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Proposition d’un modèle axiomatique pour l’étude de l’usage d’un objet

1 Une axiomatique des biens et des usages : les biens comme espaces de conception

1.1 Proposition d’un modèle axiomatique pour l’étude de l’usage d’un objet

Nous proposons de dénouer la complexité du phénomène d’usage d’un bien en proposant un modèle axiomatique pour décrire les usages d’un objet donné. Celui-ci est fondé sur les trois catégories d’attributs que nous venons de mettre en exergue et que nous relions au modèle canonique de la conception(X, K, D, P)développé par Armand Hatchuel, Benoit Weil et Pascal Le Masson1. Ce modèle de conception, dont le lecteur trouvera une présentation ci-après, nous paraît pertinent, car c’est un modèle général permettant de décrire l’interaction entre un espace des objets X, un espace des décisions sur les objets D, un espace de propositions sur les objets P, ainsi qu’un espace de connaissances modélisant un acteur concepteur K.

1. Hatchuel, Armand et Weil, Benoit Polycopiés du cours d’Ingénierie de la Conception, École des Mines de Paris, 2006.

Le modèle canonique de la conception

Le modèle canonique(X, K, D, P), dont les lettres représentent successivement : objets, connaissances, décision, objectifs, a été développé par Armand Hatchuel, Benoit Weil et Pascal Le Masson. Ce modèle canonique de la conception permet notamment de distinguer les théories de la décision et de la programmation des théories de la conception, tout en offrant un formalisme indépendant des objets à concevoir.

Dans le cadre de ce modèle canonique de la conception, X représente l’espace des objetsxi incluant les relations R entre ces objets, K(X)représente l’ensemble

des propositions connues et vraies sur(X, R).D(X)représente l’espace des décisions sur X, c’est-à-dire une proposition de K(X) sur lequel l’acteur-concepteur peut agir, et enfin un ensemble de propositions P(x) qui forment une définition en intension d’un objetxi (un concept dexi). Les auteurs de ce modèle expliquent que

l’activité de conception d’un objetx correspond à trouver un ensemble de décisions d1, d2, . . . , dk sur l’espace de décisionD(X) tel que la définition en intension dex :

p1(x), p2(x), . . . , pi(x)soit vraie dansK(X).

L’ensemble{pi(X)} =P(X)forme un concept de l’objet à concevoirX, c’est-

à-dire une définition en intension de l’objet et qui guide la conception. L’ensemble

{di(X)} correspond à une définition constructive deX, un ensemble de décisions

prises par le concepteur pour construireX afin de rendre P(X)vrai dansK(X). La conception consiste alors à construire la liste des di(X), c’est-à-dire trouver

{d1, d2, . . . , dk} 2D(X), non vide et fini, tel que :

{d1, d2, . . . , dk} ! (9x2X, p1(x). . . pl(x) 2K(X))

Les auteurs distinguent par la suite deux situations : soit l’ensemble des décisions appartient à l’espace de connaissances (on est alors dans une logique d’optimisation propre aux théories de la décision) soit ces décisions n’appartiennent pas à l’espace des connaissances, auquel cas on bascule dans une situation de conception où la construction progressive de l’objet à concevoir s’opère dans l’inconnu.

Ce langage formel nous permet de décrire les raisonnements de concep- tion indépendamment des objets de la conception. Aussi, bien que le for- malisme (X, K, D, P)ait été principalement mobilisé dans la description des

activités de conception d’artéfacts, nous l’employons ici dans une perspective nouvelle : celle de décrire les objets techniques ainsi que les activités de conception d’usages qu’ils sont capables de supporter.

Considérons un espace X de biens dont nous étudions les usages. X est un espace d’objets X = {x1, x2, . . . xn}que nous définissons d’une manière

abstraite pour décrire la grande variété de situations : X peut être un objet unique, une collection d’objets en relation, ou encore un sous-système inclus dans un artéfact d’ordre supérieur.

Étant donné X, nous pouvons décrire un usage de X comme étant un ensemble de décisions d1(X), d2(X), . . . , dk(X)prises sur X pour réaliser un ensemble de propriétés p1(X), p2(X), . . . , pl(X)décrivant un état souhaité.

