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En France, le nombre de nouveaux cas de cancers a augmenté de 109% entre 1980 et 2012. L’Institut National du Cancer prévoit 384 442 nouveaux cas en 2015. Néanmoins, les progrès de la médecine ont permis de limiter la progression de la mortalité des patients concernés, qui a augmentée dans des proportions 5 à 10 fois inférieures au cours de la même période. En particulier, les méthodes de diagnostic et de traitement des tumeurs ont été significativement améliorées au cours des 50 dernières années. A l'heure actuelle, la détection précoce des cancers et la mise en place de protocoles de traitement plus adaptés à la pathologie permettent de diminuer la mortalité et le risque de récidive. La radiothérapie est une méthode de stérilisation tumorale locorégionale employée dans le traitement d’environ 50% des tumeurs solides. Son principe repose sur une sensibilité aux rayonnements ionisants accrue des cellules tumorales comparées aux cellules saines. Elle est souvent employée en association avec la chimiothérapie et/ou la chirurgie. Grâce, notamment, aux progrès de l’imagerie médicale, la délivrance des rayonnements est aujourd’hui plus précise et plus efficace. Cependant, l’irradiation de la tumeur implique l’exposition de tissus sains alentours à des doses variables de rayonnements. Ainsi, la radiothérapie peut induire de nombreux effets secondaires précoces, apparaissant dans les heures à semaines suivant le traitement, et tardifs, pouvant survenir 20 ans après arrêt du traitement. Ces complications sont souvent bénignes mais peuvent parfois prendre des formes létales, dans le cas d’une fibrose radio-induite par exemple. La prise en charge des patients survivants du cancer est donc devenue une problématique majeure, tant pour l’amélioration de la qualité de vie des patients que du coût des traitements.

La sphère abdomino-pelvienne concentre le plus grand nombre de cas de cancers, tous sexes confondus. Les cancers de la prostate, du côlon-rectum, de la vessie et du corps de l’utérus font partie des 6 plus fréquents. En particulier, chez l’homme, le cancer de la prostate représentait environ un quart des nouveaux cas de cancer en 2011 en France. Cette zone regroupe également des organes particulièrement radiosensibles, notamment en raison du taux de renouvellement élevé de certains des tissus. C’est le cas par exemple du côlon et du rectum dont l’épithélium est remplacé en quelques jours. Les radiothérapies de la sphère abdomino-pelvienne peuvent induire des effets secondaires allant de légères diarrhées à des complications très sévères telles que la rectite radique. La principale complication tardive sévère des radiothérapies est la fibrose, caractérisée par un épaississement et une rigidification du tissu, pouvant mener à une occlusion létale dans le cas de l’intestin. Il n’existe actuellement pas de thérapie efficace de ces séquelles et la prise en charge des patients repose majoritairement sur des traitements palliatifs.

2 La question de la prise en charge des complications des radiothérapies abdomino-pelviennes est illustrée par l’accident d’irradiation d’Épinal. Entre 2001 et 2006, au centre hospitalier d’Épinal, plus de 400 patients ont reçu une dose de rayonnements de 10 à 20% plus élevée que préconisée lors du traitement de cancers de la prostate. Pour des doses équivalentes, certains de ces patients n’ont pas développé de séquelles, alors que d’autres présentaient quelques mois plus tard des rectites ou cystites invalidantes. Ces lésions ont nécessité dans certains cas des chirurgies lourdes et occasionnaient parfois des douleurs intenses résistantes aux composés morphiniques. En l’absence de traitements efficaces, un essai compassionnel de thérapie par les Cellules Souches Mésenchymateuses a été proposé à quatre patients présentant des colites hémorragiques radio-induites.

