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C. Discussion.

A propos de la méthode.

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1.1. Les entretiens semi-dirigés.

- Difficultés rencontrées :

La principale difficulté lors de la réalisation des entretiens semi-dirigés concernait la présence des patients sélectionnés aux entretiens prévus. En effet, 7 patients qui avaient répondu positivement à notre demande d’entretien se sont finalement désistés.

La première personne, jeune patiente de 22 ans diabétique insulino-dépendante non équilibrée, en situation très précaire (vivant en foyer, faible soutien social, qui venait de perdre son emploi) que j’avais recruté au cabinet de médecine générale au cours de mon SASPAS l’été 2014, sur les conseils de mon maître de stage, le Docteur Plane. Elle était initialement partante pour l’entretien, et avait préféré qu’il se déroule à mon domicile. Il lui avait été expliqué que le trajet lui serait dédommagé, (elle ne souhaitait pas que je passe la récupérer en voiture, ni qu’on fasse l’entretien au foyer ou dans un lieu neutre) et que ça se passerait dans une ambiance conviviale, sur le canapé, autour d’un verre, avec anonymisation des données. La veille, je l’avais rappelé pour m’assurer qu’elle était toujours partante et sa réponse fut positive. Le jour de l’entretien, elle ne s’est pas présenté mon domicile. Je l’ai donc rappelé, sans réponses de sa part. Je me suis permis de lui laisser un message sur son répondeur, en lui expliquant qu’il n’y avait aucun facteur de gravité à son absence et qu’on pouvait remettre l’entretien en fonction de ses disponibilités. Je n’ai jamais eu de réponses.

Quelques mois plus tard, au cours d’un remplacement chez ce même médecin, je revois la patiente pour des complications cutanées du diabète. Son HBA1C est élevée. Je cherche à comprendre les raisons de son inobservance. Elle m’explique alors qu’il lui arrive de ne pas faire ses injections d’insuline plusieurs jours de suite parce qu’elle « en a marre ». Elle décrit une vie compliquée et le diabète se surajoute à ses soucis quotidiens « comme si elle n’en avait déjà pas assez ». Elle reste cependant assez optimiste, elle a retrouvé un emploi. Je cherche également à comprendre les raisons de son désistement à l’entretien. Elle m’explique alors qu’elle avait beaucoup de soucis à ce moment-là (recherche d’emploi, pas de quoi se nourrir), qu’elle ne faisait alors plus du tout attention à son diabète, n’avait pas le courage de me rappeler car elle avait honte, et ne souhaitait plus participer à l’enquête.

Le second patient, 52 ans, hypertendu, dyslipidémique et sous traitement substitutif par SUBUTEX®, également recruté au cours de mon SASPAS durant l’été 2014. Lui

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avait souhaité que l’entretien se déroule à son foyer dans la salle commune vers 10h car « on sera tranquille à ce moment-là ». Une date ainsi que l’horaire étaient donc convenus. Quelques jours avant l’entretien ainsi que la veille, je le recontacte pour m’assurer qu’il n’ait pas changé d’avis. Il m’explique alors, la veille de l’entretien prévu, sur un ton enjoué, qu’il est toujours d’accord et qu’il me retrouvera dans la salle commune du foyer à 10h. Je me présente donc comme convenu, mais le patient était absent. Je décide alors d’aller frapper à la porte de son logement, mais pas de réponses < Je tente de l’appeler, mais là encore pas de réponses. Je n’ai jamais revu le patient.

Un autre patient, 57 ans, aux antécédents de BPCO, tabagisme actif, et hypertrophie bénigne de la prostate, recruté également durant l’été 2014 au cabinet de médecine générale, avait préféré que l’entretien se déroule à mon domicile. Les mêmes dispositions avaient été prises concernant l’information du patient quant au remboursement du transport, anonymisation des données, et le rappelle la veille de l’entretien prévu. Le matin de l’entretien, le patient m’envoie un SMS pour m’annoncer qu’il ne sera finalement pas disponible ce jour-là, s’en excuse et me dit réfléchir à une autre date. Il me propose de le rappeler quelques jours plus tard le « jeudi ». Je réponds au SMS en lui disant que ça n’est pas grave et qu’on trouvera une autre date ensemble. Je le rappelle donc comme convenu, à plusieurs reprises sans réponses, et sans connaitre les raisons de son désistement.

Une autre patiente m’avait donné ses coordonnées téléphoniques au cabinet au cours d’une consultation, se disait intéressé par le champ de l’étude, et il était convenu que je la rappelle la semaine d’après pour convenir d’un rendez-vous. (Il était impossible de réaliser l’entretien au cabinet dans l’instant, des rendez-vous étant encore fixés). Or le numéro donné par la patiente n’était pas le bon, et la patiente ne figurait pas dans les pages blanches. Je ne l’ai jamais revu.

La cinquième patiente qui s’est désistée avait 32 ans au moment du recrutement. Ses principaux antécédents étaient une BPCO avec un tabagisme actif et un éthylisme sevré sous BACLOFENE®. Elle a, comme les autres patients, été recruté au cabinet de médecine générale au courant de l’été 2014 durant mon SASPAS. Très enthousiaste, j’ai pris ses coordonnées et lui ai expliqué que je démarrais les entretiens au courant de l’automne. Début septembre, je l’ai donc rappelé à plusieurs reprises, en laissant un message sur son répondeur, sans aucun retour de sa part.

