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Chapitre III Les stratégies de développement durable en Amazonie brésilienne brésilienne

III.I. a La recherche d’un nouveau modèle de développement socioéconomique : une question aux multiples facettes question aux multiples facettes

III.2. d Les projets de développement durable en Terre Indigène : le village de Moikarako

L’histoire du village de Moikarako est liée aux projets de développement durable ayant cours dans la terre indigène Kayapó. La plupart des villageois sont originaires d’A’Ukre, l’aldeia voisine, où un partenariat avec l’entreprise internationale de cosmétique Body Shop avait été mis en place pour la fabrication d’huile de noix du Pará (au début des années 1990). Or, des dissensions importantes au sein de ce projet sont venues envenimer des conflits préexistants, ce qui a poussé une trentaine de familles d’A’Ukre à quitter ce village et à en fonder un nouveau. En 1995, Moikarako était né.

La question de la durabilité en terre indigène

Avant de présenter les projets mis en place à Moikarako, il semble opportun de revenir sur les fondements de la durabilité dans les territoires indigènes. Selon De Robert (2007), les initiatives en matière de durabilité reposent sur 3 piliers principaux : la santé et l’éducation, la surveillance des frontières ainsi que le développement d’alternatives économiques.

Dans le premier thème, la question de la santé est cruciale, des maladies bénignes ou facilement curables dans le monde extérieur peuvent aisément conduire au décès des individus en territoires indigènes. Malgré leurs tons alarmistes, les rapports de Survival International à ce sujet fournissent des exemples probants, la faiblesse des défenses immunitaires pour les grippes et autres infections véhiculées par les « intrus » peuvent encore décimer des populations300. Le gouvernement est supposé être le principal acteur dans le domaine sanitaire, c’est à ces fins que la FUNASA (Fundação Nacional de Saúde) a été créée en 1999 : assurer l’accès des populations indigènes aux soins divers et variés. Comme les moyens font défaut et que les conflits entre la FUNASA et la FUNAI sont importants in situ, la seconde ne supportant pas l’idée de s’être fait confisquer la question sanitaire par la première, d’autres acteurs interviennent pour tenter de maintenir les populations autochtones en bonne santé. Parfois, ce sont des ONG indigénistes, c’est le cas de Survival International sur la terre Yanomami qui se targue d’être plus performante que le système de santé mis en place par la FUNASA. Selon eux, la hausse du taux de mortalité durant l’ère FUNASA est liée au fait que les solutions apportées aux problèmes sanitaires des amérindiens venaient de l’extérieur et ne tenaient pas compte des savoirs et des pratiques ancestrales. Ce qui reste à prouver. Une assistance ponctuelle est également délivrée par les missionnaires de toutes obédiences mais les dispensaires confessionnels ont des moyens limités : la formation des agents de santé et les remèdes à disposition demeurent sommaires. Pour l’éducation, l’apprentissage bilingue a deux finalités, d’un côté maintenir les langues originelles, de l’autre, faciliter l’inclusion au reste de la société brésilienne en développant le portugais. La maîtrise du portugais est capitale puisque c’est la langue des négociations avec le monde extérieur, tout projet de développement qu’il soit durable ou non est élaboré dans cet idiome.

Le second thème est particulièrement important face aux menaces qui pèsent sur les aires protégées (cf. partie III.1.b). Les terres indigènes sont soumises aux mêmes pressions externes car elles constituent des enclaves territoriales importantes : la TI Kayapó cumule près de 3 millions d’hectares et celle des Yanomami plus du triple. Ces enclaves demeurent insupportables à bon nombre d’acteurs économiques et politiques. La maxime « beaucoup de terre pour peu d’indiens » largement véhiculée au Brésil n’a pour d’autres objectifs que réduire les espaces qui leur sont alloués. En effet, le statut des ces espaces limite l’accès des non-amérindiens aux ressources naturelles, si un gisement de pétrole ou minier venait à être découvert son exploitation se verrait

300 Les chiffres concernant les aborigènes, les innus et autres ethnies sont disponibles à l’adresse Internet :

http://www.survivalfrance.org/campagnes/progrespeuttuer. Au début de l’épidémie de grippe A(H1N1), les craintes