Les Cellules Souches Mésenchymateuses (CSM) sont des cellules pluripotentes adultes pouvant être facilement isolées à partir d’explants de moelle osseuse ou de tissu adipeux. Au sein de l’organisme, elles ont de nombreux rôles, notamment dans le soutien de l’hématopoïèse, le maintien de l’homéostasie tissulaire et la modulation de la réponse inflammatoire. Depuis leur découverte en 1996, ces cellules ont fait l’objet de nombreuses études qui ont montré, entre autres, le pouvoir régénératif de la greffe de CSM. En particulier, les propriétés immunomodulatrices des CSM ont été exploitées avec succès pour le traitement de pathologies du système immunitaire telles que la maladie du greffon contre l’hôte ou les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. De plus, l’efficacité des CSM a déjà été démontrée dans le cadre de brûlures radiologiques accidentelles et de séquelles des radiothérapies. Enfin, leur effet de régénération du côlon irradié a été démontré sur des modèles animaux au sein de notre laboratoire. Chez les patients surirradiés d’Épinal traités, la transplantation de CSM a permis de diminuer la douleur, la fréquence des diarrhées et les saignements, en raison en partie d’un effet immunosuppresseur.

Malgré le potentiel apparent de la thérapie par CSM, il existe de nombreuses questions concernant l’innocuité d’un tel traitement. Ces doutes tiennent notamment à l’impossibilité de prédire avec exactitude le comportement des CSM après transplantation. Ce problème est particulièrement prononcé dans le cas de survivants du cancer en raison du possible effet pro-tumoral des CSM, qui pourraient induire la récidive de la maladie. De nombreuses études ont évalué l’effet des CSM sur des modèles de tumeurs injectées in vivo, sans qu’aucun consensus n’ait pu être établi sur leur effet pro ou anti-tumoral. Néanmoins, il n’existe à notre connaissance aucun travaux portant sur l’effet des CSM sur le développement tumoral in vivo avant et après radiothérapie abdomino-pelvienne. De plus, l’impact de la transplantation de CSM sur la fibrose colorectale radio-induite n’est que peu documenté à l’heure actuelle.

3 Ainsi, au cours des travaux présentés dans ce document, nous nous sommes attachés à mettre en évidence : (i) l’innocuité de la transplantation de CSM chez des animaux irradiés, (ii) l’absence d’effet pro-tumoral des CSM et (iii) l’effet des CSM sur les complications colorectales sévères des radiothérapies. Lors d’une première étude sur des tumeurs coliques induites à une cohorte de rats Sprague-Dawley auxquels un protocole d’irradiation fractionnée similaire à celui employé pour le traitement de tumeurs prostatiques chez l’homme a été appliqué. Des CSM ont été injectées à différents temps afin d’évaluer leur effet sur la tumorigénèse, l’évolution de la tumeur après radiothérapie et l’apparition de complications tardives. Dans un deuxième temps, nous avons étudié l’efficacité de cette thérapeutique sur un modèle de fibrose colorectale radio-induite, également chez le rat. Deux injections de CSM ont été réalisées chez ces animaux dans les semaines suivant l’irradiation afin d’observer l’évolution des marqueurs caractéristiques de la fibrose.

Nous avons démontré l’absence d’effets secondaire des CSM dans nos modèles. En effet, aucune augmentation du nombre ou de la taille des tumeurs n’a été observée au cours de cette étude. Après radiothérapie, la transplantation de CSM a induit une diminution du volume tumoral au sein du côlon. L’effet anti-tumoral des CSM a été notamment associé à la modification du statut immunitaire à savoir la population de leucocytes au sein du tissu, en particulier de la polarisation des macrophages et lymphocytes T ainsi qu’à une modification de la balance entre miRNA anti et pro-oncogéniques. De même, la transplantation de CSM a permis de limiter la progression de la fibrose après irradiation colorectale, mis en évidence par une diminution du dépôt de matrice extracellulaire chez les animaux traités. Cet effet, attribué également à la modulation de la nature de l’infiltrat inflammatoire, a permis d’améliorer la survie des animaux transplantés. Nous avons également montré l’importance de deux protéines sécrétées par les CSM et nécessaires pour la mise en place de la réponse anti-fibrosante, HGF (Hepatocyte Growth Factor) et TSG-6 (Tumor necrosis factor Stimulated Gene-6).

Nos résultats démontrent la faisabilité, l’innocuité et l’efficacité de la transplantation de CSM chez les patients développant une fibrose induite par radiothérapie et apporte de nouvelles preuves de l’intérêt des CSM dans le traitement de pathologies résistantes aux thérapies médicamenteuses. Par un effet pléiotropie et durable dans le temps, les CSM sont en mesure de reprogrammer le microenvironnement afin d’orienter les processus cellulaires vers la régénération du tissu.

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