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Chapitre IV Le système IDURAMAZ : principes de fonctionnement et description des indicateurs retenus description des indicateurs retenus

III. Besoins du présent et

IV.1. a Les finalités du système IDURAMAZ

Au sein du programme de recherche DURAMAZ, le système d’indicateurs a deux finalités. Premièrement, évaluer les impacts des programmes de développement durable dans un certain nombre de communautés rurales de manière comparative. Deuxièmement, mettre en exergue d’éventuelles interactions entre les phénomènes mesurés pour identifier les rouages clés de la durabilité territoriale. Autrement dit, les phénomènes sur lesquels les programmes de développement durable doivent intervenir en priorité pour atteindre l’équilibre souhaité entre bien-être humain et préservation des écosystèmes.

Le choix du local comme échelle d’observation privilégiée

Pour cela, le système IDURAMAZ a vocation a être appliqué au niveau local. La sélection de cette échelle d’analyse est motivée par plusieurs critères. Comme précisé en introduction générale et dans le chapitre III, le local a fait l’objet d’une attention particulière dans les stratégies de développement durable car il reste le niveau privilégié d’expérimentation et de réalisation de la durabilité (cf. Theys, 2002, p.4). L’idée que les actions entreprises à ce niveau ont des impacts sur les niveaux supérieurs est de plus en plus mise en avant. Ce que la promotion actuelle de de l’antienne « agir localement penser globalement » résume à merveille. En témoigne la multiplication des agendas 21 aux plus petits échelons administratifs (Poirier303, 2005 ; Rudolf, 2006) ou les innombrables appels aux changements individuels de comportement. Ce que les ONG et d’autres acteurs nomment les gestes « écocitoyens » ou écoresponsables (Charvin et Pascal, 2006). Par conséquent, si les expériences mises en œuvre pour atteindre le développement durable à ce niveau n’obtiennent peu ou pas de résultat, il y a peu de chance de voir les problèmes aux échelons supérieurs être résolus.

Le fait de travailler au niveau local présente un autre avantage non négligeable. Il a été démontré auparavant que les stratégies de développement durable en Amazonie brésilienne sont multiples et font appel à des processus de différentes portées : des projets communautaires ou destinés à des groupes plus restreints, des politiques publiques fédérales (zonages, programmes de lutte contre la pauvreté)… Chacune de ces initiatives correspondant à un maillon d’une « chaîne » de durabilité. Comme les communautés rurales amazoniennes se situent en bout de chaîne, il est possible d’avoir une vision d’ensemble, voir quels sont les chaînons problématiques ou fragiles. À titre d’exemple, si les processus de reboisement n’aboutissent pas dans les zones agricoles alors que des mesures avaient été prises dans ce domaine (exemple du PROAMBIENTE ou d’autres projets locaux du PPG-7), celles-ci pourront être questionnées collectivement ou individuellement. L’objectif étant de chercher dans les contextes locaux les raisons pour lesquelles elles n’ont pas eu les effets escomptés.

Afin de pouvoir mener à bien ce genre de réflexion, il est indispensable de bien définir les espaces et les populations sur lesquels porter son attention. Ce qui n’est pas toujours simple : l’occupation commune d’un territoire ne fait pas toujours la communauté, les relations sociales sont parfois plus complexes et intègrent des personnes extérieures. Face à ces problèmes de correspondance entre les limites physiques et sociales des terrains à étudier, le programme

303 Selon les chiffres donnés par cet auteur, en 2005, plus de 6000 collectivités territoriales s’étaient lancées

DURAMAZ a choisi d’adopter une démarche empirique. Ainsi, les différentes personnes dépêchées in situ ont choisi elles-mêmes la délimitation de leurs zones d’étude selon les critères qui leur semblaient les plus pertinents : les liens sociaux, les usages de l’espace, les conflits fonciers (revendications), les limites officielles. Pour le village Kayapó de Moikarako, il n’y a pas de délimitation officielle. Le périmètre d’étude a été fixé en fonction des zones régulièrement exploitées par ses habitants. C’est-à-dire les zones d’implantation des roças et celles parcourues pour l’extractivisme de la noix du Pará. Dans l’APA do Igarapé Gelado, certaines familles appartenant au lotissement agricole voisin (Colônia Paulo Fontelles) sont affiliées à l’APROAPA et en sont parfois les membres les plus actifs (porteurs des projets de développement durable). Afin de tenir compte de ce phénomène, il était impossible de se cantonner aux limites officielles de l’APA. Par conséquent, la limite septentrionale de cette unité de conservation a été déplacée pour y inclure ces familles volontaires jouant fortement sur les dynamiques locales. Dans le premier cas, l’usage de l’espace est le critère qui prévaut ; dans le second, ce sont plutôt les liens sociaux.

