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PARTIE I APPROCHE THÉORIQUE, ÉPISTÉMOLOGIQUE ET

2 BIODIVERSITÉ, CONSERVATION ET DÉVELOPPEMENT

2.2 La conservation

2.2.1 Les différentes écoles

Souvent, nous confondons les termes « conservation » et « préservation ». La raison de cette confusion se trouve peut-être dans le domaine de l’écologie de la conservation10. Dans cette discipline, nous trouvons trois courants principaux : Protectionisme, conservationisme et écologie évolutive. Ces écoles de pensée, nées en Amérique du Nord, ont leur propre terminologie, ce qui explique les paradoxes autour de la notion de conservation.

Dans le courant protectionniste, Emerson et Thoreau (1880) sont les premiers à défendre l’idée que la Nature a une raison d’être, une utilité hors des bénéfices économiques qu’elle apporte aux humains. Le naturaliste américain John Muir, qui fut à l’origine de la création des parcs nationaux aux États-Unis et fondateur du Sierra Club, était aussi partisan de la « préservation », de la nature et de la reconnaissance des valeurs identitaires et spirituelles qui lui sont attachées (Farnham, 2007). Dans ce même sens, nous pouvons aussi nous référer à la théorie de Gaïa, développée beaucoup plus tard par James Lovelock (1988).

9 Dans la CDB nous trouvons la définition de conservation in situ (dans le milieu naturel) et de conservation ex situ (au dehors du milieu naturel), mais pas la définition de la conservation en elle même.

10 Discipline de synthèse qui applique les principes de la biogéographie, de l’écologie, de la génétique de populations, de l’anthropologie, de l’économie et de la sociologie au maintien de la diversité biologique sur la planète.

Cette première approche s’opposait aux partisans de la « conservation » comme Gilford Pinchot, qui préféraient mettre l’accent sur les valeurs d’usage qu’offrait la nature. La Nature était ici un ensemble d’éléments définis soit par leur utilité ou soit par leur caractère nuisible pour l’être humain. L’objectif de l’usage adéquat de ces ressources était : « le plus grand bien pour le plus grand nombre et pour le plus longtemps » (Farnham, 2007). Nous pouvons ici déjà entrevoir implicitement l’idée de développement durable.

Le troisième courant est né influencé par l’approche protectioniste. Aldo Leopold, son principal représentant, développe le concept d’écologie évolutive, base de la perspective écologique contemporaine, axée sur l’idée de dynamique plutôt que d’équilibre.

Nombreux ont été les débats autour de ces approches, comme celui entre Muir et Snyder, son apprenti. Ce dernier suggérait la nécessité de récupérer le lien entre l’humain et la nature, perdu dans les sociétés modernes, et d’abandonner les approches plus poétiques sur la nécessité de conserver la nature vierge, sans l’humain (Callicott and Nelson, 1998). Les origines de la biologie de la conservation remontent aux croyances philosophiques et religieuses des relations entre l’Homme et la Nature (Barbault, 1997). En effet, plusieurs religions reconnaissaient des lieux, des espèces ou des entités naturelles sacrées. Par conséquent, le concept de conservation est beaucoup plus ancien qu’on ne le croit. Des nuances socioculturelles rentrent aussi en ligne de compte car la culture est aussi un moteur de plus en plus reconnu et valorisé, de protection et d’utilisation durable des ressources naturelles (Jacobs and Sadler, 1995).

Cette reconnaissance arrive au niveau institutionnel avec les Community Conserved Areas (CCA), une nouvelle catégorie d’aires protégées, gérées depuis longtemps par des communautés locales, finalement reconnue par les principales organisations internationales suite au V Congres Mondial des Parcs, en 2003.

Sans compter les différentes écoles et traditions, il y a aussi des ambiguïtés sémantiques et culturelles du vocable provenant en partie des subtilités entre les modèles de gestion des ressources naturelles anglo-saxon et latin. Ces subtilités peuvent aussi être à la base des différentes interprétations du concept de conservation (Kasisi and Jacobs, 2002). À côté

des évidentes ambiguïtés sémantiques du concept, la question peut aussi être reliée à l’univers culturel et aux différentes représentations sociales de l’idée de nature et, surtout, du rapport entre l’Homme et la Nature.

Kasisi et Jacobs (2002) nous parlent des conséquences, parfois désastreuses pour l’avenir de la biodiversité, de ces confusions sur l’interprétation du terme. Ils nous disent, par exemple, que, dans plusieurs pays africains francophones, lors de l’élaboration des stratégies nationales de conservation de la biodiversité, trop souvent la conservation (utilisation durable des éléments de la biodiversité, selon le deuxième objectif de la CDB) devient conservation stricte de la biodiversité, c’est-à-dire, protection intégrale et non- utilisation des ressources naturelles.

D’un autre côté, pour les langues d’origine latine, le terme conservation exclut l’idée de production (Chauvet and Olivier, 1993). En conséquence, la traduction de l’anglais des termes employés et des principes de la CDB (rédigée initialement dans cette langue) ne correspond pas à la réalité linguistique et conceptuelle latine. Mais, ces incohérences ne sont pas exclusives aux langues latines. En anglais il y a aussi des nuances entre conservation (utilisation durable) et préservation (protection intégrale). Ici aussi, la notion de conservation d’un écosystème se réfère à la fois à la protection intégrale et à l’utilisation durable.

Nous utiliserons dans le présent travail le terme « conservation » au sens le plus large, c’est-à-dire en incluant la gestion des ressources naturelles, leur protection ainsi que leur restauration, plutôt que dans sons sens réduit, celui du maintien de l’état original ou préservation.

En marge des différentes échelles et des nuances du terme, nous avons différentes stratégies de conservation (celles-ci très bien définies dans la CDB). Ce sont principalement la conservation in situ (aires protégées, réserves de la biosphère, etc.) et l’ex situ (jardins botaniques, zoologiques, banques de gènes, etc.). Elles se différencient principalement par son lieu d’application, dans le système naturel originaire ou hors celui-ci (PNUE, 1994).