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La promotion asymétrique des valeurs de sécurité, de liberté et de justice avec l’Asie-pacifique

véritables partenariats non-associatifs

Chapitre 2 La promotion asymétrique des valeurs de sécurité, de liberté et de justice avec l’Asie-pacifique

286. Comme l’a mis en évidence la Stratégie Européenne de Sécurité (SSE) de 2003, « aucun

pays n’est en mesure de faire face, seul, aux problèmes complexes de notre temps509 ». La

poursuite de l’intégration européenne en faveur de l’avènement d’une PESC (Politique Etrangère et de Sécurité Commune) s’est imposée comme une réponse nécessaire à l’apparition de nouveaux défis sécuritaires et de nouvelles formes de menaces dans les années 2000. La distinction autrefois opérée entre sécurité « intérieure » et « extérieure » n’a plus grand sens face aux défis du 21ème siècle.

287. Or, dans les accords conclus à la fin des années 90, les enjeux sécuritaires n’étaient

abordés que de façon très marginale. Au sein des accords conclus avec le Cambodge et la Corée par exemple, on ne trouvait qu’une clause relative à la lutte contre les drogues510 et une mention de la protection des données personnelles511. Les objectifs de sécurité internationale ou régionale n’étaient pas même évoqués dans le préambule de ces accords, ce qui surprend concernant la Corée, compte tenu de la question nord-coréenne.

288. Le traité de Lisbonne a fait progresser l’institutionnalisation de la coopération en matière

de sécurité (mais aussi des domaines corollaires de « liberté » et de « justice »), en procédant à l’achèvement de la « communautarisation » de ces domaines. Le « troisième pilier », l’ex-titre VI TUE relatif à la coopération policière et judiciaire en matière pénale, a en effet été supprimé, et ses domaines de coopération intégrés au TFUE. Cependant, au sujet de l’approbation et de la conclusion des accords qui comportent des clauses sécuritaires, force est de constater que le TFUE ne fait pas disparaître les logiques inhérentes au fonctionnement des piliers. En réalité, il peut même sembler que la révision de Lisbonne renforce et sanctuarise les spécificités de la PESC.

509 « Une Europe plus sûre dans un monde meilleur – stratégie européenne de sécurité », document proposé par Javier Solana et adopté par les Chefs d’Etat et de gouvernement, réunis en Conseil européen, le 12 décembre 2003, Publication de l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne, 2003, 26 p., p.1.

510 Cambodge, article 11 ; Corée 1999 article 13

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289. Par la suite, dans la lignée des expériences conventionnelles menées par l’UE dans

d’autres régions, les accords-cadres conclus avec l’Asie et le Pacifique se sont considérablement enrichis. Ils comportent désormais tous des clauses relatives à tous les aspects de la sécurité internationale. Ce phénomène est consubstantiel à l’affirmation progressive et encore largement perfectible d’une véritable politique de sécurité commune, et au développement de la dimension externe de l’ELSJ512.

290. Au fil des années, s’est imposée « une certaine généralisation des clauses [sécuritaires]

dans les accords externes », qui semble indiquer « une forme de réorientation de l’action

extérieure de l’Union européenne »513. L’accord-cadre type en Asie-pacifique comprend

l’arsenal des clauses « standards » de la conditionnalité « de deuxième génération »514 : lutte contre la prolifération nucléaire et les armes de destruction massive ; lutte contre le terrorisme ; non-prolifération des armes légères et de petit calibre ; coopération dans la lutte contre les différentes formes de criminalité transfrontalière, le blanchiment d’argent, ainsi que le financement du terrorisme… L’éventail des clauses de coopération sécuritaire dans les accords de l’UE dépasse donc le cadre de la sécurité « traditionnelle » (conflits armés interétatiques, maintien de la paix, prolifération nucléaire) pour s’attaquer aux défis de la sécurité « non-traditionnelle » (terrorisme, criminalité organisée, catastrophes naturelles…). A ces clauses s’ajoutent celles qui tentent d’organiser une coopération entre les forces de sécurité des partenaires, leurs services répressifs, leurs appareils judiciaires, et qui promeuvent le respect du droit international et le règne des accords multilatéraux.