Éviter l’écueil du localisme et de l’essentialisme : solliciter une approche comparative

Même si le programme DURAMAZ fait de l’analyse des situations locales une de ses priorités, il considère qu’une collection d’études de cas juxtaposées les unes aux autres ne saurait être une fin en soi. À l’instar d’autres équipes de recherche, il considère qu’une «

perspective comparative avec les autres régions doit toujours être le point de départ de l’analyse de durabilité, étant donné que l’occupation d’un environnement est par nature inégale et relative » (Rodrigues et al., 2003, p.3 notre traduction). C’est pour cela que le système

d’indicateurs a été créé, pour faciliter les comparaisons entre terrains mais aussi pour replacer les résultats obtenus dans des perspectives plus générales.

Afin de rendre l’ensemble de l’échantillon comparable, le système de mesure adopté est le même pour l’ensemble des groupes contextes étudiés. Les indicateurs et les méthodes de calcul sont identiques pour tous, à une exception près : le sous-indicateur n° 10.a relatif à la perception des changements environnementaux qui souffrait de problèmes de pertinence chez les populations traditionnelles. Cette posture est anti-essentialiste, elle vise notamment à éviter de considérer les terrains amérindiens comme des cas particuliers. Ce qui n’est pas sans poser de problèmes, notamment pour les questions économiques et matérielles qui sont sujettes à de nombreuses polémiques dans ces contextes (voir Grenand, 1996). Dans l’ensemble, les thèmes traités dans IDURAMAZ sont suffisamment universels pour être appliqués à l’ensemble de l’échantillon, ceux qui n’ont pu faire l’objet de consensus au sein des équipes du programme ont été retirés304

304 Dans l’indicateur n°1 concernant « la situation financière des ménages » figurait originellement un

sous-indicateur sur le travail à l’extérieur de la communauté (basé sur les questions n° 36 et 37 de l’enquête ménage). La proposition initiale considérait que la vente occasionnelle de sa force de travail à l’extérieur de la communauté pouvait être inhérente à des revenus agricoles ou extractivistes insuffisants. Elle était donc vue de manière négative, notamment parce qu’elle allait à l’encontre du principe d’autonomie paysanne évoquée dans le chapitre III Certains membres de DURAMAZ y voyaient eux un symbole de la mutifonctionnalité, un des critères de durabilité rurale largement promu en France (Boiffin et al., 2004). Comme il était complexe de déterminer si le travail exercé à l’extérieur relevait d’une stratégie de diversification ou de survie, ce sous-indicateur a été abandonné.

. Les composantes problématiques d’IDURAMAZ et les débats qu’elles ont pu soulever chez certains groupes contextes sont présentés dans les parties IV.2 à IV.5. En procédant de la sorte, IDURAMAZ espère montrer que des populations diamétralement

opposées par essence, comme les fazendeiros et les extractivistes, peuvent présenter des similitudes sur certains points d’analyse. Ressemblances qui peuvent être imputables aux interventions des pouvoirs publics ou d’autres groupes d’acteurs, à la mise en place de projets de développement durable. Cette grille commune d’évaluation vise donc à replacer les situations observées les unes par rapport aux autres afin d’expliquer pourquoi un même mécanisme n’obtient pas les mêmes résultats au sein d’un même groupe contexte ou d’un groupe contexte à l’autre.