étaient nombreuses quant aux risques pour les populations indigènes isolées :

confrontée à de nombreuses difficultés juridiques301. D’un autre côté, les militaires et les souverainistes voient d’un mauvais oeil l’octroi de portions conséquentes du territoire à des individus ayant peu de liens avec le reste de la nation brésilienne et étant susceptibles de revendiquer leur autonomie302. Les ressources que les réserves indigènes abritent font l’objet de nombreuses convoitises de la part des non-indiens, les intrusions sont nombreuses qu’il s’agisse d’orpaillage (garimpagem), d’extractivisme ligneux voire d’agriculture. Il est souvent fait état des intrus illégaux, dont les conflits avec les populations autochtones sont parfois noyés dans le sang comme le célèbre massacre de Haximu en 1993 (Albert, 1994), il ne faut pas négliger, non plus, les incursions consenties en territoire indigènes comme le souligne De Robert (2002 et 2007). Certains caciques attirés par l’appât du gain monétaire et l’enrichissement personnel n’hésitent pas à s’entendre avec les blancs (kuben) pour l’exploitation des ressources locales. Certains chefs Kayapó se sont illustrés dans ce domaine, dans les années 1980-1990, les madeireiros ont pu exploiter à loisir les quelques acajous (Swietenia macrophylla) présents dans la terre indigène alors que cette espèce faisait déjà l’objet d’une attention particulière (son inscription à la CITES date de 1995).

Le développement d’alternatives économiques chez les populations amérindiennes suscite également de vifs débats, bon nombre considèrent que leur participation à une économie de marché peut avoir des conséquences négatives sur le maintien des structures traditionnelles (Grenand, 1996 ; O’Brien, 2010). Le but des projets de développement durable est de faire en sorte que celles-ci ne soient pas dépendantes de ressources extérieures (donations diverses) ou de bénéfices sociaux (retraites, allocations familiales). Ils ne visent pas à transformer les amérindiens en « capitalistes sauvages » mais les incitent à bénéficier de fonds suffisants pour répondre à des problèmes ponctuels (creusement de puits artésiens, achats de panneaux solaires, de médicaments, de nourriture en cas de mauvaise récolte…). Les solutions avancées sont diverses et variées : le développement de l’extractivisme comme celui de la noix du Pará (origine du contrat des Kayapó avec Body Shop), de l’artisanat ou encore de l’apiculture (Yanomami)… Pour le village de Moikarako, l’accent a été mis sur la noix du Pará.

La situation actuelle à Moikarako

L’idée d’exploiter les nombreux noyers présents sur la zone n’est pas neuve. Entre la fin des années 1970 et le début des années1980, la collecte des précieuses noix est organisée par la FUNAI. Elles sont ramassées en commun par les populations puis emportées par cette dernière qui les vend à l’extérieur. Les sommes obtenues sont ensuite utilisées pour l’achat de fournitures diverses (machettes, lampes torches…) qui sont redistribuées aux membres du village. Le système a fonctionné un certain temps puis la FUNAI s’est peu à peu désintéressée de ce type de négoce. Cette fondation continue d’être très présente dans les aldeias indigènes, tout projet ou toute visite

301 Selon Le Tourneau (2006) ce qui se trouve en sous-sol est propriété de l’Union Fédérale celle-ci pouvant exploiter

pétrole et minerais de manière durable c’est-à-dire en redistribuant une partie des bénéfices aux communautés concernées et en réduisant l’impact environnemental de l’extraction. Or, la loi devant fixer les règles à cet égard est en discussion depuis plus de 10 ans. Par contre, la constitution de 1988 attribue aux populations amérindiennes des droits à des compensations en bonne et due forme lors de l’implantation d’une route ou d’une ligne à haute tension.

302 Les possibles prétentions séparatistes des Yanomami ont fait couler beaucoup d’encre cf. les ouvrages Mafia

doit obtenir son aval, si bien qu’elle demeure le rouage central de la durabilité dans ce type de territoire. Dans les années 1990, suite aux protestations contre le barrage de Belo Monte, les villageois d’A’Ukre avaient réussi à mettre en place des partenariats divers avec des acteurs internationaux : l’entreprise de cosmétique citée ci-dessus pour la noix du Pará et Conservation

International pour la protection de l’environnement dans son ensemble. Lorsque le village de

Moikarako est fondé, seul le partenariat avec Conservation International est maintenu. Cette ONG devient le principal financeur de l’association indigène Floresta Protegida qui organise la collecte et la vente de la noix du Pará dans les réseaux de commerce solidaire. Avec les intermédiaires régionaux, cette association demeure le principal acheteur de la noix in natura. La noix du Pará est la seule à vraiment bénéficier d’un effort de commercialisation et de valorisation. L’artisanat fonctionne de manière plus anarchique, les produits sont vendus lors des déplacements en ville des artisans, des missionnaires ou des chercheurs. La FUNAI préoccupée par l’alimentation des villageois s’investit également dans des projets de roça collective ou dans le développement des cultures fruitières, ces productions ne sont destinées qu’à l’autoconsommation.

