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Matériel et méthodes. 2

B. Les entretiens semi-dirigés. Objectifs

1.

L’objectif premier était de vérifier si les entretiens semi-dirigés validaient les résultats des 14 années de focus groups, ces derniers n’abordant pas le thème spécifique de l’observance médicamenteuse.

En effet, certains chercheurs suggèrent que les focus groups ne devraient pas être utilisés seuls, mais dans une perspective de triangulation. Selon certains, ils n’éclaireraient qu’une partie de la réalité sociale, et la déformeraient même parfois. Pour compenser ces lacunes, ils suggèrent de les combiner avec d’autres méthodes d’analyse : des entretiens individuels, des grilles d’observations, ou des questionnaires (55). Nous avons choisi les entretiens semi-dirigés. Ce choix repose essentiellement la place laissée à l’expression libre des patients sur un thème aussi vaste et compliqué que celui de l’observance médicamenteuse, ainsi que sur la possibilité offerte de relancer le dialogue en fonction des observations faites. Par ailleurs, les patients en situation très précaire peuvent rencontrer des difficultés avec l’écrit, les questionnaires paraissaient donc inadaptés. Le « contact direct » avec les patients en situation précaire est également plus intéressant, car il permet de pénétrer dans un univers souvent cloisonné.

L’objectif secondaire était d’étudier l’observance médicamenteuse chez les patients précaires pour les pathologies aiguës et les freins mis en avant. Ce thème n’a pas été abordé au cours des focus groups, et il nous a semblé intéressant d’aborder ce sujet avec les patients interviewés.

Matériel et méthodes.

2.

2.1. Population étudiée.

Les patients ont été recrutés dans les cabinets de médecine générale de Meurthe-et-Moselle d’août 2014 à avril 2015 par A. Criton, médecin généraliste exerçant à Nancy, par J-J Derlon également médecin généraliste à Nancy, ainsi que par moi-même au cours des consultations, initialement en SASPAS puis en remplacement chez P. Plane, médecin généraliste exerçant à Jarville. Ces trois médecins travaillent beaucoup avec des patients en situation précaire, voire d’extrême pauvreté. Le travail de thèse a été présenté oralement aux patients, par moi-même

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ou A. Criton, en précisant les objectifs de l’étude. Pour les patients vus au cabinet ou au foyer, l’autorisation d’accès à leur dossier médical leur a été demandée.

Les critères d’inclusion étaient les suivants : - patient majeur

- acceptant l’entretien et l’enregistrement audio

- maitrisant la langue Française, mais pouvant être d’origine étrangère - bénéficiant de la CMU, CMU-C, AME, ACS, AAH ou étant en ALD

- présentant au moins une maladie chronique (traitement depuis au moins 6 mois consécutifs), nécessitant au moins un traitement quotidien

- vivant en situation de précarité

La précarité était définie par des difficultés énoncées par le patient au moment du recrutement concernant l’absence de complémentaire santé pour raisons financières, des conditions de vies difficiles, logement précaire, absence de travail, ou travail instable.

L’inobservance médicamenteuse ne faisait pas partie des critères d’inclusion. Le but de l’étude étant de comprendre ce qui pouvait les faire adhérer ou non à un traitement pour une pathologie aussi bien aiguë que chronique. Par ailleurs nous cherchions à étudier le rapport aux médicaments des patients précaires. Si nous avions inclus que des patients non observants, les résultats auraient probablement été biaisés.

Ainsi, nous avons interrogé 7 patients jusqu’à arriver à saturation des données, 4 hommes et 3 femmes.

Sur les 7 patients, 6 étaient diabétiques. Cinq patients vivaient en HLM, deux patients en foyer au moment des entretiens.

2.2. Organisation des entretiens.

Les entretiens ont commencé en octobre 2014. Ils étaient toujours réalisés selon la convenance des patients, avec un rendez-vous fixé. Plusieurs choix étaient mis à leur disposition : dans un lieu neutre (cabinet, salle commune d’un foyer par exemple), à leur domicile ou à mon

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domicile à Vandœuvre-lès-Nancy. Dans tous les cas, en cas de déplacement du patient, le transport aller-retour lui était dédommagé et le patient en était informé.

