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2.4 Difficultés spécifiques pour les apprenants japonophones

2.4.3 Problème de graphie-phonie

Un dernier point concernant les difficultés spécifiques aux apprenants japonais, est la correspondance graphie-phonie du français. Le problème de la graphie-phonie se pose doublement pour un public japonais apprenants de français : d'une part, parce que la L1 n'a pas le même système d'écriture que la langue cible, et d'autre part, le français est une langue dont le décalage graphie-phonie est relativement important (Detey, 2005), comme nous l'avons vu précédemment.

Tout d'abord en ce qui concerne le système d'écriture du français, cette langue fonctionne avec un système alphabétique et avec un seul type de script qui est l'alphabet romain (Detey et al., 2005a).

Ce système contient 26 lettres, qui sont en principe aussi des sons (<a> se prononce /a/) mais, comme Detey (2005) le fait remarquer, certains d'entre elles se combinent pour créer d'autres sons.

Ainsi, par exemple, la combinaison <ai> se prononce /e/. Ce décalage graphie-phonie est également traité en terme de "profondeur" (Katz et Frost, 1992, cité dans Detey, 2008). Selon ces auteurs, l'orthographe est "profonde" :

"Si les relations lettre-phonèmes sont plurielles (« substantially »), c’est-à-dire que : « some letters have more than one sound and some phonemes can be written in more than one way or are not represented in the orthography »."

(Detey, 2005 : 231)

Ainsi, le système d'écriture en français est complexe car un son ne s'écrit pas d'une seule manière et une lettre n'a pas qu'un seul son correspondant, d'autant plus que dans certains mots comme dans

"homme", les lettres <h> et <e> ne se prononcent tout simplement pas, bien qu'elles soient orthographiquement présentes (Detey, 2005). C'est cette multiple possibilité d'écriture et de prononciation qui caractérise le français et qui rend son apprentissage difficile pour certains apprenants, notamment ceux qui ont une L1 ayant un système d'écriture similaire mais une réalisation de sons différentes du français, comme par exemple l'italien, l'anglais ou encore l'allemand.

En ce qui concerne le japonais, il existe trois systèmes d'écriture : le hiragana, le katakana et le kanji (Detey, 2005 ; Labrune, 2013 ; Isely, 2016). Detey (2005) résume ces trois systèmes d'écriture de la manière suivante :

Morphophonique : Les kanjis, caractères d'origine chinoise, parfois malhabilement (Matsunga,

1994) nommées

"idéogrammes".

Par exemple : ;. (kan – ji = kanji)

Moraique Les kana, caractères

japonais, séparés en deux

Du point de vue de leur utilisation, un texte japonais contient ces trois types d'écriture, chacun ayant sa spécificité lexicale, grammaticale, voire les deux. Tout d'abord, le kanji a une fonction principalement lexicale car un kanji représente généralement un mot, comme par exemple "P" est un kanji signifiant "cheval" (Detey, 2005). Ces kanjis peuvent être combinés entre eux afin de développer d'autres lexiques, par exemple le mot PG est composé de "P" ("cheval") et "G"

("art" ou "technique") signifiant "équitation". Ensuite, le hiragana joue un rôle plutôt grammatical, notamment utilisé comme particule permettant de relier les phrases entre elles, mais il peut être également utilisé comme morphème lexical dans certains cas (Detey, 2005). Enfin, le katakana est

39 Une partie de ce tableau est reprise chez Detey (2005 : 239).

majoritairement utilisé pour les mots d'emprunts et les onomatopées, bien que Taylor et Taylor (1995, cité dans Detey, 2005) relèvent d'autres contextes d'utilisation, tels que certaines substances chimiques ou encore certains animaux et végétaux "rares" (Taylor et Taylor, 1995, cité dans Detey, 2005 : 245).

En ce qui concerne la correspondance graphie-phonie en japonais, plus précisément les kanas, elle est d'une "transparence élevée" (Detey, 2005 : 242) car chaque kana représente un son. Toutefois, les kana "ha" () et "he" () sont des exceptions car peut se lire "ha" mais également "wa"

lorsqu'il est utilisé comme particule grammaticale, tout comme qui peut se lire "he" ou "e"

lorsqu'il fonctionne comme particule (Kess et Miyamoto, 1999, cité dans Detey, 2005 : 242). Quant au kanji, il s'agit plutôt d'une représentation concrète ou abstraite d'une réalité du monde, mais contrairement au kana, un kanji ne correspond pas à un seul son, comme par exemple, le kanji "P"

("cheval") peut se lire "uma" mais aussi "ba". Bien que les kanjis aient plusieurs lectures possibles, il garde généralement le même contenu sémantique.

