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Plusieurs études américaines ont démontré que des programmes culturellement signifiants avaient un effet bénéfique sur les taux de décrochage, la fréquentation scolaire et les comportements (Demmert, 2001). Toutefois, selon Aikenhead (1997), l’intégration dans le curriculum d’éléments culturels autochtones ne suffit pas. Il faut, celui lui, que la pédagogie qui soutient l’enseignement soit elle-même culturellement signifiante.Friedel

(2009) de même que Michell et al. (2008) mettent en doute l’efficacité de programmes dits d’enrichissement culturel, particulièrement lorsqu’ils sont offerts en parallèle du curriculum dit académique ou lorsqu’il s’agit simplement d’ajouts ponctuels. Ils parlent entre autres de tokenism, c’est à dire la manière superficielle d’aborder la culture de l’autre. Ces programmes présentés hors contexte auraient même des effets contreproductifs sur l’éducation des autochtones (Friedel, 2009) ou seraient jugés inefficaces (McCarthy, Giardina, Harewood et Park, 2005).

Afin de rendre signifiant les éléments de la culture autochtone, Yunkaporta (2009) suggère d’utiliser le territoire et le milieu comme sources de savoirs transculturels, non seulement en ce qui concerne les contenus à apprendre, mais pour la pédagogie comme telle. À cet égard, Battiste (2000) considère que de tenter d’établir cet équilibre nécessaire entre deux visions du monde constitue un défi pour l’éducateur d’aujourd’hui. La vision autochtone installe le territoire, l’espace physique, le milieu naturel en tant qu’élément culturellement important, lequel traditionnellement, faisait partie prenante de la relation éducative. Toutefois, l’école telle que conçue actuellement propose peu d’occasions d’utiliser l’extérieur à des fins pédagogiques.

Pour Barnhardt et Kawagley (2005), il ne suffit pas de substituer un savoir par un autre en utilisant des pratiques pédagogiques conventionnelles et eurocentriques.Il faut repenser le quoi, le quand, le comment et qui enseigne ces savoirs. Hermes (2005), pour sa part, avance que pour refléter vraiment l’épistémologie autochtone, des changements sont nécessaires à plusieurs niveaux : dans l’organisation scolaire (en autres dans la

gestion du temps scolaire), dans la langue d’enseignement, dans les contenus à faire apprendre, mais également dans les fondements pédagogiques dans lesquels les milieux scolaires s’inscrivent.

Au regard de la dimension culturelle autochtone, Thomas (2005) relate que certains enseignants ne se sentent pas à l’aise d’aborder des contenus qui traitent de la culture autochtone. L’absence de connaissance de la culture et de la perspective autochtone est relevé comme étant un problème par les enseignants eux-mêmes, et ce, même par des enseignants autochtones (Michell et al., 2008). En effet, un enseignant d’origine Mohawk de la banlieue de Montréal ne possède pas nécessairement les connaissances liées au territoire des Cris de la Baie James.

Selon Thomas (2005), plusieurs enseignants voient comme une imposture d’aborder des savoirs et des dimensions culturelles autochtones. Dans quelques occasions, lorsque les savoirs et la dimension culturelle sont amenés en classe par les enseignants, ces savoirs sont présentés en classe formelle et souvent dissociés du lieu d’où ont émergé ces savoirs. Ces savoirs sont également souvent considérés comme stagnants et passéistes ou même primitifs (Battiste, 2002a; McGregor, 2000, 2004; Simpson, 2004).

L’École en tant qu’institution, et ce, en raison du long épisode des écoles résidentielles, a généré chez plusieurs membres des communautés autochtones un inconfort au regard de l’institution scolaire en général. Les collaborations entre écoles, notamment les écoles publiques et les communautés autochtones locales sont embryonnaires dans plusieurs milieux. Les Aînés sont dans la culture autochtone

d’importants passeurs de la connaissance. Toutefois, ils se sentent peu engagés dans un contexte scolaire où les savoirs des Aînés y sont absents et peu valorisés Battiste (2002a). Certains Aînés y voient des dangers de stéréotyper davantage leur culture parce que les demandes qui leur sont faites relèvent très souvent du folklore ou d’une vision romantique des « Indiens » ou même de la représentation des « indiens morts » (King, 2014, p. 71). Ce concept développé par cet auteur met l’emphase sur la représentation souvent folklorisée et immuable des autochtones, notamment des Premières Nations lesquelles, sont souvent perçues comme des artéfacts dont les savoirs et les philosophies sont restés passéistes plutôt qu’ayant évolué avec le temps et les contacts.

Les principes éducatifs autochtones sont absents du curriculum scolaire du Québec et il n’existe pas actuellement de données sur la connaissance de ces principes de la part du personnel enseignant québécois. Les recherches au sujet de la pédagogie autochtone sont récentes et publiées pour le moment en anglais seulement. D’autres provinces toutefois ont fait le choix d’identifier ces principes et de les inclure dans le curriculum formel. C’est le cas notamment de la Colombie-Britannique qui affiche, l’on s’en souviendra, un taux relativement élevé de réussite scolaire parmi ses élèves autochtones. L’on retrouve d’ailleurs sur le site du ministère de l’Éducation de cette province des référents relatifs à la pédagogie autochtone « the First Peoples Principles of Learning generally reflect First Peoples pedagogy » (Gouvernement de la Colombie- Britannique, s.d.).