Ainsi, nous avons vu 3 patients au cabinet, et 2 à leur domicile et 2 en foyer. Les entretiens se sont toujours déroulés dans le calme, seul le patient et moi-même étions présents.

Nous n’avons pas fixé de temps limite, afin de pouvoir laisser les patients s’exprimer librement, sans contrainte horaire. Il était précisé que la durée de l’entretien dépendait d’eux, en fonction de ce qu’ils avaient à dire, et que ça pouvait durer de 15 minutes à 1h. Ainsi les entretiens allaient de 14 à 55 minutes pour le plus long, avec une moyenne de 37 minutes. Les patients ont globalement été ravis de participer à l’étude, et ont montré beaucoup d’enthousiasme. Une patiente en revanche s’est montrée assez stressée. C’est l’entretien le plus court de 15 minutes.

2.3. Le script des entretiens.

Un script des entretiens a été élaboré à partir des différentes thématiques issues de la recherche bibliographique. Nous avons fait attention à élaborer le script avant la lecture et l’analyse des focus groups et il a été validé par une sociologue du cabinet Etudes et Développement de Nancy. Il a servi de « guide », de fil directeur pour moi, novice en la matière, le but étant de laisser parler le patient librement tout en le guidant sur certaines thématiques que nous cherchions à approfondir. Des questions ouvertes étaient ainsi le plus souvent utilisées afin de laisser une grande liberté d’expression. Chaque entretien démarrait par une brève présentation de l’étude. L’ordre des « questions » n’a pas été respecté, en dehors des questions « générales » sur le mode de vie et le niveau socio-économique, qui avaient pour but de mieux connaitre les patients. Puis il y avait une partie sur le rapport aux médicaments en général, et le rapport à la santé et le monde de la santé. Durant chaque entretien, nous avons été très attentifs aux réactions des patients que nous avons ensuite retranscrites.

Annexe 2 : Script des entretiens.

2.4. Recueil des informations.

Chaque entretien a été enregistré avec l’accord des patients, à l’aide d’un dictaphone, puis retranscrit intégralement et le plus fidèlement possible en respectant l’anonymat des patients.

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Leurs attitudes et réactions durant l’interview ont également été notées. Le dictaphone a vite été oublié par les patients qui parlaient plus aisément après quelques minutes de discussion.

2.5. Analyse des entretiens.

De même que pour les focus groups, une analyse qualitative a été effectuée.

Les entretiens ont d’abord été réécoutés et relus un par un, faisant l’objet d’une analyse individuelle, puis une analyse thématique a été réalisée en fonction des grands thèmes et mots clés dégagés par les entretiens.

Résultats.

3.

3.1. Caractéristiques des patients étudiés.

Nous avons rencontré 7 patients pour les entretiens semi-dirigés, d’âge moyen 53 ans.

Le premier patient que nous appellerons Mr 1.

Il s’agit d’un patient de 46 ans, vu en cabinet de médecine génale à Nancy, homme d’entretien à mi-temps en CDD depuis quelques semaines, bénéficiaire de la CMU de base, mais ne répondant aux critères de la CMU-Complémentaire. Il n’a pas les moyens de se payer une complémentaire santé. Il bénéficie également de l’ALD pour le diabète. Il vit en HLM avec sa femme et a une fille de 14 ans. Il dit ne pas avoir de soutien social particulier en cas de problèmes financiers ou autres. C’est un patient polyvasculaire qui a pour antécédents un diabète non insulino-dépendant, une dyslipidémie, une HTA, obésité, de l’arthrose du dos et aux deux genoux. Il ne présente aucune addiction. Son traitement de fond comporte : JANUMET®, METFORMINE, KARDEGIC®, SIMVASTATINE® et TAREG®.

Patiente 2, Mme 2.

La seconde patiente, Mme 2 est la femme de Mr 1. Elle a 45 ans et a obtenu un emploi en CDD de femme de ménage quelques semaines avant le début de notre entretien. Comme son mari, elle bénéficie de la CMU de base mais est au-dessus du seuil pour bénéficier de la CMU-Complémentaire, et n’a donc pas de complémentaire santé faute de moyens. Elle est

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bénéficiaire de l’ALD pour le diabète. Elle vit donc en HLM avec son mari et sa fille, et n’a pas d’entourage direct sur qui elle peut compter en dehors de son mari. Elle a pour antécédents un diabète non insulino-dépendant sous METFORMINE, et une luxation du coude post-traumatique. Elle n’a pas d’addiction. L’entretien a été très peu contributif, avec beaucoup de questions fermées, la patiente étant assez stressée et ne discutant pas spontanément.