Outre la comparaison intra- et intergroupe, un autre moyen d’éviter le localisme est de replacer les terrains dans des perspectives plus larges. Cela revient à abandonner un cadre de référence strictement amazonien, sortir des particularismes régionaux sociaux et géohistoriques, pour évaluer les situations selon des critères plus généraux. Ainsi, chaque fois cela était possible, les indicateurs ont été construits en fonction de chiffres nationaux. Certains jugeront que la comparaison au reste du Brésil est inopportune, celui-ci n’étant pas un exemple absolu en matière de durabilité eu égard aux classements élaborés dans ce domaine, qu’il serait plus judicieux d’utiliser à cet égard des chiffres internationaux. Il est vrai que ce pays accuse encore un certain retard au niveau de l’éducation, des inégalités sociales etc. par rapport aux pays développés. Même si, dans l’absolu, il est souhaitable que les petits producteurs amazoniens aient un jour un niveau de vie comparable à celui des sociétés de l’Hémisphère Nord, prendre comme référence la situation brésilienne est plus réaliste. Si les campagnes et forêts amazoniennes parviennent à rattraper le retard accumulé sur le plan socio-économique par rapport au reste du pays tout en maintenant la diversité culturelle et biologique qui les caractérisent, cela pourra déjà être considéré comme un grand pas vers la durabilité. La plupart des projets locaux de développement durable vont dans ce sens et prennent comme référence la situation des autres régions brésiliennes. Il aurait également été pertinent de resituer les terrains dans des dynamiques globales à l’instar de certains indicateurs internationaux (IFEN, 2001 et 2003). Ils utilisent généralement les émissions de gaz à effet de serre pour rendre compte de la participation des territoires au réchauffement climatique ou à sa réduction (cf. chapitre II). Il est possible de réaliser ce type de démarche à partir des émissions liées aux brûlis forestiers et à l’élevage bovin mais, en raison des nombreuses incertitudes de calcul, il n’y a pas d’indicateur consacré à cette question dans IDURAMAZ. Quelques réflexions à cet égard sont présentées dans la conclusion de la partie 2.

L’objectif premier de ce système d’indicateurs est donc de faciliter les comparaisons d’un terrain à l’autre tout en les replaçant dans leur contexte national. Même si chaque cas est étudié individuellement, l’objectif est d’opérer des regroupements voir si les programmes de développement durable parviennent à nuancer les clivages entre populations traditionnelles et agricoles. Le second objectif est de contribuer à alimenter la réflexion du programme DURAMAZ sur les déterminants de la durabilité via l’identification de facteurs clés, c’est-à-dire des indicateurs influençant fortement le comportement de leurs semblables.

Faciliter la réflexion sur les facteurs clés de la durabilité

Comme l’intitulé du programme DURAMAZ le rappelle, celui-ci avait vocation à réfléchir aux déterminants de la durabilité. Il s’agissait d’identifier les phénomènes démographiques, sociaux ou géographiques qui permettraient d’expliquer le succès ou l’échec des projets de

développement durable. À la manière de ce qui a été fait pour l’expansion bovine par Piketty et al. (2005) ou le soja par Bertrand et al. (2004). Dans le premier cas, les déterminants en question étaient identifiés en fonction de la fréquence des réponses données par les producteurs à une enquête sur leurs motivations à faire de l’élevage. Le questionnaire faisant référence à des facteurs économiques, sociaux mais aussi culturels305. Dans le second cas, il s’agissait, en grande partie, d’une analyse empirique et bibliographique des impacts des cours nationaux et mondiaux sur les stratégies de production. À côté des observations empiriques et des données issues de ces trois questionnaires (voir annexe n° 2 à 4), le système IDURAMAZ a également vocation à enrichir cette réflexion sur les déterminants de différentes manières.

La première est l’identification des facteurs clés de la durabilité via les indicateurs retenus dans le système. Cela revient à observer le comportement des indicateurs entre eux, ceux qui vont de concert, ceux qui s’opposent, afin d’identifier lesquels influent sur les autres. Il y a plusieurs manières d’identifier ces relations. Certains optent pour l’empirisme et le pragmatisme. L’OCDE a fait ce choix pour ses indicateurs environnementaux clés, ils ont été sélectionnés selon leur capacité à résumer l’information pour la prise de décision et la communication à un plus large public (OCDE, 2004). Le projet DIAMONT lui a utilisé des modèles mathématiques pour conserver les indicateurs qui synthétisaient le maximum d’information (Schönthaler et Adrian-Werburg, 2006). Par exemple, si le modèle statistique considère qu’un indicateur (les émissions de CO2) est fortement corrélé avec d’autres entrées relevant du même thème (nombre de pics d’ozone par an, teneur en d’autres gaz nocifs…), c’est ce dernier qui sera conservé pour parler de la pollution de l’air. Les deux méthodes se valent, la première peut hiérarchiser l’information selon des critères qui échappent à la seconde. Une équipe peut choisir de retenir l’ozone pour les problèmes générés en matière de santé publique, une autre, prendre le C02 pour sa participation à l’effet de serre mondial, choix que l’analyse statistique ne cherche pas forcément à faire. L’analyse des facteurs clés menée dans cette thèse utilise l’une et l’autre dans le sens où les indicateurs soumis à l’analyse statistique on fait l’objet d’une présélection empirique (chapitre V).