291. La promotion des valeurs sécuritaires de l’UE au sein des accords-cadres s’opère en lien

avec le concept d’« approche globale »515 de la sécurité. Ce concept était déjà au centre de la SSE de 2003, et est devenu un cadre de référence de la politique étrangère et de défense européenne516. L’objectif affiché est d’améliorer la capacité de « gestion de crises » de l’UE,

512 Pour une brillante analyse de la construction et des enjeux de la dimension externe de l’ELSJ, voir BILLET C., « La dimension externe de l’Espace de Liberté, Sécurité et Justice de l’Union européenne », thèse de doctorat sous la direction de FLAESCH-MOUGIN C. et GUILD E., 2014, 719 p.

513 BOSSE-PLATIERE I., « L’insertion des clauses de coopération en matière de sécurité… », précité, p.2

514 FLAESCH-MOUGIN C., « Les formes de conditionnalité dans les relations de l’Union européenne avec les Etats et groupements d’Amérique latine ? » in FLAESCH-MOUGIN C. et LEBULLENGER J. (dir) Regards croisés sur les

intégrations régionales - Europe/ Amériques en lien avec l’Afrique, éditions Bruylant 2010, pp. 379-408.

515 LAVALLEE C., POUPONNEAU F., « L’approche globale à la croisée des champs de la sécurité européenne », Politique européenn,e 2016, vol 1, n°51, pp. 8-29.

516 Il est ainsi au cœur de la « Stratégie globale sur la politique étrangère et de sécurité pour l’Union européenne » élaborée par la HRVP pour préparer le Conseil européen de juin 2016.

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en combinant et en coordonnant les pratiques, les ressources, les instruments civils et militaires à disposition. L’approche globale de l’UE peut être considérée comme « une déclinaison

politique de l’élargissement du concept de sécurité517 » qui traduit le passage d’une définition

de la sécurité focalisée sur la défense militaire du territoire national, à une approche en termes de « menaces diffuses518 », incluant le terrorisme, le crime organisé, ou les « Etats défaillants ».

292. Cette approche globale de la sécurité découle de l’approche globale des valeurs consacrée

à l’article 21§3. Or, en vertu de cette approche globale et de l’interdépendance des valeurs, la promotion des objectifs « sécuritaires » au sein des accords implique de prendre en compte tous les aspects relatifs à la sécurité. L’UE s’emploie donc à traiter de sécurité traditionnelle comme non-traditionnelle, mais aussi à appréhender la sécurité sous ses trois dimensions : sécurité, justice et liberté.

293. Cela étant, qu’il s’agisse des accords d’association que l’on use comme référents de

comparaison, ou des accords-cadres conclus en Asie-pacifique, la coopération mise en place dans le champ sécuritaire demeure de niveau très minimal. Ceci s’explique par le fait que les Etats-membres conservent, en dépit des changements apportés par Lisbonne, la mainmise sur la politique étrangère en la matière.

294. De plus, si l’on se fie au nombre de clauses et à l’ambition relative de chacune, il apparaît

que la promotion des différentes composantes du bloc « sécuritaire » est plutôt asymétrique. En effet, la priorité est donnée à la dimension « sécuritaire » du partenariat entre l’UE et l’Asie-pacifique, à la lutte contre les différentes formes de criminalités et les menaces globales et régionales (Section 1). La coopération proposée est beaucoup plus lacunaire, et varie d’un partenaire à l’autre, dès lors qu’il s’agit de la dimension « liberté », essentiellement présente dans le traitement des enjeux relatifs aux migrations, ou de la dimension « justice », au service de laquelle s’établit la coopération judiciaire et policière (Section 2).

517 LAVALLEE, POUPONNEAU, précité, p.10

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Section 1 L’intégration dominante de l’objectif de sécurité internationale dans les