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Chapitre 3 : Étude expérimentale

3.1 Le projet IPFC

Le présent travail s'inscrit dans le cadre du projet IPFC, une base de données regroupant plusieurs

"points d'enquête" de populations non-francophones apprenant le français comme langue étrangère (Detey et Kawaguchi, 2008 ; Racine et al., 2012 ; Detey et al., 2016). Ce projet est basé sur un projet déjà existant, qui est celui de la Phonologie du Français Contemporain (dorénavant abrégé PFC). Tout comme IPFC, le cadre PFC représente également une vaste base de données mais qui regroupe uniquement les populations francophones natives (Racine et al., 2012).

Le projet IPFC est constitué de 16 volets (chaque volet correspondant à une population d'apprenant) et la présente étude se situe dans le projet IPFC-Japon. Comme la méthodologie de notre recherche suit le protocole IPFC, nous allons commencer par présenter, dans les grandes lignes : le projet IPFC ainsi que ses objectifs, la population d'apprenants concernée et pour terminer, la méthodologie utilisée dans IPFC.

3.1.1 Les objectifs du projet IPFC et les populations concernées

Le projet IPFC est né à la fin de l'année 2008, à partir d'un constat relevant un manque de travaux dans le domaine de la phonologie se basant sur des corpus d'apprenants de langue étrangère, notamment de français (Racine et al., 2012). En effet, la plupart des travaux effectués dans le domaine de l'apprentissage de langue étrangère s'intéressent au niveau lexical et morphosynthaxique. Racine et al. (2012), constatent qu'il y a également un manque d'études sur la parole continue : le corpus des études portant sur la phonétique et la phonologie se constitue essentiellement de paroles "de laboratoire" reproduisant très peu le conditionnement de paroles d'apprenants dans la vie réelle. Ces deux observations ont donc poussé une équipe de chercheurs41 à constituer le projet IPFC (Racine et al., 2012).

Afin de combler ces "carences" au niveau phonologique et interphonologique, et d'élargir ces champs encore peu explorés, le projet a pour but de récolter, d'analyser et de mettre à disposition des données de locuteurs non-natifs de différentes L1, apprenant le français comme langue étrangère. Il est notamment important de souligner le terme "interphonologie", qui est central pour une étude sur l'apprentissage des langues étrangères, définit ainsi :

41 Le projet IPFC est actuellement piloté par Sylvain Detey, Isabelle Racine et Yuji Kawaguchi (http://cblle.tufs.ac.jp/ipfc/).

"L’interphonologie renvoie au pendant phonologique de l’interlangue (IL), un système phonologique provisoire et instable, qui peut néanmoins à un moment donné, être décrit et caractérisé, en dépit d’une variation inter- et intra-individuelle inévitable (Broselow, 1983 ; Tarone, 1987 ; Lombardi, 2003 ; Grijzenhout et Van Rooy, 2001 ; Monahan, 2001 ; Keys, 2002 ; Lin, 2003 ; Escudero et Boersma, 2004).

L’apprentissage d’un système phonologique étranger s’effectue donc de manière graduelle, à travers les développements de ce système « interphonologique » (...)"

(Detey et al., 2005b : 3)

Le projet IPFC regroupe actuellement 16 populations d'apprenants de différentes L1 qui sont les suivantes : allemand, anglais, danois, espagnol, grec chypriote, italien, japonais, néerlandais, norvégien, portugais brésilien, russe, suédois, turc, arabe, coréen et tigrinya42. Pour chaque population L1, les apprenants représentent un profil linguistique similaire dans la mesure du possible : même variété de L1, même niveau de compétence linguistique selon l'échelle établie par le CECRL, et un parcours linguistique aussi similaire que possible (Racine et al., 2012 ; Racine et Detey, 2016).

3.1.2 Méthodologie

En ce qui concerne la collecte des données, le projet IPFC suit un protocole composé de six tâches de production orale (Racine et al., 2012 ; Racine et Detey, 2016 ; Detey et al., 2016) :

1) Répétition d'une liste spécifique de mots : cette tâche consiste à écouter et à répéter une liste spécifique de mots produits par un locuteur natif (Racine et al., 2012 ; Racine et Detey, 2016 ; Detey et al., 2016). Selon Racine et al. (2012), cette liste de mots contient des difficultés à la fois communes pour tous les apprenants quelle que soit leur L1 (comme par exemple les voyelles nasales) ainsi que des difficultés spécifiques à chaque L1 (comme par exemple les groupes consonantiques pour les apprenants japonais). Cette tâche de répétition évite l'influence de l'orthographe étant donné que les apprenants n'ont pas la liste de mots en question à leur disposition (Racine et Detey, 2016 ; Detey et al., 2016).