En plus de ces trois types d'écritures "traditionnelles" (Detey, 2005 : 239), il existe un quatrième type d'écriture qui s'est développé plus récemment notamment dû au contexte international dans lequel le Japon actuel se situe, nécessitant donc un moyen de communication écrite accessible aux non japonophones. Il s'agit du romaji, un type d'écriture, comme le souligne Detey (2005), qui consiste en une transcription du japonais en alphabet romain, permettant ainsi d'avoir les sons japonais alphabétisés. Bien que le romaji soit un alphabet romain, il a été adapté aux sons japonais.

De ce fait, les 26 lettres romaines "classique" sont réduites à 22 en romaji, car les lettres "l", "q",

"v" et "x" n'existent pas en japonais (Detey, 2005).

Ces deux langues – japonais et français – ont donc un système d'écriture et de caractères totalement différents, mais comme le rappelle Detey (2005), l'influence de l'anglais peut également intervenir dans l'apprentissage du français étant donné que l'anglais est, selon l'auteur, la première langue étrangère avec un alphabet romain. La présence de l'anglais dans le répertoire linguistique des apprenants japonais est d'autant plus importante puisque l'anglais partage beaucoup de sons en commun avec le français, notamment le schwa bien que cette voyelle – encore une fois – ne se comporte pas forcément de la même manière en anglais qu'en français (Detey et al., 2016). Par ailleurs, bien qu'il y ait peu de risques, voire aucun, que les deux systèmes – le système en japonais et celui en français – se mélangent, il est tout de même possible d'utiliser les kanas et le romaji pour transcrire certains mots étrangers en les "japonisant" afin d'accéder à une prononciation inconnue

(Detey, 2005). Cette interférence peut donc survenir au cours de leur apprentissage – que ce soit à l'écrit ou à l'oral – ce qui peut influencer leur prononciation en "japonisant" les sons français.

Dans cette section 2.4, nous avons évoqué les difficultés du français pour les Japonais à travers une petite analyse contrastive entre le système linguistique du japonais et du français, en comparant : le système vocalique uniquement les voyelles (section 2.4.1), le système syllabique (section 2.4.2) et enfin le système orthographique (section 2.4.3). Cette section a permis de nous rendre compte des difficultés que les Japonais rencontrent, tout particulièrement lorsque le schwa chute. En effet, nous avons vu que la chute du schwa crée des groupes consonantiques : ces groupes consonantiques sont, certes, autorisés dans le système du français, mais nous avons observé que le japonais ne les autorise pas, ce qui crée des difficultés au niveau articulatoire pour les locuteurs japonophones, qui ne sont pas forcément habitués à produire plusieurs consonnes à la suite (section 2.4.2). Nous avons également observé en 2.4.1 que le schwa n'existe pas en japonais et que l'apprenant japonais doit donc non seulement percevoir cette nouvelle voyelle mais également la produire avec le bon timbre, sans que les voyelles de la L1 interfèrent. Enfin, la section 2.4.3 a comparé le système d'écriture japonais et français, car comme Nouveau et Detey (2007) l'ont relevé (section 2.3) l'influence de la graphie constitue une autre difficulté à l'acquisition du schwa français. Comme le japonais a un système d'écriture complétement différent, l'influence de la L1 semble moins importante, mais comme Detey (2005) le note, l'anglais et le romaji pourraient parasiter l'apprentissage des sons du français.

Ce deuxième chapitre s'est principalement intéressé au schwa et à ses particularités (section 2.1), aux différents facteurs linguistiques et sociolinguistiques qui conditionnent la chute ou le maintien du schwa (section 2.2) et enfin aux difficultés que le schwa engendre chez les apprenants en général (section 2.3) et chez les Japonais en particulier (section 2.4), puisque le public cible de notre travail est celui des apprenants japonais.

Cette première partie de notre travail (chapitres 1 et 2), qui est essentiellement théorique, a présenté les éléments de contexte permettant de mieux situer notre recherche. Dans la deuxième partie (chapitre 3), qui constitue la partie expérimentale, sera présentée l'étude des productions de schwa des apprenants japonais de FLE.