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Proposition d’un instrument d’investigation de la littérature Le découplage qui s’est organisé entre concepteurs et usagers a conduit

2 L’usage comme leitmotiv pour les approches en gestion de l’innovation

2.2 Proposition d’un instrument d’investigation de la littérature Le découplage qui s’est organisé entre concepteurs et usagers a conduit

les chercheurs à repenser les modes d’interaction entre ces deux acteurs. C’est notamment en cherchant à rationaliser les processus de conception de nouveaux biens que les chercheurs se sont intéressés à la question de l’usage. L’usage apparaît ainsi comme étant au centre des préoccupations des concepteurs aujourd’hui, avec une littérature abondante qui propose des alternatives sur la manière de procéder. De cette abondance ce dégagent néanmoins de grandes thématiques qui cristallisent les diverses approches, par exemple autour des dispositifs d’analyse d’usage pour permettre aux concepteurs d’intégrer les dimensions liées à l’usager dans le processus de conception de nouveaux biens.

Afin de nous permettre d’aborder cette vaste littérature sur le rapport entre concepteur et usagers, nous proposons de définir une outil simple qui consiste à prendre deux hypothèses contrastées sur l’usage, pour cha- cun des deux types d’acteurs. On peut en effet considérer que les usages d’un bien donné peuvent être soit connus, soit inconnus. Ces axiomes sont certes quelque peu caricaturaux : la plupart des biens comportent plutôt une part d’inconnu sur l’usage. On aurait ainsi une gradation de la part d’inconnu pour un bien donné, avec à une extrémité les biens familiers aux usages considérés totalement connus (par ex. un crayon pour écrire), des biens mystérieux aux usages inconnus (par ex. un archéologue trouvant un artéfact inconnu lors de fouilles), et tout un ensemble de biens aux usages en partie inconnus (par ex. un nouvel instrument scientifique dont on connaît quelques usages, mais dont une partie reste à concevoir).

Nous proposons ainsi de formuler la matrice suivante : étant donné un ensemble d’acteurs concepteurs ou usagers d’un bien, étant donné un bien et un ensemble d’usages associés, pour chacun de ces acteurs l’usage du bien peut être soit considéré comme connu ou inconnu. Cette matrice génère alors quatre types de situations que nous décrivons ci-après (figure 7, page 61). Elle nous servira par la suite d’outil d’investigation de ce vaste champ consacré à l’usage et la conception.

pour les usagers pour les usagers

usages connus usages inconnus usages connus usages inconnus

les deux acteurs ont la connaissance des usages du bien

comment transférer les usages pensés par les concepteurs aux usagers ?

comment transférer la connaissance sur les usages des usagers aux concepteurs ?

les usages du bien sont inconnus des deux types d’acteurs : concepteurs et usagers

pour les concepteurs

étant donné un bien :

Figure 7 |Proposition d’un outil d’investigation pour parcourir l’état des questions sur le rapport entre usage et conception dans la littérature

Revenons en détail sur chacune de ces quatre situations générées : 1. Les usages du bien sont considérés connus des concepteurs et usagers.

Cette situation est la plus fréquente, c’est celle pour la plupart des objets qui nous entourent. L’ensemble des acteurs partagent un modèle com- mun des usages d’un bien, et ce modèle n’est pas amené à être modifié. Une firme conceptrice d’agrafeuses de bureau peut raisonnablement supposer être dans ce type de situation. Les logiques d’usages de l’objet sont stabilisées, les biens complémentaires le sont aussi (agrafes, feuilles, tables, . . . ). La conception d’une nouvelle agrafeuse se fait à modèle d’usage constant, et permet notamment de traduire ce modèle par un cahier des charges fonctionnel.