2) Lecture d'une liste de mots : les apprenants doivent lire une liste de mots utilisée dans le projet PFC (Racine et Detey, 2016 ; Detey et al., 2016).

3) Lecture d'une liste spécifique de mots : cette troisième tâche utilise la même liste de mots utilisée dans la première tâche (Racine et Detey, 2016 ; Detey et al., 2016) mais elle s'effectue sous forme de lecture.

42 Informations tirées du site du projet IPFC (http://cblle.tufs.ac.jp/ipfc/index.php?id=6)

4) Lecture d'un texte (voir Annexe 3) : un texte tiré du projet PFC (Racine et al., 2012 ; Racine et Detey, 2016 ; Detey et al., 2016). Contrairement à la lecture des listes de mots, la lecture d'un texte oblige les apprenants à maintenir un rythme pour garder une certaine fluidité durant la lecture. Detey et al. (2016) soulignent que la lecture du texte sert notamment à observer les phénomènes du schwa et les liaisons, ainsi que certains mots sujets à la variation régionale (par exemple : "patte" vs "pâte").

5) Conversation guidée (dorénavant abrégé CG) : il s'agit d'un entretien constitué d'une série de questions fermées et ouvertes avec l'enquêteur (Racine et al., 2012 ; Detey et al., 2016).

Par ailleurs, ces questions sont, comme le précisent Racine et al. (2012), adaptées au niveau des apprenants et au contexte d'apprentissage, c'est-à-dire que les questions sont adaptées au milieu – hétéroglotte ou homoglotte – de l'apprentissage.

6) Conversation libre (dorénavant abrégé CL) : contrairement à la CG, l'enquêteur est absent, il s'agit d'une discussion entre deux apprenants autour d'un sujet donné.

Racine et Detey (2016) soulignent que le protocole de recueil de données utilisé dans le projet IPFC est identique pour toute les L1, ce qui permet une comparabilité entre les différentes L1 sur la base d'une tâche. Par ailleurs, le protocole IPFC étant similaire à celui employé dans le projet PFC au niveau des tâches – avec une modalité adaptée aux apprenants – il permet également de comparer les données non-natives à celles des locuteurs natifs (Racine et al., 2012 ; Racine et Detey, 2016 ; Detey et al., 2016).

Lors du recueil des données, les apprenants effectuent ces 6 tâches dans un lieu calme (si possible insonorisé) et en présence d'un magnétophone afin d'enregistrer tous les entretiens. Les apprenants remplissent également un questionnaire sociolinguistique (voir Annexe 2) qui vise à établir le profil de chaque apprenant (Racine et Detey, 2016). Une fois les données recueillies, les enregistrements sont transcrits orthographiquement sous Praat (Boersma et Weenink, 2015) selon des conventions spécifiquement développées pour la L2 (voir Racine et al., 2011). Racine et Detey (2016) soulignent que cette convention concerne tout particulièrement des cas d'ambiguïtés au niveau morpho-lexical et phonético-phonologique.

Une fois les transcriptions terminées, les données sont ensuite codées en fonction des phénomènes analysés (liaisons, voyelles nasales, consonnes, etc.). En ce qui concerne le schwa, le codage pour cette voyelle sera présenté dans la section 3.3.4. Afin d'éviter de "transcrire phonétiquement"

(Racine et al., 2019 : 10) – comme par exemple de transcrire en API ou en tout autre alphabet phonétique – un codage alphanumérique, basé sur la perception, a été spécialement développé dans le cadre des projets PFC et IPFC (Racine et al., 2011). En effet, les auteurs expliquent que l'usage d'un alphabet phonétique, tel que l'API, entraine un "degré de catégorisation qui accorde beaucoup de poids à l’oreille native des transcripteurs, avec tous les problèmes de fiabilité et de discordance que cela induit" (Racine et al., 2011 : 13). Ainsi, les projets PFC et IPFC privilégient le traitement des données par un système de codage, car selon Racine et al. (2011 :13), il permet "d’éviter d’attribuer une catégorie phonémique à une réalisation dont l’appartenance à une catégorie phonémique donnée est justement problématique". Comme le rappelle Detey (2014 : 3), le projet IPFC vise à décrire "les traits de prononciation" des locuteurs non-natifs. De ce fait l'approche par codage sur la base de la perception permet d'observer comment les locuteurs natifs perçoivent la production des apprenants sans catégoriser et mettre des étiquettes sur chaque son perçu (Racine et al., 2010).

Comme nous l'avons mentionné précédemment, la présente étude se situe dans le sous-projet, IPFC-Japon (Detey et Kawaguchi, 2008 ; Racine et al., 2012 ; Detey et al., 2016). 16 apprenants japonophones de français de niveau avancé ont été enregistrés43 et la présente recherche s'appuie sur les productions d'une partie d'entre eux (voir section 3.3.1).