Patiente 3, Mme 3.

La troisième patiente, m’a accueilli à son domicile, un HLM très modeste qu’elle loue en périphérie de Nancy avec son compagnon. Elle a accepté de participer à ces entretiens suite à une consultation avec le Dr A. Criton. Nous avons ensuite eu beaucoup de mal à fixer une date pour l’entretien car son téléphone portable ne fonctionnait plus. Deux mois plus tard, elle avait récupéré un nouveau téléphone et nous avons finalement réussi à nous rencontrer. Elle a 55 ans, et ne travaille actuellement plus. Elle a enchainé différents petits travaux précaires (dans le bâtiment, aide-ménagère, vendeuse) et bénéficie de l’AAH depuis 5 ans. Elle bénéficie de l’ALD pour le diabète, et la dyslipidémie. Elle est sous curatelle. Elle a 4 enfants qu’elle voit peu. Elle a une petite complémentaire santé. Elle a comme antécédents un diabète insulino-réquérent, une dyslipidémie, plusieurs fausses couches et une grossesse extra-utérine. Elle a un antécédent d’addiction à l’alcool sevré partiellement depuis plusieurs années. Le tabagisme actif est estimé à environ 40 PA. Son traitement de fond comporte : METFORMINE, DIAMICRON®, XELEVIA®, LANTUS®, ATORVASTATINE et KARDEGIC®.

Patient 4, Mr 4.

Le quatrième patient a été recruté au cours d’une consultation que j’ai effectuée au cabinet du Dr P. Plane. La salle d’attente étant vide et le patient d’accord, nous avons donc décidé de réaliser l’entretien dans l’instant. Il s’agit d’un patient de 62 ans qui ne travaille plus suite à un accident de travail en 2001 (Hernie discale opérée). Il a effectué différents travaux, agent de sécurité, cuisinier, chef de bars-restaurants à Nancy, et enfin chauffeur de bus. Il vit du RSA, mais ne bénéficie plus d’indemnités journalières même s’il est toujours en arrêt de travail dans le cadre de son accident du travail, il est en conflit avec la Sécurité Sociale, et cette histoire le marque profondément. Il est bénéficiaire de la CMU et de la CMU-C. Il loue un petit appartement en périphérie de Nancy. Il vit seul, est divorcé, et a deux enfants qu’il voit peu. Il a comme antécédent deux hernies discales opérées avec lombalgies chroniques, un syndrome anxio-dépressif avec tentative de suicide, une opération des varices des membres inférieurs. Il ne fume plus et ne boit plus d’alcool depuis 1997. Il a un traitement par ATARAX®, NORSET®, LYRICA®, VOLTAREN® COMPRIME ou IBUPROFENE et INEXIUM®.

105  La patiente 5, Mme 5.

La cinquième patiente a été recruté par le Dr A. Criton à son cabinet ; nous avons ensuite eu du mal à fixer une date d’entretien, sa mère étant en fin de vie, hospitalisée à Metz. Quelques semaines après son décès, nous avons pu nous rencontrer à son domicile, un petit appartement HLM à Nancy. Une fois encore, plusieurs mois se sont écoulés entre le recrutement de la patiente et le déroulement de l’entretien. Il s’agit d’une femme de 63 ans, séparée de son mari depuis de nombreuses années, vivant seule. Elle est à la retraite depuis 5 ans pour inaptitude professionnelle, ancienne esthéticienne puis secrétaire dans l’entreprise de son ex-compagnon. Elle a deux filles qui ne vivent pas dans les proches environs. Elle est sous tutelle. Elle bénéficie de l’ALD pour son diabète et a une CMU-C. Elle a comme antécédents un diabète insulino-dépendant depuis 30 ans environ, une dyslipédémie, un syndrome anxio-dépressif et un tabagisme actif. Son traitement comporte : ACTRAPID® 3 fois par jour, LANTUS® le soir et TAHOR®.

