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4 L’innovation par l’usager : les limites de l’omni-concepteur

4.4 Conclusion sur le paradigme de l’usager-concepteur

La vision qui est décrite de l’usager est séduisante en ce sens qu’elle cherche à remettre l’usager au centre du débat sur les processus de conception. Il semblerait qu’on l’avait “perdu” dans la manière de penser la conception de nouveaux produits, cette distance avec l’usager étant liée à la rationalisation des activités de conception et des relations à l’usager.

4.4.1 La proposition d’un nouveau mythe rationnel avec l’usager-concepteur

Ce courant de recherche initié par von Hippel veut proposer une alter- native au modèle de l’innovation centrée sur la firme. Il est conduit par une vision du monde nouvelle qui est de réhabiliter l’usager en tant qu’il est concepteur au même titre que la firme. Cet usager-concepteur prend toute sa densité dans la figure emblématique du lead-user décrite par la littérature. D’après von Hippel le lead user est un acteur doté de deux compétences bien différentes :

– le lead-user est capable de penser des usages nouveaux (inconnus des concepteurs) pour des biens existants ;

– le lead-user est capable de concevoir de nouveaux biens pour ces usages. Il faut se garder de tout amalgame entre ces deux capacités et bien les penser séparément. Car si l’accent a principalement été porté sur la description des biens conçus par ces usagers-concepteurs, ce qui nous intéresse dans la perspective de notre thèse est bien sa capacité à penser de nouveaux usages21.

Tout comme nous l’avions fait avec l’étude des logiques de rationalisations opérées par la littérature sur la conception réglée, nous pouvons ici nous poser la question du mythe rationnel qui sous-tend l’effort réalisé par courant de recherche sur l’usager-concepteur. Cette figure du lead-user présente des

21. La partie II sera l’occasion pour nous d’y revenir plus en détail, lors de la mise en place de notre modèle théorique des capacités de conception d’usages.

caractéristiques particulières : il est un expert de la conception, capable tout à la fois de concevoir de nouveaux biens, de nouveaux usages, de formuler de nouveaux projets et de les mener à bout. De plus il est souvent décrit comme étant une figure solitaire, ou en communauté réduite : les innovations apparaissent dans des cercles restreints d’usagers et celles-ci se diffusent lorsque des firmes conceptrices récupèrent ces innovations pour les commercialiser à grande échelle.

Un mythe rationnel partagé par d’autres littératures

On retrouve derrière ces hypothèses sur l’usager comme concepteur très compétent, une autre figure largement discutée dans la littérature : celle du “bricoleur”telle que décrite par Lévi-Strauss (Lévi-Strauss, 1969). Ce bricoleur doit "s’arranger avec les moyens du bord" et pratiquer le détournement. Rappelons la manière dont Lévi-Strauss définit cette figure :

“le bricoleur reste celui qui œuvre de ses mains, en utilisant des moyens détournés par comparaison avec ceux de l’homme de l’art”

“Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversi- fiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les « moyens du bord », c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures.” — Lévi-Strauss (1969)

Ainsi en proposant une définition du bricoleur ayant un espace de biens fini, Lévi-Strauss cherche plus particulièrement à mettre l’accent sur la capacité de conception propre au bricoleur. Il défait son acteur de la capacité à étendre l’espace des biens à sa disposition. . . pour montrer que celui-ci

peut néanmoins être concepteur : il étend sa capacité d’action à univers instrumental constant.

4.4.2 Les difficultés à sortir de l’analyse d’usage

Malgré les apports certains et la fertilité de ce champ de recherche, nous pouvons finalement porter un regard critique sur cette littérature : alors que von Hippel cherchait dans ce nouveau paradigme une manière de formaliser l’émancipation des usagers par rapport au modèle premier (producteur / usager ) décrit dans le chapitre précédent, on peut constater qu’il s’agit aujourd’hui plutôt d’une logique d’amendement de ce modèle qu’il critique. Certes il décrit une catégorie d’usagers particulièrement compétente et innovante, en revanche la mobilisation des apports a été principalement une manière de repenser l’analyse d’usage traditionnelle.

Par rapport à notre matrice proposée dans le premier chapitre de cette partie, la littérature sur l’usager-concepteur décrit une situation dans laquelle les usages d’un bien sont considérés connus des usagers et inconnus des concepteurs (figure 17).

pour les usagers pour les usagers

usages connus usages inconnus usages connus usages inconnus

les deux acteurs ont la connaissance des usages du bien

comment transférer les usages pensés par les concepteurs aux usagers ?

comment transférer la connaissance sur les usages des usagers aux concepteurs ?

les usages du bien sont inconnus des deux types d’acteurs : concepteurs et usagers

pour les concepteurs

étant donné un bien :

Conception réglée Ergonomie Analyse d'usage User- innovation

Figure 17 | Positionnement de la littérature sur l’usager concepteur dans notre axiomatique

5 Le détournement d’usage légitimé : une conception

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