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PARTIE I APPROCHE THÉORIQUE, ÉPISTÉMOLOGIQUE ET

2 BIODIVERSITÉ, CONSERVATION ET DÉVELOPPEMENT

2.3 Les stratégies intégrées de conservation et de développement

2.3.2 Projets intégrés de conservation et de développement

Depuis les années 1980, les projets intégrés de conservation et de développement (PICD) ont essayé de réconcilier, souvent avec des résultats décevants, la gestion des aires protégées avec les besoins et les intérêts locaux. Malgré ces résultats, la conservation intégrée demeure toujours la tendance dominante en matière d’aménagement de la biodiversité (à l’intérieur comme à l’extérieur des aires protégées) des PED depuis les années 90 (Hughes and Flintan, 2001; Fisher, Maginnis et al., 2005). Elle considère non seulement la valeur écologique des espèces, mais aussi leur valeur culturelle et spirituelle, sociale, économique et paysagère. De plus, elle envisage de contribuer au développement des populations locales avec des revenus provenant de l’exploitation durable de leurs ressources naturelles (agriculture, tourisme, etc.).

Les PICD ont été présentés comme des modèles fonctionnels de développement durable, pour un site spécifique dans une perspective de projet. Sur le plan théorique, ils veulent intégrer les objectifs biologiques de conservation aux objectifs sociaux et économiques du développement (Sanderson and Redford, 2003; Roe and Elliott, 2004). Sur le plan pratique, ces objectifs tournent autour de cinq points : la réduction de la pauvreté, le renforcement des capacités locales, la participation, la protection et la gestion des ressources naturelles et des aires protégées. Les trois premiers, reliés au développement et les deux autres, axés sur

des objectifs plutôt de conservation, permettent de faire le lien entre la mise en place de ces projets intégrés et l’atteinte des objectifs du millénaire (OMD) (voir figure 2).

CONSERVATION DEVELOPPEMENT

PROJET

MODELES DE DEVELOPPEMENT DURABLE (site spécifiques) Protection/gestion AP Gestion ressources Réduction pauvreté Renforcement capacités Participation O B J E C T IF S B IO L O G IQ U E S O B J E C T IF S S O C IO C O N O M IQ U E S MDG

Figure 2 : Projets Intégrés de Conservation et Développement (PICD)

La matérialisation de ces objectifs sous forme de projet nous montre un éventail d’initiatives, de stratégies et de politiques qui mettent l’emphase sur différents aspects (gestion des ressources, atténuation de la pauvreté…), secteurs (tourisme, agriculture, santé…) ou groupes sociaux (femmes, habitants des bidonvilles…). Nous trouvons ainsi plusieurs types de PICD. Certains sont orientés vers les défis de la conservation, d’autres vers le développement mais parmi ces projets, très peu arrivent à intégrer de façon efficace les deux pôles (Rodary, 2003). La plupart montrent la volonté d’impliquer la population locale dans leur mise en œuvre. Ils se présentent sous différentes dénominations, répondant à diverses stratégies de planification (co-management, community-based conservation, collaborative management, ecodeveloppement, ecotourism, adaptative management, etc.). Localement, l’application spécifique des PICD sur un territoire donné précise une connaissance approfondie du milieu et des habitants afin d’élaborer un plan d’action et une

mise en application adaptée à leurs problèmes et besoins en matière de développement. L’objectif est de conjuguer le bien-être des locaux avec des modèles fonctionnels de développement durable, c’est-à-dire avec une vision à long terme de l’utilisation des ressources naturelles et du territoire (Wells and McShane, 2004).

Cependant, le bilan des résultats pratiques de ces stratégies montre qu’elles n’ont pas toujours été capables d’intégrer la conservation et le développement dans une perspective à long terme (Wells and Brandon, 1993; Barrett and Arcese, 1995; Hulme and Murphree, 1997; Rodary, 2003; Wells and McShane, 2004). Les questions restent donc les mêmes. Certains auteurs affirment que l’intégration des défis de la conservation avec les besoins du développement local n’est qu’un idéal théorique. Ainsi, cette intégration, complète et égalitaire, semblerait utopique du côté pratique (Sayer and Campbell, 2004).

Bien que cette affirmation soit véridique, il est aujourd’hui impossible de séparer la gestion des ressources naturelles des enjeux du développement. La réduction de la pauvreté, l’éducation, l’amélioration des conditions de vie et de santé des populations, le bien-être culturel et spirituel ainsi que la croissance économique sont intimement liés à la préservation de l’environnement (Posey, 1999). Ces aspects vont certainement influencer la tendance de la biodiversité dans les prochaines décennies (Sanderson and Redford, 2003). En Afrique, les ressources environnementales représentent un énorme potentiel pour le développement et pour l’amélioration du bien-être des populations. Pour que ces options demeurent ouvertes, il est toutefois impératif que l’Afrique agisse pour protéger ses ressources environnementales. La perte grandissante de biodiversité et la situation alarmante des populations des pays en développement, nous obligent à agir immédiatement et ce, malgré le risque d’incertitude quant à la meilleure façon de procéder.

Ce fait est encore plus grave aux endroits insulaires sur notre planète où la biodiversité est plus fragile. Ainsi, en raison de leur isolement géographique, la biodiversité est beaucoup plus fragile sur les îles que sur les continents. La théorie scientifique de la biogéographie des îles fournit un modèle expliquant cette situation (McArthur and Wilson, 1967). Cette

théorie établit un lien entre le nombre d'espèces vivant sur une île en fonction de sa taille et de son isolement15.