Il en est de même pour 2 autres patients en situation précaire présentant au moins une maladie chronique recrutés au cours de mon SASPAS durant l’été 2014. Au moment de débuter les entretiens à la fin de l’été, les personnes ont été rappelés, un message a été laissé sur le répondeur systématiquement. Les patients n’ont donné aucun retour.

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Les patients qui se sont désistés sont essentiellement ceux recrutés « trop tôt », courant de l’été 2014, au moment de la rédaction du synopsis. Le script des entretiens n’était pas encore finalisé, ce qui nous a fait commencer les entretiens en septembre. Un délai de 1 à 2 mois s’est donc écoulé entre le moment où nous avons proposé aux patients de rentrer dans l’étude, et le moment où nous les avons recontactés, ce qui explique très probablement leur désistement. Dans l’idéal, les entretiens auraient dû être réalisés immédiatement après l’accord du patient, car les patients précaires ont souvent des vies pleines de ruptures et deux mois peuvent signifier plusieurs changements, ils ont aussi un rapport au temps « dans l’instant ». Pour les raisons évoquées les entretiens ne pouvaient pas être immédiats, le recrutement s’étant fait pendant les consultations, ce qui ne nous laissait pas de temps suffisant pour faire un entretien de qualité.

Ce qui nous questionne, c’est le désistement « de dernière minute » des patients d’accord pour participer à l’étude, jusqu’à la veille de l’entretien prévu. Mais comme nous l’avons mentionné plus haut, les patients en situation précaire ont souvent une vie marquée « au jour le jour ». Ils vivent dans l’instant présent et ont du mal à se projeter. On peut aussi incriminer la peur de la rencontre, du regard du professionnel, la fuite de dernière minute devant une mise en situation qui pourrait les fragiliser. Nous n’avions pas tenu compte de ces données lors du recrutement des patients.

En dehors d’un seul retour que nous avons eu, où la patiente nous expliquait que c’est parce qu‘elle avait d’autres soucis et qu’elle avait honte de son inobservance qu’elle s’était finalement désistée en dernière minute, nous n’avons pas réussi à joindre les autres patients pour connaitre les raisons de ce désistement soudain.

Il a été pensé de rappeler les patients à distance de la prise de contact de septembre pour comprendre les raisons qui les ont fait renoncer aux entretiens, mais le but n’est pas de les accabler, d’autant que plusieurs appels avec messages ont été réalisés au moment de la reprise de contact en septembre 2014.

Une autre question s’est posée pour les entretiens censés se dérouler à mon domicile : si on avait avancé l’argent du transport, les patients seraient-ils venus ? Mais là encore, comme la première prise de contact s’est réalisée en juillet-aout, et que les entretiens étaient prévus à partir de septembre 2014< ça aurait néanmoins été possible d’envoyer l’argent par voie postale.

D’autre part, aucun entretien n’a été réalisé à mon domicile, les patients se désistant systématique, bien que ce fût leur choix initial. L’entretien en tête-à-tête au domicile du « docteur » a surement été un facteur déstabilisant, la mise en situation dans un environnement qu’ils se représentent éloigné du leur, avec, sans doute, la peur d’être jugé par une personne qui n’est pas de leur milieu et qu’ils ne connaissent pas.

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Nous avons également été confrontés au refus de certains patients, qui ne souhaitaient pas participer à l’étude. Les raisons invoquées étaient que « ça ne les intéressait pas » ou « qu’ils n’avaient pas le temps ».

- Biais :

Les patients les moins observants ont souvent refusé l’entretien ou se sont désistés. Par ailleurs, les patients non observants sont le plus souvent en rupture avec le système santé. Ceux qui ont accepté les entretiens semi-dirigés étaient en majorité des patients plus ou moins « stables » sur le plan financier, et avaient pour la plupart retrouvé des liens sociaux. Nous avons également recruté les patients au cabinet de médecine générale, les patients n’étaient donc pas en rupture totale avec le système de santé.

De plus, les patients vus en entretiens se retrouvaient pour la plupart en tête à tête avec moi pour la première fois, ce qui a pu freiner leur libre expression, créer une difficulté à se confier à une inconnue. Dans les focus groups, il y avait toujours des intermédiaires et ils étaient plusieurs à participer, créant une dynamique de groupe. Il aurait donc peut-être été intéressant de réaliser les entretiens avec une tierce personne connaissant le patient pour lui permettre de se livrer plus aisément.

Pour certaines questions posées nous pouvons également supposer un biais de désirabilité sociale, pour toutes questions relative au médecin traitant, notamment lorsque nous évoquons la confiance accordée au médecin traitant ou la qualité de l’information reçue quant aux traitements prescrits ou leurs pathologies.

Pour limiter les biais d’interprétation, les entretiens manuscrits et les résultats ont été relus par une sociologue du cabinet Etudes et Développement de Nancy.

1.2. Les focus groups.

La limite des focus groups est que je n’y ai pas participé, je n’ai donc pas pu assister à l’interaction entre les personnes participantes. Cependant, ils ont été riches en informations, les patients s’emblaient s’exprimer librement. Le fait d’être en groupe, d’avoir différents médiateurs, notamment la sociologue du cabinet Etudes et Développement rattachée au mouvement ATD toujours présente, a pu rendre leur expression plus libre. Enfin le partage de la parole a été réalisé sur de nombreuses années dans la confiance, avec une méthodologie construite avec les participants et validée par eux.

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Les entretiens semi-dirigés valident les résultats des