La notion d’usage telle que nous venons de la décrire s’inscrit donc au sein de trois dimensions, une dimension relative à l’artéfact, une dimension relative aux actions qu’elle permet ainsi qu’une dimension caractérisant les effets de l’action. Décrivons plus précisément ces quatre espaces tels dans une perspective de conception d’usages :

Espace des objets X

L’espace des objets dans sa forme la plus générale est constitué d’une collection d’ensembles d’artéfacts incluant les relations entre eux. La notion de bien nous semble ici trop restrictive, car celui-ci n’est-il pas lui-même la réunion d’un ensemble de composants ? Il ne paraît pas évident de pouvoir définir l’élément unitaire minimal qui constituerait un bien acceptable vis-à- vis d’une théorie de l’usage. Nous proposons alors de qualifier cet espace de système technique, c’est-à-dire un ensemble de propriétés d’un bien pris comme système. On peut de cette manière tout autant considérer un objet technique dans son ensemble, qu’une partie de ces composants, dès lors qu’ils forment un système cohérent avec des classes d’actions associées. Prenons l’exemple d’un artéfact complexe en ce sens : le système de location de vélos en libre-service parisien Vélib’. On peut considérer tour à tour comme système technique, le système dans son entièreté, à savoir l’ensemble des vélos, accompagné des stations d’accueil, des différentes cartes des usagers, du dispositif de communication par réseau GSM, les serveurs de stockage de l’information, et ainsi de suite. Mais on pourrait aussi ne considérer en système technique qu’une petite sous-partie du Vélib’ : la selle du vélo et son système de réglage, par exemple.

Classes d’actions associées D(X)

des décisions, des démarches qui sont rendues possible à l’usager par le système technique X considéré. Dans le point précédent, nous considérions tour à tour des sous-systèmes du système Vélib’ ; chacun d’entre eux génère alors une variété de classes d’actions associées, reprenant tous les différents scénarios d’usages des cyclistes qui peuvent se déplacer plus rapidement, de l’entreprise qui gère le réseau, des équipes de maintenance qui entretiennent le système, etc. Par exemple, pour le sous-système x ={selle + système de réglage}, les classes d’actions sont plus limitées : elles permettent de modifier la hauteur de la selle et son orientation.

Le système de valeurs P(X)

L’usage s’inscrit aussi dans un ensemble de valeurs qui viennent légitimer l’action de l’usager. Ce système de valeurs est composé d’un ensemble de propriétés qui permettent de décrire l’état souhaité. Dans l’exemple de Vélib’ que nous avons évoqué, le sous-système de {la selle + son système de réglage} permet de modifier la hauteur de la selle, pi(x) =pour l’adapter aux morphologies spécifiques à chacun. Cette dimension P renvoie aussi aux représentations sociales d’un usage, au règles et pratiques sociales dans laquelle l’utilisation d’une ressource technologique s’inscrit.

Une modélisation des compétences de l’usager K(X)

Cet artéfact ou système technique x n’existe pas seul, mais comprend un ensemble de connaissances qui lui sont rattachées. En particulier, il est le fruit d’un travail de conception par un acteur concepteur et à ce titre il comporte un modèle des compétences de l’usager, des scénarios d’usage dans lequel il sera supposément amené à être employé. L’espace des connaissances K peut être vu comme un modèle de l’usager pensé par les concepteurs. Par souci de garder une axiomatique la plus générale possible, nous proposons de ne pas considérer que les espaces D et P appartiennent à K, mais de continuer à les distinguer. Considérons K(X)comme étant un modèle de l’usager tel qu’envisagé par les concepteurs.

En mobilisant ces quatre espaces, nous pouvons écrire une première définition de la notion d’usage d’un bien :

Étant donné xi 2 X, un usage de xi est la construction d’une

séquence{d1(xi), d2(xi), . . . , dj(xi)permettant de réaliser un ensemble

de propriétés{p1(xi), p2(xi), . . . , pk(xi)}.

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