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PARTIE I APPROCHE THÉORIQUE, ÉPISTÉMOLOGIQUE ET

2 BIODIVERSITÉ, CONSERVATION ET DÉVELOPPEMENT

2.4 Première synthèse

Ce rapide survol nous permet déjà de relever quelques points importants qui vont justifier notre appel aux sciences sociales, et plus concrètement à la théorie des représentations sociales afin de mieux comprendre le rapport avec la nature d’une communauté.

Dans la hiérarchie de la diversité biologique (gènes, espèces et écosystèmes), s’incarnent aussi les composantes culturelles et spirituelles. Cette ouverture est en train de changer non seulement le sens épistémologique de la conservation, mais aussi les stratégies de mise en œuvre de la CDB, aujourd’hui plus ouvertes, participatives, construites pour des contextes spécifiques et adaptées aux besoins en développement des communautés.

L’intégration de ces différents éléments est un enjeu majeur qui appelle à une approche transdisciplinaire, des sciences sociales aux naturelles et de la théorie à la pratique. Cette complexité des synergies entre conservation et développement nous oblige à avoir une approche qui considère les différents niveaux institutionnels (du local au global, de la tradition à la formalité) et les différentes échelles géographiques (Fisher, Maginnis et al., 2005).

Mais ce n’est pas seulement une question d’approche stratégique. Ce n’est pas non plus uniquement un choix à faire entre les impératifs économiques et temporels des projets et les besoins de continuité et de durabilité de ces derniers. Il s’agit aussi d’une question épistémologique à la base de la conception relative du temps, du long terme ou des générations futures, selon les populations.

Par exemple, de nombreuses communautés traditionnelles africaines ont encore aujourd’hui une vision holistique du monde, différente de la vision dualiste de la science classique issue de la pensée cartésienne, sur laquelle sont justifiées les stratégies de gestion des espaces et des ressources mises en place par les gouvernements et les organisations internationales. Comprendre ce que le temps signifie pour ces communautés détermine notre compréhension du sens donné au long terme, à l’importance accordée aux générations futures. Comprendre ce que le vivant ressent déterminera aussi notre compréhension du sens donné à la relation avec d’autres êtres (animés ou inanimés), soi-même et les humains. Dans ces sociétés traditionnelles, la perspective holistique, directement reliée à la cosmogonie, représente une vision du monde en tant que « être vivant », incluant non seulement des éléments naturels comme les animaux, les plantes ou les humains, mais aussi des éléments spirituels comme les ancêtres, les esprits ou les générations futures. Dans cette vision, la nature n’appartient pas aux humains; ce sont les humains qui appartiennent à la nature (Föllmi, 2005).

En effet, notre manière de percevoir la nature joue un rôle crucial pour sa conservation. Différentes cultures, nations et secteurs sociaux ont diverses opinions, perceptions et attentes de l’environnement qui les entoure. Ce rapport à la nature peut aussi varier individuellement dans un même groupe social. Or, les pratiques de conservation dépendent

directement de nos systèmes de valeurs, c’est-à-dire de la façon qu’on a de concevoir et de se représenter la nature. D’après de multiples facteurs, ces représentations changent donc selon les sociétés et les environnements.

Or, pour satisfaire les besoins des habitants, la science et les experts doivent comprendre et respecter les systèmes endogènes de gestion des ressources naturelles, dont la population locale dépend jour après jour. Comprendre, s’adapter et intégrer les visions du monde, les croyances, les systèmes de représentation, les besoins, les intérêts, les pratiques traditionnelles ou les significations des espaces et des ressources appartenant à la population locale sont aussi des conditions pour la réussite du projet. Évidemment les jeux d’acteurs et d’échelles (local, régional, national ou global) entre ces différents acteurs, font de la concertation un outil indispensable pour les PICD.

Dans la mise en place de stratégies intégrées et durables dans des contextes hétérogènes, les valeurs culturelles et spirituelles des espaces et des ressources ne peuvent pas être séparées, ni des stratégies de planification ni du mode de vie de la population locale.

En somme, la mise en place d’une bonne gouvernance (Shepherd, 2004; Bonfiglioli, 2005), de mécanismes de participation effectifs (Fisher, Maginnis et al., 2005) et de stratégies de gestion adaptative rendant compte des erreurs de planification ainsi que réadapter les stratégies et les projets pour satisfaire les besoins et les intérêts locaux (Berkes, Colding et al., 2000; Armitage, 2003) constituent les principales approches actuelles en matière de gestion des espaces et des ressources naturelles. Ces approches sont d’autant plus importantes dans les pays en développement où, d’un côté, la réduction de la pauvreté, l’éducation, l’amélioration des conditions de vie et de santé des populations, le bien-être culturel et spirituel et la croissance économique, sont intimement reliés à la préservation de l’environnement (Sanderson and Redford, 2003; Adams, Aveling et al., 2004; Roe and Elliott, 2004). D’un autre côté, l’instabilité politique et sociale ou les perspectives économiques incertaines peuvent avoir un impact sur la mise en place des stratégies intégrées et, par conséquent, les faire échouer si elles ne sont pas capables de s’adapter aux conditions contextuelles changeantes. La faiblesse des cadres institutionnels et juridiques rend prioritaire le renforcement des capacités au niveau de la gestion et de la conservation

Respecter les croyances, les savoirs et les pratiques traditionnelles de gestion d’une population peut être une approche durable pour la conservation de la biodiversité intégrée au développement local. N’oublions pas qu’il s’agit aussi d’un impératif éthique.

Chapitre III