Intimement liés aux dimensions culturelles, les principes éducatifs autochtones s’inscrivent dans un processus fortement social, lequel se vit à travers les liens entre les membres de la communauté. Cette approche est transgénérationnelle et transpersonnelle et va au-delà de l’instruction (Deloria, 2001). Selon Raham (2009), la réussite scolaire des élèves autochtones est tributaire de la qualité de la relation maître-élève et Toulouse (2013) abonde dans le même sens. Selon certains auteurs, la qualité de la relation s’accompagne également d’un recours à des approches pédagogiques efficaces et multiples. Kanu (2011b), qui a interrogé des apprenants autochtones, a relevé neuf aspects et sous-aspects que ces derniers estiment susceptibles d’influencer leurs apprentissages scolaires ou même d’entrer en conflit avec des éléments de la salle de classe conventionnelle. Ces aspects sont : la tradition orale, l’apprentissage par étayage (learning scaffolds), l’apprentissage par observation et émulation, le concept de soi ancré dans la communauté, une communication claire entre l’enseignant et l’élève, le support de la communauté, l’infusion (l’intégration) d’un contenu autochtone et, finalement, une attitude chaleureuse, ferme et respectueuse de la part de l’enseignant.

Pour Tharp (2006) de toutes les réformes scolaires rien n’a plus d’effets sur les apprentissages et la réussite que ce qui s’opère dans la classe lors des activités d’enseignement-apprentissage entre l’enseignant et l’élève. Cet auteur américain a effectué des recherches comparatives entre les pratiques favorables à la réussite tant chez les autochtones que chez la population allochtone majoritaire. Pour lui, l’élément crucial dans la classe est la pédagogie. Il précise qu’une pédagogie dérivée des pratiques de socialisation autochtones servirait à tous les enfants qu’ils soient autochtones ou

allochtones. Selon cet auteur, une des particularités d’une pédagogie efficace serait le travail collaboratif où l’enseignant et les élèves produisent ensemble. Le recours à cette pédagogie, associée à des courants plus occidentaux comme la pédagogie du lieu (Place

Based), a d’ailleurs contribué à la réussite et à l’implication sociale chez des élèves

allochtones en classes d’adaptation scolaire au Québec (Campeau, 2011). En fait, il serait souhaitable que les enseignantes et les enseignants fassent appel au plus grand répertoire possible de stratégies pédagogiques (Battiste, 2002a; Demmert, 2001; Ingalls, Hammond, Dupoux et Baeza, 2006). En soi, cela réfère au concept de différenciation pédagogique. Or, pour plusieurs, bien que la différenciation soit vue comme une piste de solutions, ces derniers avouent ignorer comment s’y prendre (Presseau, Martineau et Bergevin, 2006).

Nous avons vu que la problématique du parcours scolaire des autochtones repose sur plusieurs facteurs. Ces facteurs sont d’ordre : historiques, culturels et identitaires, lesquels influencent parfois une relation conflictuelle avec l’école formelle. La prise en compte de la place de la dimension culturelle autochtone dans le système scolaire et dans la classe a également contribué à dresser le portrait de la problématique. Nous présentons dans la section suivante le problème spécifique que la recherche a voulu aborder.

ÉNONCÉ DU PROBLÈME DE RECHERCHE

Nous avons énoncé plus haut dans ce chapitre les divers facteurs qui influencent négativement le parcours scolaire des autochtones. Nous avons vu également que plusieurs recherches à travers le monde ont démontré que le recours à la dimension culturelle autochtone accompagnée d’une pédagogie qui était culturellement signifiante

pouvait avoir un impact positif sur le parcours scolaire des autochtones. Par ailleurs, bien qu’assez nombreuses dans le reste du pays, les préoccupations de recherche en ce qui concerne la réussite scolaire des autochtones sont relativement rares au Québec. Toutefois, certains travaux récents ont permis de jeter un regard sur des aspects de la problématique, mais également sur des solutions envisageables. Il s’agit de ceux de Lévesque, Polèse, de Juriew, Labrana, Turcotte, Chiasson (2015), lesquels ont réalisé une synthèse des connaissances sur la réussite et la persévérance scolaires des élèves autochtones au Québec. Moldoveanu, Potvin et Steinbach (2017) pour leur part, ont interrogé entre autres les pratiques de socialisation utilisées auprès d’élèves issus de l’immigration récente et d’élèves autochtones du primaire. Cependant, il existe peu de recherches au Québec qui interrogent les pédagogies à privilégier.

Considérant les divers éléments qui ont été présentés dans le cadre d’une problématique plus générale, le problème spécifique qui nous a interpellée pour la recherche relève donc de l’absence de référents à une dimension culturelle et à une pédagogie autochtone au sein du système scolaire québécois. L’éducation autochtone et la pédagogie qui en découle sont des disciplines relativement nouvelles et leurs épistémologies rarement abordées dans le contexte scolaire formel (Chartrand, 2010; Castagno et Brayboy, 2008). Yunkaporta (2009) mentionne que plusieurs recherches se sont intéressées à la culture et à la dimension culturelle autochtone et pourquoi il fallait l’intégrer en classe, mais que peu se sont intéressés au comment.