard de cette posture.

1.1 Posture autochtone de la recherche : historique et assises épistémologiques La posture autochtone de recherche prend sa source dans le mouvement de la décolonisation et de l’affirmation identitaire des Peuples autochtones à travers le monde (Smith, 1999). Ce mouvement est qualifié par certains d’« Indigenism » (Hart, 2010, p. 1) ou même de « Radical indigenism » (Hart, 2010, p. 1). Il incarne un champ plus vaste qui englobe les visions du monde, les savoirs, de même que la recherche dans une perspective autochtone. La recherche autochtone prend également sa source dans le mouvement né lors de la première décennie des Peuples autochtones (1994-2004), instaurée par le Haut- Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH, s.d.). Durant cette

période, plusieurs chercheurs autochtones revendiquent une décolonisation des pratiques scientifiques, contestant l’épistémologie et les méthodologies ayant cours dans le monde occidental (Battiste, 2002b; Grande, 2004; Smith, 1999). Ce mouvement réfute la légitimité des recherches, particulièrement celles en sciences sociales, considérées comme intimement associées au processus d’impérialisme et de colonisation (Smith, 1999). Dans l’esprit de ce mouvement, plusieurs chercheurs et érudits autochtones américains affichent une opposition ferme à l’égard du discours scientifique conventionnel. Ces derniers contestent le fait que la science occidentale évacue la dimension spirituelle et, par conséquent, l’aspect sacré des savoirs. Hart (2010) soutient que sans cette dimension spirituelle, la philosophie et l’ontogénie autochtone perd tout son sens. Dans un même souffle, les chercheurs autochtones développent des méthodologies et des approches de recherche qui privilégient les savoirs, les expériences et le discours propres au monde autochtone (Smith, 2005). Selon Menzies (2001), on assiste alors à un processus de décolonisation de la recherche. La démarche de recherche autochtone s’inscrit dans le refus de se cantonner à un seul paradigme ou à une seule stratégie interprétative qualifiée de : « The Decade of Critical Indigenous Inquiry »5(Denzin, Lincoln et Smith 2008, p. 2).

Plusieurs auteurs, dont Hart (2010), Kovach (2009), de même que Smith (1999) et Weber-Pillwax (1999, 2004) ont développé les assises de ce qui est identifié dans les écrits comme la méthodologie autochtone de recherche. L’une des caractéristiques

fondamentales de ses assises qui sont propres à la philosophie autochtone touche à l’accès au savoir. Cet accès est perçu comme étant de l’ordre du relationnel, dans un esprit de réciprocité qui s’établit au diapason de toute la création (Wilson, 2001). La plupart des auteurs autochtones s’entendent d’ailleurs pour dire que cette relation s’établit également entre le monde spirituel et le monde physique. En d’autres mots une vision holistique de l’accès au savoir qui s’articule à partir d’un processus subjectif d’accès à la connaissance qui respecte la relation avec les aînés et les individus qui sont la source des savoirs (Hart, 2010).

La recherche autochtone prend également appui sur une épistémologie critique qui conteste la notion d’objectivité et de neutralité (Denzin et al., 2008). Dans cette optique, le chercheur est imputable de ses actes auprès de la communauté, postulat qui va au-delà de la responsabilité auprès des individus impliqués dans la recherche (Smith, 1999). Ce concept doit comprendre, dans l’ontologie autochtone, tous les membres de la communauté. On parle ici d’une communauté au sens propre dans sa réalité physique, humaine et non humaine et non pas d’une communauté au sens figuré, comme c’est le cas de la communauté dite scientifique. Weber-Pillwax (2004) relève l’importance de l’aspect relationnel dans l’instrumentation de toute recherche autochtone. À cet égard, elle mentionne que cette relation ne s’établit pas à l’intérieur d’une communauté hypothétique, mais bien dans une relation qui se vit au sein d’une réelle communauté. Dans cette perspective, le rôle du chercheur ne consiste pas en l’objectification d’une réalité, mais dans l’analyse de sa relation avec cette réalité. Selon Wilson (2001), le

chercheur devient même imputable de cette relation, en quelque sorte, à la mise en relation (relationality) (p. 9).

La recherche autochtone tient pour acquis que chaque question ou chaque démarche de questionnement est inscrite dans un contexte à la fois politique et moral. Denzin et al. (2008) nomment « critical indigenous pedagogy (CIP) » (p. 2), cet amalgame des méthodologies découlant de la pensée autochtone et des pédagogies issues de la pensée critique, notamment celle de Freire (2006). Selon ces auteurs, cette méthodologie de la recherche doit être orientée vers les préoccupations du monde autochtone, tout en s’assurant de mesurer les retombées dans le monde autochtone. Considérant la contestation au regard des paradigmes néocoloniaux, les résultats de recherche se doivent de répondre aux besoins de la communauté concernée avant de répondre à des besoins qui servent uniquement la communauté scientifique (Kovach, 2009).