Parce que les petites îles, de par leur taille, ont moins de ressources, les disparitions d'espèces en raison d'événements perturbateurs sont d'autant plus probables que les populations y sont peu importantes. De plus, contrairement aux îles proches des continents, de nouvelles espèces sont rarement introduites sur les îles éloignées.

On s’interroge toujours sur ce qui fonctionne et ce qu’il faudrait changer. Apprendre des erreurs du passé est évidemment un signe de sagesse; c’est aussi un impératif pour le futur.

2.3.2.1 Planification et mise en œuvre des PICD

L’analyse de nombreux projets intégrés nous permet d’identifier plusieurs causes, au niveau de la planification, de la mise en oeuvre des objectifs attendus, du financement ou de l’adaptabilité au contexte d’application, qui pourraient expliquer en partie les échecs. Cette analyse est aussi la porte d’entrée vers de nouvelles perspectives qui pourraient, finalement, améliorer la durabilité des PICD.

Bien que les faiblesses identifiées au niveau de la planification et de l’implémentation puissent expliquer partiellement les revers de certains projets, d’autres facteurs, plus profonds et fondamentaux, devraient être mis de l’avant afin de mieux comprendre la situation pour alors identifier de nouveaux points de vue et ensuite agir.

Il ne faudrait pas oublier que la conservation et le développement agissent sur des systèmes sociaux-écologiques complexes, naturellement dynamiques, localisés dans l’espace et dans le temps et irrémédiablement imprévisibles. Les contextes où les PICD doivent être appliqués sont de nature hétérogène : il y a différents besoins (santé, éducation, environnement…), diverses visions du monde et systèmes de valeurs, de multiples échelles

15 L’île de Madagascar, par exemple, est grande et proche d’un continent. Elle abrite de ce fait une faune et une flore très diversifiée.

géographiques et niveaux institutionnels sans oublier plusieurs acteurs et intervenants qui sont tous sur le même territoire au même moment.

L’incertitude inhérente à la dynamique de ces systèmes sociaux-écologiques et des jeux d’échelles et d’acteurs, avec leurs visions, leurs besoins et leurs intérêts différenciés, sembleraient donc être les pierres angulaires du souhait d’intégration tangible entre conservation et développement.

Un des principaux problèmes des PICD est qu’ils essayent d’encadrer la réalité complexe et dynamique d’un territoire avec des limitations temporelles et spatiales, une planification détaillée et une haute prédictibilité des effets sur le milieu et les ressources qui caractérisent tout projet de conservation classique (Sayer and Campbell, 2004). Les actions entreprises et les activités proposées doivent toujours être justifiées auprès des bailleurs de fonds. Une planification détaillée, pour réduire le plus possible les imprévus, est synonyme non seulement de dépense d’argent, mais aussi de rigidité et de perte d’intérêt pour le côté pratique du projet. Le suivi de ce dernier par les populations locales, après la fin du financement, demeure toujours un des points faibles de plusieurs projets (McShane and Wells, 2004). L’identification, l’appropriation et la sensibilisation aux objectifs du projet par les locaux sont des enjeux majeurs pour assurer la durabilité des initiatives mises en place mais ces tentatives de réduction de l’incertitude limitent énormément les chances de réussite pour la plupart des PICD.

Dans ce sens, les efforts vont souvent du côté de la planification de l’intervention, quand en réalité le contexte spatial d’application de ces stratégies est aussi important que l’intervention proposée en elle-même (Wells and McShane, 2004). La réalité socioculturelle locale, le rapport à la nature ou la vision du monde ont une influence majeure sur la gestion des espaces et des ressources. Or, toute intervention devrait être adaptée au contexte (espace-temps). Nous trouvons ainsi des projets de conservation qui excluent les populations locales bénéficiaires de la conservation de la biodiversité et, au contraire, des projets de développement socio-économique local qui ne prennent pas assez en compte la protection de l’environnement.

De plus, focaliser toute l’attention sur les détails de planification au détriment de la mise en œuvre des projets provoque l’abandon à cause du manque de financement pour le suivi et du peu de temps pour sensibiliser la population aux objectifs du projet. Dans ce sens, les efforts centrés sur le processus de design devraient être aussi importants que ceux mis sur le design lui-même. La reconnaissance et l’appropriation locale des projets sont des atouts pour leur durabilité, surtout quand les bailleurs de fonds arrêtent le financement.

La conséquence directe de ces constats est l’existence de nombreux projets n’ayant pas réussi à combiner de façon pratique la conservation et le développement (notamment l’enjeu de la réduction de la pauvreté des communautés locales). Ces échecs ont contribué à créer un climat de méfiance autour de ces stratégies conceptuelles et, de façon plus large, ils ont questionné la faisabilité pratique de cette idée intégratrice entre biodiversité et société. Il ne faudrait pas oublier non plus tous les projets qui ont réussi que partiellement, en améliorant les conditions de vie de seulement une fraction de la population locale, celle bénéficiant directement des emplois et revenus issus du projet).

Des initiatives à Madagascar, encore aujourd’hui un des pays insulaires les plus pauvres au monde, ou sur de nombreuses îles du Pacifique, constatent ces difficultés pratiques pour l’intégration de la conservation et du développement.