2. La situation d’usages inconnus par les destinataires a aussi été beaucoup étudiée : par exemple lors de l’introduction d’un nouveau bien aupa- ravant inconnu sur un marché. L’introduction du four à micro-ondes dans les foyers est de cet ordre : il introduit de nouveaux usages qui sont inconnus des usagers. Temps de cuisson, manière de programmer, types d’aliments et objets que l’on peut réchauffer, sont tous inconnus,

et sensiblement différents des usages d’un four traditionnel. Le rôle des concepteurs dans ces situations est de développer des logiques de formation du client et de l’usager. Les manuels d’utilisation ou la publicité participent à ces logiques de formation.

3. Une situation plus surprenante est celle des usages inconnus des concepteurs, mais connus des usagers. Ces situations peuvent par exemple correspondre au développement par des usagers, et loin des yeux des concepteurs, de nouveaux usages pour des objets connus. C’est le cas dans de nombreux domaines, par exemple dans celui du sport extrême, dans lequel les usagers développent de nouveaux types d’activités et d’usage de biens existants. Le vélo tout-terrain ou le kite-surf on fait l’objet d’investigations par des chercheurs (Tietz, 2005 ; Lüthje, Herstatt et Von Hippel, 2006). Ces situations amènent à penser de nouveaux modes de relation entre les usagers et les concepteurs, pour transformer ces expériences singulières de nouveaux usages en connaissances pour les concepteurs afin de développer de nouveaux produits.

4. Enfin, la formalisation de notre matrice de cette manière nous génère une quatrième case des plus insoupçonnées : celle de biens aux usages inconnus des deux parties. À priori, ce type de situation constitue une absurdité : un bien sans usages connus (ou aux usages majoritaire- ment inconnus). Et pourtant nous avons déjà vu dans l’introduction que ce type de situation pouvait arriver. Dans l’exemple de Twitter, les concepteurs initiaux considèrent qu’ils ne peuvent pas connaître l’ensemble des usages futurs du service qu’ils viennent de concevoir. Cela n’empêche pas qu’ils aient déjà des idées et des projets d’usages en tête, mais cette dernière situation accepte une opportunité d’inconnu sur les usages à venir.

Nous proposons d’étudier au moyen de cet outil d’investigation les différents efforts de rationalisation qui ont structuré la littérature, et portant sur la relation entre conception de biens, présupposés sur les usagers, et hypothèse sur les usages. Le chapitre suivant est consacré à l’étude de la notion d’usage dans les processus de conception dite réglée, correspondant

aux usages connus du concepteur (case 1 et 2). Le chapitre 4 s’intéresse à la littérature sur l’innovation par l’usager, qui coïncide avec les situations où l’usage est considéré comme connu des usagers et inconnu des concepteurs (case 3). Enfin, nous verrons dans le chapitre 5 la littérature qui a formalisé des phénomènes qui correspondent aux situations d’usages inconnus. 2.3 Une analyse des vagues de rationalisation par les mythes

rationnels associés

Hatchuel et Weil (1992) ont proposé une notion qui permet de mieux définir les logiques à l’œuvre dans ces “vagues de rationalisation” (Hatchuel et Weil, 1994), en mobilisant le concept de mythe rationnel. En caractérisant la nature des techniques managériales, les auteurs ont proposé le principe selon lequel “la rationalisation est un objectif mythique, figure du progrès des entreprises” et que celle-ci s’appuie sur des “mythes rationnels”, c’est-à-dire des propositions qui comportent tout à la fois une dimension objective ainsi que des représentations plus métaphoriques et symboliques, permettant au sein de la complexité du réel d’évoquer un champ d’action compréhensible, ainsi que mobiliser les acteurs concernés (Hatchuel et Weil, 1992).

Les différents courants de recherche que nous étudions dans les trois prochains chapitres viennent tous proposer un déplacement du mythe rationnel, et celui-ci est directement relié aux hypothèses sur les figures d’usager qu’ils affichent. Chaque chapitre sera l’occasion pour nous d’isoler ces figures d’usager particulières dans les propositions de la littérature, et nous proposons enfin dans le dernier chapitre de cette partie, (chapitre 6, page 107) une analyse plus approfondie des conséquences de cette focalisation des mythes rationnels sur l’usager.

3 L’usage réduit aux fonctions dans la conception

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