Pour les deux autres pans de la durabilité indigène évoqués précédemment la situation est somme toute classique vis-à-vis des autres villages amérindiens. Les lacunes en matière de santé et d’éducation sont compensées par des missionnaires catholiques et protestants. Dans le domaine de l’instruction, des accords ont été passés avec les mairies de São Felix do Xingu et Redenção pour l’octroi de fournitures scolaires. Au niveau sanitaire, la situation est très complexe à cause des luttes internes entre la FUNASA et la FUNAI, les missionnaires tentent de prendre le relais avec des moyens dérisoires. Les personnes soufrant de maladies ou d’accidents graves dépendent encore trop souvent des allers et venues en avion de visiteurs extérieurs. Ce qui semble d’ores et déjà un facteur limitant sur le plan sanitaire. La démarcation des terres et le respect des limites physiques de la réserve ne fait pas l’objet de mesures précises dans IDURAMAZ. Toutefois, il est intéressant de noter que les chercheurs brésiliens et étrangers ont eu un grand rôle dans ces processus (cf. Laques et De Robert, 2003).

Selon De Robert (2002), il est intéressant de noter que les Kayapó ont une vision assez particulière de ce qu’est un projet de développement. Alors que l’on pourrait croire que celui-ci est forcément durable parce qu’il fait intervenir des populations traditionnelles entretenant un rapport privilégié avec la forêt, les Kayapó considèrent que l’extraction du bois par des madeireiros est un projet tout à fait viable comme l’était autrefois la vente de peaux de félins ou comme l’est actuellement le commerce de la noix du Pará… Dans cette ethnie, un « bon » projet de développement peut donc être tour à tour prédateur ou conservateur de ressources naturelles, ce qui compte, ce sont les bénéfices pour les villageois et la façon dont ces derniers seront distribués. Leur perception de la durabilité et des problèmes environnementaux risque d’être particulièrement intéressante à étudier.

Conclusion du chapitre III : pour un bilan des impacts territoriaux des programmes de développement durable sur les espaces ruraux amazoniens

Le présent chapitre avait pour objectif de présenter dans les grandes lignes les problématiques inhérentes au développement durable des espaces ruraux amazoniens. Voir comment le Brésil et ses partenaires cherchent à équilibrer le développement socio-économique et la protection des différents écosystèmes amazoniens via la préservation intégrée, la réduction des inégalités socio-économiques ou encore la justice environnementale. L’un des moyens d’atteindre cet équilibre est de multiplier les interventions à différents niveaux (exemple du mille-feuille de la durabilité) et dans différents domaines.

D’une manière générale, les dynamiques locales sont de prime importance pour l’avenir de la région amazonienne. D’une part, parce que la durabilité de la région amazonienne dépend de la somme des situations rencontrées. D’autre part, parce que les expériences démonstratives réalisées au niveau local ont vocation à créer une synergie autour d’elle et avoir un effet d’entraînement. Les communautés ou associations sélectionnées doivent diffuser les préceptes du développement durable auprès de leur voisinage et l’inciter à s’engager dans la même voie. Les mécanismes mis en place peuvent donner lieu à des politiques publiques plus générales, à l’instar des projets PD-A du PPG-7 qui ont eu une influence certaine sur le PROAMBIENTE ou les programmes de gestion forestière. À l’heure où le PPG-7 vit ses dernières heures et que le Brésil s’apprête à lancer une nouvelle vague de projets locaux de développement durable notamment via le Fundo Amazônia, il semble opportun de se demander dans quelle mesure ces expériences sont efficaces. Quels sont les phénomènes sur lesquels elles obtiennent des avancées notables ? Quels sont les facteurs qui en limitent la portée (conflits internes, problèmes de gestion, manque d’intérêt…) ?

Tel est le but du système d’indicateurs IDURAMAZ. Son application sur les huit terrains présentés précédemment cherche à voir ce qui change concrètement avec les programmes de développement durable, ce qui fait référence tant aux expériences pilotes qu’aux politiques publiques plus générales (zonages, accès aux soins, à l’éducation…). Cet échantillon d’étude, contenant tant des hotspots de durabilité que des communautés sensiblement moins dotées dans ce domaine, offre de bonnes bases de comparaison. Il permet également de questionner l’efficacité de certains mécanismes, de réfléchir à leurs éventuelles fragilités, d’émettre quelques hypothèses sur les améliorations à apporter. Le quatrième chapitre présente dans le détail les principes guidant ce système d’indicateurs, sa méthodologie (la manière de calibrer la comparaison entre terrains) mais aussi les critères de sélection des indicateurs. Pour cela, il a été nécessaire de définir quels sont les critères supposés concourir à la durabilité des zones rurales amazoniennes. La bibliographie en présence, l’expérience de terrain ainsi que les objectifs affichés par les porteurs de projets ont fortement contribué à façonner IDURAMAZ. Comme ces derniers insistent particulièrement sur l’amélioration des conditions d’existence grâce à un développement économique correct sur le plan écologique, c’est donc en toute logique que ce système d’indicateurs confère à cette problématique une attention toute particulière.

Chapitre IV Le système IDURAMAZ : principes de fonctionnement et

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