La seconde est le croisement avec des données externes au système d’indicateurs. Rappelons que celui-ci n’utilise qu’une faible partie des informations collectées, il existe encore de nombreuses données sur le plan sociologique (réseaux d’acteurs) ou socio-démographiques. Il est possible de se demander si les conflits interpersonnels ou des visions divergentes quant à la notion de durabilité peuvent expliquer les résultats obtenus par certaines expériences. On pourrait éventuellement procéder de même avec les variables démographiques : dans quelle mesure les parcours migratoires, l’origine géographique ou les parcours professionnels déterminent-ils les résultats obtenus pour certains indicateurs ? Ces informations n’étant pas disponibles au moment où ces lignes ont été écrites, ce type de croisement n’a pu être réalisé, toutefois quelques pistes de réflexion seront également présentées concomitamment aux travaux sur les indicateurs IDURAMAZ.

Ce travail sur les facteurs clés de la durabilité a deux finalités. Premièrement, l’étude des corrélations permet d’enrichir la réflexion sur les impacts réels des programmes de développement durable. À titre d’exemple, si les revenus par habitant (sous-indicateur n° 1.a)

305 À noter que, contrairement à ce que la littérature existante à ce sujet aurait pu laisser croire, le « mythe de

l’éleveur » ou « mythe du fazendeiro » est bien en retrait par rapport aux facteurs micro-économiques, les producteurs amazoniens semblent donc plus rationnels que prévu.

restent antagonistes aux indicateurs environnementaux (taux de déboisement n° 8.a), le succès des politiques socio-environnementales demeure limité. Deuxièmement, ce genre d’analyse peut en retour faciliter l’aide à la décision. En reprenant le même exemple, si les revenus par habitant sont fortement corrélés à d’autres facteurs comme l’érosion de la biodiversité (n° 8.d) ou l’exode rural des jeunes (n° 12.a), en agissant sur le premier, il est possible de modifier le comportement des autres.

Si IDURAMAZ mobilise ponctuellement des outils statistiques, il n’a pas vocation à établir des modèles mathématiques, ni même à extrapoler les résultats obtenus dans les localités à l’ensemble de l’Amazonie rurale. Son échantillon ne le permet pas. En effet, les terrains DURAMAZ ont été sélectionnés en fonction d’une certaine représentativité en ce qui concerne les mécanismes mis en œuvre mais celle-ci n’est pas valable statistiquement parlant. Pour cela, il aurait été nécessaire de mettre en place un pas d’échantillonnage en bonne et due forme, ce qui est compliqué sur le plan logistique. Cela implique de devoir se déplacer dans une localité pouvant refuser le dialogue. En ce qui concerne les populations interrogées in situ, il n’était pas toujours possible de mettre en place des méthodes d’échantillonnage statistiquement valides. Les terrains étaient parfois trop peu peuplés pour opérer des sélections : l’exhaustivité a été préférée au fait d’interroger les membres des communautés voisines (RDS Iratapuru, Moikarako). Dans d’autres cas, les recensements d’habitants étaient souvent indisponibles ou obsolètes (APA do Igarapé Gelado). Dans le PA Palmares et Margarida Alves, un certain climat de méfiance et des tensions locales ont perturbé le bon déroulement des enquêtes306. Face à la diversité des situations rencontrées, les équipes ont souvent procédé au cas par cas, un récapitulatif des échantillonnages est présenté dans le tableau n°11 (chapitre V). Même s’il est impossible d’extrapoler à l’ensemble de l’Amazonie, les résultats obtenus localement, les situations offertes par les communautés peuvent être particulièrement enrichissantes pour rendre compte de l’efficacité ou non des programmes évoqués précédemment. La partie suivante présente les thèmes sur lesquels ils sont évalués.

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