Le 6ème patient, Mr 6.

Il s’agit d’un patient de 64 ans, vivant dans un CHRS de Nancy depuis 2 mois. L’entretien s’est déroulé dans le bureau médical du foyer. C’est un ancien SDF, nomade, qui a parcouru différentes villes de France mais qui a également passé quelques mois en Amérique du Sud et en Afrique lorsqu’il était plus jeune. Il a fait un séjour en prison dans sa jeunesse. Il bénéficie du minimum vieillesse et paie tous les mois une complémentaire santé. Il n’a pas de liens sociaux et se décrit comme un solitaire. Il a été marié et a une fille dont il n’a aucune nouvelle. Dans ses antécédents on retrouve un diabète non insulino-dépendant, une hypertension artérielle, une hépatite C, des troubles du comportement, et un tabagisme actif. Son traitement comporte : METFORMINE, GLIMEPIRIDE, RISPERDAL® et AMLODIPINE.

Le 7ème patient, Mr 7.

Il s’agit d’un patient de 38 ans vivant également dans un CHRS de Nancy depuis 2 semaines, suite à l’incendie de son appartement. L’entretien s’est également déroulé dans le bureau médical du foyer. Il est actuellement au chômage depuis plus de 10 ans, il a été bûcheron auparavant pendant 5 ans. En dehors d’un de ses frères qu’il voit encore, il n’a pas de contact avec le reste de sa famille. Il est célibataire. Il est sous tutelle depuis de nombreuses années. Il bénéficie de la CMU et de la CMU-C ainsi que de l’ALD pour le diabète. Ses antécédents comportent un diabète insulino-réquérent depuis 4 ans, et une schizophrénie. Il présente un éthylisme chronique et un tabagisme actif estimé à 20 PA. Son traitement comprend : APIDRA®, LANTUS®, et RISPERDAL®.

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FIGURE 14 : Tableau représentant les caractéristiques sociodémographiques et médicales des sept personnes interrogées au cours des entretiens semi-dirigés.

Lieu de

l’enquête Sexe Age

Situation

familiale Emploi

Assurance

santé Mutuelle Logement Antécédents Addictions

Mr 1 Cabinet H 46 Marie

Homme d’entretien

mi-temps CDD

CMU

ALD diabe te Aucune

Locataire Appartement HLM DNID Dyslipide mie HTA Arthrose genoux Obe site Aucune

Mme 2 Cabinet F 45 Marie

Femme de me nage mi-temps

CDD

CMU

ALD diabe te Aucune

Locataire Appartement

HLM

DNID

Surpoids Aucune

Mme 3 Domicile F 55 Divorce e Concubinage

Ne travaille plus

AAH ALD diabe te

Mutuelle prive e Locataire Appartement HLM Diabe te insulino-re que insulino-rent Dyslipide mie Fausse-couche GEU Surpoids Tabagisme actif : 40PA Ethylisme partiellement sevre Mr 4 Cabinet H 62 Divorce Ce libataire Accident de travail 2001 Ancien chauffeur de bus RSA

CMU CMU-C Locataire Appartement Hernies discales ope re es Syndrome anxio-de pressif avec tentative de suicide Stripping varices Tabagisme sevre

Mme 5 Domicile F 63 Se pare Ce libataire

Inaptitude

professionnelle ALD diabe te CMU-C

Locataire Appartement HLM DID Syndrome anxio-de pressif Dyslipide mie Tabagisme actif Mr 6 Foyer H 64 Divorce Ce libataire Retraite Minimum vieillesse ALD diabe te Mutuelle prive e CHRS Foyer DNID HTA He patite C Troubles pyschiatriques Tabagisme actif

Mr 7 Foyer H 38 Ce libataire Cho mage CMU

ALD diabe te CMU-C

CHRS Foyer Diabe te insulino-re que insulino-rent Schizophre nie Surpoids Tabagisme actif Ethylisme chronique Consommation de stupe fiants

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3.2. Analyse thématique transversale.

3.2.1. Facteurs de vulnérabilité.

(a) Une enfance difficile.

Les patients qui ont évoqué leur enfance, avaient tous des sanglots dans la voix.

Mme 3 a eu une enfance difficile, marquée par la maltraitance et le décès prématuré de sa